"One Piece": comment Netflix a réussi à adapter le manga d'Eiichiro Oda
Après six ans d'attente, elle est enfin arrivée à bon port. La série live action One Piece de Netflix est disponible depuis ce jeudi. Après une avant-première parisienne au Grand Rex qui a séduit les amateurs de la saga, pourtant très exigeants, la série relève le défi de transposer fidèlement à l'écran ce manga réputé inadaptable.
La tâche était ardue: les millions de lecteurs du manga attendaient le One Piece de Netflix avec circonspection, après les échecs de précédentes adaptations de mangas comme Dragon Ball Evolution ou Saint Seiya. Trahissant complètement les œuvres originales, ces films avaient suscité le courroux des fans de mangas comme d'animes.
L'adaptation de One Piece est réalisée en prises de vues réelles et comprend huit épisodes d'une heure. Elle suit la quête du jeune pirate Luffy et de son équipage des Mugiwaras pour dénicher un fabuleux trésor, le One Piece. Sillonnant les océans pour devenir le roi des pirates, Luffy affronte des adversaires redoutables.
"Nous voulons réécrire l'histoire des adaptations en live-action", a promis Netflix, qui a essuyé lui aussi un flot de mauvaises critiques après la diffusion de l'adaptation de Cowboy Bebop, annulé au bout d'une saison. La plateforme a assuré ses arrières en s'adjoignant le soutien d'Eiichiro Oda, auteur du manga, qui a supervisé la série.
Casting convaincant
Netflix a malgré tout fait entrer One Piece dans son moule. Avec son casting de jeunes premiers tout lisses et son esthétique pop qui rappelle la série Riverdale, la plateforme de streaming semble destiner avant tout le programme à un public adolescent (là où le manga a su séduire un public plus large, y compris adulte).
Cela n'est pas forcément une mauvaise chose tant l'enthousiasme et l'optimisme communicatifs de Luffy ont été imaginés par Eiichiro Oda pour inciter le jeune public à se dépasser et à réaliser ses rêves. Une énergie que Iñaki Godoy, le jeune interprète de Luffy, a parfaitement su restituer à l'écran.
Le reste du casting procure la même impression. Chacun campe avec conviction et même joie les personnages. Netflix a eu la bonne idée de confier les rôles à des comédiens inconnus du public. La plateforme sait que les véritables stars de la série sont les personnages, de Zoro à Sanji en passant par Nami, Arlong ou encore Usopp.
Chacune de leur apparition à l'écran lors de l'avant-première mardi soir au Grand Rex a été chaleureusement applaudie, preuve aussi que la réussite de la série se mesure à son respect du mythe One Piece. En retranscrivant fidèlement chaque moment de bravoure du manga, Netflix se met ainsi les fans dans la poche.
La série s'en tire aussi avec les honneurs pour le design des personnages - un aspect essentiel tant Oda est passé maître dans l'art d'imaginer des visages inédits. Si le terrifiant homme-poisson Arlong inspire réellement la crainte à l'écran, Baggy le Clown est davantage grotesque, peu aidé par un maquillage outrancier.
Libertés narratives
La première saison reprend l'intégralité de l'"arc East Blue", soit les douze premiers tomes de la saga. Si les créateurs de la série ont pris des libertés narratives, l'esprit du manga a été respecté à la lettre. Pour des questions de rythme, des événements ont en revanche été condensés et des lieux changés.
L'affrontement entre les Mugiwaras et le redoutable Kuro, l'un des premiers antagonistes du manga, a ainsi été délocalisé de la plage du village de Sirop pour se situer dans un manoir. Une décision qui permet à la série d'instaurer dès le début de vrais moments de terreur qui n'interviennent que bien plus tard dans la saga (les arcs Thriller Bark et Punk Hazard).
C'est l'un des principaux ajouts de Netflix à One Piece: la série est dans son ensemble plus réaliste et parfois plus sombre que le manga. Certaines morts sont par ailleurs davantage explicites et gores, alors que le manga vise un équilibre entre scènes purement cartoonesques et moments d'émotion (équilibre qui manque encore à la série).
Si le rythme feuilletonnant et hebdomadaire du manga permet de diluer la tension, une saison de huit épisodes disponible le même jour ne peut pas se le permettre. One Piece version Netflix développe ainsi certains personnages, notamment dans la Marine, afin d'accentuer l'impression que Luffy est recherché activement.
Une décision scénaristique qui profite en particulier à deux personnages secondaires emblématiques du manga: Garp, héros de la Marine et grand-père de Luffy, et Koby, capitaine de la Marine ami de Luffy dont l'histoire est racontée en toile de fond sur les pages de garde des chapitres du manga.
Mise en scène décevante
Si Eiichiro Oda faisait la part belle à l'humour burlesque avec des planches dignes d'un cartoon de Tex Avery, Netflix se montre plus timorée en termes de mise de scène. Certaines séquences très attendues, comme le passage de relais entre Shank Le Roux et Luffy, déçoivent et n'ont pas la kèmême force que dans le manga.
Si la décision de filmer la série à l'aide du steadicam, un système stabilisateur de prise de vues portatif, offre une dimension immersive au voyage de Luffy, les combats sont le plus souvent assez peu lisibles et conventionnels, loin de l'inventivité visuelle de Oda et de son style graphique élastique.
En réduisant les enjeux à une simple opposition entre les Mugiwaras et la Marine, la série perd enfin de vue ce qui fait de One Piece une œuvre si riche. Exit, ainsi, le message anarchiste et contestataire du manga, dont le héros Luffy est une sorte de Che Guevara libérant des peuples opprimés par des gouvernements corrompus.
En cas de succès, One Piece pourrait se poursuivre sur Netflix. Avec 105 tomes à ce jour, le manga pourrait inspirer au moins une vingtaine de saisons. De quoi développer ces thématiques toujours actuelles, qui seront au centre de la deuxième saison, la saga Alabasta, une réflexion sur la tyrannie et l'importance de la révolte.