On leur a fait "un point du mari" sans leur consentement

On dit cette pratique révolue voire imaginaire, et pourtant, les trois jeunes femmes que nous avons interrogées ont été victimes du “point du mari” après leur accouchement. Une forme de violence obstétricale très machiste, qu'elles dénoncent aujourd'hui.

Après une épisiotomie, ces femmes ont été recousues un peu trop serré. Un ou deux points supplémentaires volontairement administrés par le chirurgien, sans explications précises et/ou consentement. Leur but ? Resserrer le vagin pour octroyer à leur conjoint plus de plaisir lors des rapports sexuels. Une violation du droit de ces femmes à disposer de leur corps, qui se rapproche dangereusement d'une mutilation sexuelle. Car en plus de ne pas être consultées, les mamans qui en sont victimes souffrent souvent par la suite de douleurs atroces lors des rapports. C'est d'ailleurs en constatant cela que Durga, recousue à 21 ans par un étudiant en médecine qui “s’entrainait” sur elle, a compris que quelque chose clochait : “À chaque rapport, ça se rouvrait et saignait, j’ai mis plus de six mois à cicatriser. Je sentais bien que c'était plus serré, que ça ne passait plus [...] C'est là qu'on m'a fait comprendre qu'on m'avait fait le point du mari, je ne savais pas encore ce que c'était...”.

Vous allez voir, je vais tout refaire bien comme ça votre mari sera content, il aura plus de plaisir.

Un acte imposé et/ou présenté de façon très floue aux femmes

Sandra, elle, se souvient d’avoir senti “comme si sa peau allait se déchirer”, quand elle marchait ou était assise. “Lors des rapports avec mon mari, c'était horrible [...] J'étais obligée d'utiliser du lubrifiant alors qu'en général je n'en ai jamais eu besoin. Et même avec ça, c'était douloureux”. La jeune femme a très vite fait le lien entre cette souffrance et son épisiotomie. Au moment d'être recousue, il y a six ans, son chirurgien lui avait dit : “Vous allez voir, je vais tout refaire bien comme ça votre mari sera content, il aura plus de plaisir”. Une phrase qui sonnait pour elle sur le moment comme une promesse non désagréable. Mais ses trois années de souffrance lui ont ensuite fait comprendre que la pratique n'avait rien de positif. “J'étais en colère, et triste d'avoir eu à subir ça sans l'avoir choisi, juste parce qu'un homme pensait que c'était mieux pour mon mari. On a l'impression d'être juste un objet [...] C'est un sentiment d'injustice”.

Quand j'ai compris que c'était pour donner plus de plaisir au mari, mon coté féministe a eu envie de hurler au scandale ! Je me suis dit : 'On est encore dans cette société qui veut faire du corps de la femme un objet de plaisir pour l'homme, en la massacrant au passage !'

Durga, qui n'avait jamais entendu parler du point du mari et à qui le chirurgien n'avait rien expliqué, a elle aussi connu un choc terrible. Surtout lorsqu'elle a découvert au fil de ses recherches, la fonction de ces points en trop. “Quand j'ai compris, mon coté féministe a eu envie de hurler au scandale ! Je me suis dit : 'On est encore dans cette société qui veut faire du corps de la femme un objet de plaisir pour l'homme, en la massacrant au passage !’”, raconte-t-elle. Son conjoint, qui n'avait rien demandé, en a lui aussi été abasourdi. D'autant plus qu'il en a également subi les conséquences : pendant quelques mois, les rapports sexuels du couple n'ont pas été possibles. Preuve que l'acte chirurgical qui se veut “profitable” aux hommes, ne l'est en fait pour personne.

Le long chemin vers la réappropriation de leur corps

Louane a de son côté vécu une double peine : en plus de son immense colère, elle a ressenti une énorme culpabilité, pour un acte dont elle a pourtant été victime. Celle qui explique s'être bien préparée pour son accouchement et beaucoup renseignée sur ses droits, ne se pardonne pas de ne pas avoir réagi lors de son épisiotomie qui a débuté sans anesthésie efficace. “Prise dans la douleur, le sentiment d’être dépassée, et confrontée à un obstétricien odieux, je n’ai rien dit et j’ai complètement subi”. Si son accouchement remonte maintenant à quatorze ans, la mère de famille se souvient avoir vécu longtemps avec ce regret de ne pas s'être défendue. De quoi rendre le chemin vers la réappropriation de son propre corps, encore plus difficile. Heureusement, son deuxième accouchement, quasi idyllique, lui a offert une sorte de réparation en lui redonnant confiance. Mais il n'a pas effacé les séquelles physiques : sa cicatrice reste dure, souvent insensible et parfois douloureuse pendant les rapports sexuels.

Chaque année, à l'anniversaire de ma fille, ma cicatrice me fait mal, me démange, me pique. Donc j'ai pensé qu'il y avait quelque chose à extérioriser.

En parallèle, elle s'est investie dans une association de soutien et d’information pour les futurs parents, pour éviter aux autres femmes de vivre la même épreuve qu'elle. Un besoin de trouver une utilité à son expérience, que Durga a elle aussi ressenti. C'est ainsi qu'elle accepte aujourd'hui de témoigner : “Chaque année, à l'anniversaire de ma fille, ma cicatrice me fait mal, me démange, me pique. Donc j’ai pensé qu'il y avait quelque chose à extérioriser.” Suite à ses prises de parole, elle a reçu de nombreux messages de personnes soulagées d'entendre parler de ce problème. “Parmi elles, des femmes qui ont accouché il y a 30 ou 40 ans ont réalisé que ce n'était pas du tout digéré […] J'ai reçu aussi beaucoup de messages d'hommes très compatissants, qui n'avaient aucune idée qu'une telle pratique existait !”

Les femmes ont le droit de savoir et décider de ce que l’on fait avec leur corps

Parmi les victimes interrogées, aucune n'a porté plainte : le gynécologue qui a recousu Sandra est parti à la retraite quelques mois plus tard, et Durga a de son côté souhaité profiter de l'arrivée de sa fille, loin de la lourdeur d'un procès contre un grand hôpital. Pour elles, devoir s'exposer et déployer de l'énergie dans le cadre juridique constitue bien souvent une forme de violence collatérale. À un moment où leur vie est déjà profondément bouleversée. Raison supplémentaire pour dénoncer cet acte barbare et rendre de toute urgence aux femmes la souveraineté de leur corps.

“Je conseillerais aux futures mamans de se faire confiance à elles, de se renseigner sur ce qui se passe à la maternité, demander qu'on leur explique tout ce qu'on leur fait lors de l'accouchement”, affirme Durga, devenue depuis thérapeute énergétique. Une bonne façon en effet de se protéger, à défaut d'accéder au lâcher-prise auquel elles devraient toutes avoir droit.

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