OL: les dessous du bras de fer entre Textor et Aulas
Comme on a tous enfouis en nous à vie, les mots prononcés quand un fait majeur survient dans sa vie personnelle, chaque acteur et/ou proche et/ou supporters du club se souvient avec précision de sa réaction, à la fuite sortie par "L'Equipe" sur la demande de blocage des comptes de l'Olympique Lyonnais, mercredi en fin d'après-midi. Réactions pêle-mêle : "la stupéfaction", "abasourdi", "ce n'est pas possible", "du grand n'importe quoi", "c'est démentiel", "où veut-il aller et nous emmener?", "Est-ce le paroxysme de la crise ou va-t-il y avoir encore autre chose ?" Clairement, ce mercredi 30 août fait déjà date dans l'histoire récente de l'OL. Et les boucles WhatsApp de chacun, employés et fans s'en souviennent encore : "Je n'ai pas eu le temps de tout lire ce que me demandent mes potes", constate, en ce jeudi matin, un salarié. Jeudi matin, le lendemain du "drame" comme il résonne à l'échelle lyonnaise.
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"Pas lui, pas après tout ce que tu as fait et pas maintenant" : la célèbre formule prononcée par Thierry Gilardi au moment du coup de tête de Zidane en finale de la Coupe du Monde 2006 résume aussi, à sa manière, cette tempête, initiée, hasard ou coïncidence, par celui qui, en son temps, pestait contre le récit de pseudo crises, narrées dans les médias, dans les instants cruciaux d'une saison. Jean-Michel Aulas, donc : "Il faisait exactement ce qu'il vilipendait quand il était patron, constate un supporter de longue date qui ne comprend pas. On a qu'un point en trois matches, on reçoit Paris et les joueurs n'ont pas besoin de cette atmosphère."
Pas de vague chez les supporters face au PSG
C'est pour cela que les groupes de supporters ne devraient pas "bouger" ce dimanche lors du choc OL-PSG (20h45). L'un d'eux résume : "Avec l'absence de Saint-Etienne et du derby, il n'y a désormais que deux "gros" matches dans la saison, le PSG et l'OM, il ne faut pas que l'on gâche notre plaisir de vivre ce moment. Nous serons derrière les joueurs, à fond."
Pas question de sortir des banderoles relatives à la situation actuelle et la guerre entre actionnaires : "Je ne connais pas vraiment les tenants et les aboutissants et j'attends d'en savoir plus avant de me prononcer sur qui à tort et qui a raison", explique un autre fan habitué des virages.
"Ce n'est pas parce que c'est Jean-Michel Aulas qu'on va tout lui passer"
Ni John Textor qui a rencontré les supporters cet été et qui a fait plutôt bonne impression, ni "JMA" ne seront apostrophés par messages cinglants ou ironiques : "Mais ce n'est pas parce que c'est Jean-Michel Aulas qu'on va tout lui passer", ajoute un leader, toujours sous couvert d'anonymat. Comprenez qu'au minimum, le totem d'immunité de celui qui a fait "leur" OL de Gerland au Groupama avec des titres et des épopées au début du siècle en Coupe d'Europe perd des "miles". Mais de là à ce qu'un message le cible dans l'enceinte ? Pas sûr, pour l'instant, les reproches restent oraux : "Il faut qu'il se rendre compte qu'il n'est plus président", coupe un fan tandis qu'un autre, qui a fait le tour de la toile constate : "Plus il parle, plus il bouge, plus il s'enfonce. J'ai l'impression qu'il est assez isolé."
Car son crédit, abondé par 36 ans de présidence dont les 15 premières opiniâtres à gagner le premier titre de l'histoire du club, affiche des taux inédits d'impopularité sur les réseaux sociaux : "Normal, l'humain n'a pas de mémoire", rappelle un supporter avisé qui rappelle l'hommage XXL et unanime du dernier match, le 27 mai dernier. Même pas 100 jours... Mais un sentiment se dessine : il joue contre son camp. "Il sait que la période est cruciale, que le mercato est compliqué. Ne pouvait-il pas attendre le mois de septembre ?" interroge un fan.
Des salariés inquiets pour leurs paies
Le timing - à la fin du mois - de ce blocage des comptes interpelle encore plus en interne : car la rumeur d'une impossibilité de verser les paies, le dernier jour du mois ouvré - donc ce jeudi 31 août - a vite enveloppé le Groupama Stadium et ses plus de 600 salariés. Si certains pensent que c'est plus de la com' alarmiste, d'autres, plus angoissés, se sont précipités ce jeudi matin sur leur compte en banque pour savoir si le salaire était bien tombé, alors que les joueurs eux sont payés le 10 du mois.
Mais le symbole est là : "La guerre des actionnaires ne nous concernaient pas jusque-là, c'était à l'étage du dessus, décrypte un salarié de longue date. Mais là, elle débarquait dans nos vies. Nos salaires auraient pu être impactés !" Et ce sont des familles qui auraient pu en souffrir : "L'OL, ce ne sont pas que les joueurs et leurs fiches de paies avec de nombreux 0 avant la virgule, rappelle un autre historique employé. A la boutique, dans des services transversaux, il y a des personnes avec des petits salaires ou qui viennent d'être embauchées, sans trésorerie dans des fins de mois difficiles."
D'où le "pas maintenant" (de la célèbre formule) qui résonne fort en interne et qui fait pâlir un peu l'étoile du boss, débarqué en mai et ovationné par tout le "peuple" lyonnais lors de la dernière journée de Ligue 1 en mai : "Qu'il soit en guerre contre son successeur car il lui doit des millions, soit, mais là, c'est contre l'OL qu'il joue", conclut un connaisseur du club. D'ailleurs, OL Groupe a d'emblée, jeudi matin, rappelé dans un communiqué intitulé "recours contre les mesures conservatoires à son encontre", les contours de l'accord lors du départ forcé du boss historique au soir d'un conseil d'administration, le 5 mai dernier et officialisé le 8 mai : "Le protocole transactionnel conclu... obligeait en outre Jean-Michel Aulas à soutenir la société avec loyauté conformément à ses nouvelles fonctions de Président d'Honneur. En conséquence du manquement à honorer ses engagements clés, OL Groupe ne pouvait procéder au rachat des actions."
Les joueurs dans leur bulle
En résumé, après avoir pris une société de communication pour l'accompagner en juin, puis multiplier les saillies sur les réseaux, puis dans les journaux et désormais devant les tribunaux, il ne peut - aux yeux de la gouvernance Textor - revendiquer les 10 millions d'euros de prime de départ et le rachat de près de 15 millions d'euros de ses actions.
Et les joueurs dans tout cela ? Dans leur "bulle" d'entraînement, loin des supporters et des médias - huis clos obligent - rien ne filtre, sauf des "évidences de la vie humaine de groupe qui vit ensemble", décrypte un agent au fait des us et coutumes d'un vestiaire : "Comment voulez-vous qu'un Rayan Cherki qui voit partir ses potes, Castello Lukeba puis Bradley Barcola, réagisse alors qu'il va être un peu seul, parmi les jeunes pour mener le bateau".
Et quid de John Textor au milieu de tout cela ? La petite chronique à Décines rapporte sa simplicité et son abord facile, son train de vie de "président normal" habitué à EasyJet plutôt qu'aux jets, aux chauffeurs Uber qu'il commande en direct sur son smartphone plutôt qu'aux voitures avec chauffeur. Et il a plutôt fait une première bonne impression dans son relationnel récent - à la mi-août - avec les supporters avec qui il a devisé, en compagnie de son bras droit, Santiago Cucci. Leur inexpérience dans le foot ? "Jean-Michel Aulas n' y connaissait rien quand il a repris l'OL" rappelle un "vieux" fan qui était déjà là dans les années 80 à l'arrivée de celui qui a "fait notre OL, il faut quand même le rappeler", tient-il à conclure.
Les erreurs de Textor
Ainsi dans les kops, les humeurs des uns et des autres se retrouvent dans cette synthèse : "Comment voulez-vous qu'on lui fasse des banderoles, nous avons demandé du changement dans la gouvernance, nous l'avons. Nous avons demandé des départs de joueurs hors du projet, nous les avons. Alors, oui, le recrutement ne nous dit pas grand-chose car ce ne sont pas des noms ronflants. Mais il faut lui donner du temps." Lui qui découvre peu à peu que le train de vie du club des années JMA tient en ce calendrier précisé de nombreuses fois : "Le business modèle de l'OL, sur 5 ans, c'est 3 en Ligue des Champions, 1 en Europa League et 1 fois sans Europe. Si tu sors de ce rythme, le club est en grand danger." Or, le dernier passage - certes en demi-finale - en Ligue des champions remonte à août 2020 et en Ligue Europa en avril 2022. Et l'OL débute sa 2ème saison consécutive, sans Europe.
Mais il a commis des erreurs, se retrouvent employés et supporters : "Il a viré JMA dans l'impréparation et l'improvisation, constate un cadre. Et dans son style américain, direct et cash, il a zappé qu'il arrivait dans une autre culture, française et .... lyonnaise. A Lyon, tout fonctionne en réseaux." Et dans le monde du football et de l'économie locale, le Boss reste ... JMA, industriel entre Rhône et Saône depuis plus de 50 ans et la création, avant sa majorité à l'époque à 21 ans, de sa première société avant même de créer l'entreprise qui a fait sa fortune, la CEGID.
Reste que tous (salariés, supporters...) se retrouvent dans un sentiment, une forme de "honte" : "Déjà que nous étions un club mal aimé, alors là je peux vous dire que nos "ennemis" s'en amusent", constate en remontant le fil de ses réseaux sociaux un "geek-supporter". "L'image renvoyée est catastrophique", peste un autre salarié, venu à l'OL dans la foulée de ses années d'adolescence, rythmées par les titres à chaque fin de saison. D'où le leitomtiv des fans qui devraient escorter les joueurs à 20h45 dimanche : "Nous serons focus sport, focus match. Après, si les joueurs méritent une bronca en fin de match pour une rencontre exécrable, elle viendra naturellement. Mais elle sera "sportive", cette bronca, pas contre le club."