Dans « Les Ogres » de Victor Castanet, la crèche de Matignon est prise pour cible, voilà pourquoi
PETITE ENFANCE - Des crèches où se multiplient les « comportements inappropriés » et les « maltraitances » envers les tout-petits ; un lobby qui s’entend sur une diminution des coûts pour assurer aux groupes privés des bénéfices, au détriment du bien-être des enfants. Deux ans après la publication de son livre Les Fossoyeurs, dans lequel il mettait en lumière les dysfonctionnements des maisons de retraite du groupe Orpéa, le journaliste Victor Castanet s’attaque cette fois-ci dans Les Ogres (éd. Flammarion) à un autre secteur où la rentabilité prime sur l’intérêt supérieur des enfants accueillis : celui des crèches.
« Dans les crèches, on est parfois forcés à être maltraitants malgré nous »
Acteur-clé du secteur privé, le groupe People&Baby est particulièrement incriminé dans cette enquête. Il est notamment accusé, d’avoir favorisé, par son système à bas coût, d’avoir favorisé les maltraitances sur les enfants. « J’ai reçu des centaines de mails de familles et de salariés m’alertant de graves dysfonctionnements du secteur de la petite enfance et faisant déjà le parallèle avec ce qui avait pu se passer chez Orpéa », expliquait ce mardi 17 septembre Victor Castanet sur France Inter.
Une diminution par trois des coûts en quinze ans
Interrogé par Léa Salamé, le journaliste a décrit comment, en une vingtaine d’années le secteur de la petite enfance s’est transformé avec l’arrivée de groupes à but lucratif. « Il y a une vingtaine d’années, on a ouvert le marché des crèches municipales à des opérateurs externes, et notamment des opérateurs privés. On a fait des délégations de service public, on lance un appel d’offres, et il y a plusieurs personnes qui répondent. Ce qui s’est passé, c’est que le marché s’est ouvert », résume Victor Castanet, qui explique qu’en gestion directe, un berceau (une place en crèche) coûte 12 000 euros par an.
« De premiers opérateurs comme Babilou sont arrivés avec des offres à 8 000 euros : c’était avantageux pour les mairies qui faisaient une économie et les groupes avaient l’impression de bien faire leur travail. Puis, d’autres opérateurs sont arrivés : People&Baby, La Maison Bleue, Les Petits Chaperons Rouges, qui ont cassé les prix pour conquérir de nouvelles parts de marché », poursuit le journaliste, qui relate des berceaux passés à 4 000, voire 3 500 euros par an en l’espace de quinze ans.
Du low cost, même à la crèche de Matignon
Cette « politique du low cost à fond » n’a pas épargné la crèche de… Matignon. Dans cette structure confiée à un groupe privé depuis 2023, et où sont accueillis les enfants des collaborateurs du Premier ministre, le berceau coûte 3 000 euros.
Selon Victor Castanet, ce choix de faire appel à l’opérateur au prix le plus bas a été décidé après un appel d’offres sur lequel s’étaient positionnés les groupes Babilou et Les Petits Chaperons Rouges. « Babilou propose 10 % de masse salariale supplémentaire, soit un poste et demi en plus. Matignon choisit évidemment l’offre la moins chère, sans se rendre compte qu’il participe à la dégradation continue depuis dix ans de l’accueil des petits enfants », pointe-t-il.
Si ce système bien rodé perdure depuis tant d’années, c’est aussi parce que le lobby des crèches privées disposerait de liens privilégiés. Notamment avec l’ancienne ministre de tutelle du secteur, Aurore Bergé. Dans Les Ogres, Victor Castanet révèle l’amitié qui la lierait à Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèche (FFEC).
Il affirme qu’il y a un an, lorsque sont parus deux autres livres sur le système des crèches privées, Elsa Hervy et Aurore Bergé « se sont entendues avant la sortie de ces livres, qui ont échangé de manière très régulière », ce qui a abouti à la reprise d’éléments de langage de la part de la ministre. « A été demandé à la Fédération de ne pas taper sur la politique gouvernementale de la petite enfance et de soutenir la ministre. En échange de quoi, la ministre fera preuve de mansuétude et fera passer un certain nombre de messages », détaille Victor Castanet sur France Inter. De son côté, Aurore Bergé n’a pas encore répondu à ces accusations.
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