Octobre rose : "Comment j’ai annoncé mon cancer à mes enfants, sans leur mentir ni leur faire peur"
Sophie a 37 ans et elle est atteinte d’une forme agressive du cancer du sein. Dans ce témoignage, elle raconte la manière dont elle a annoncé sa maladie à ses enfants, et ses conséquences au quotidien sur sa vie de famille.
Il y a 6 mois, j’ai ressenti une gêne dans les seins, ils étaient lourds et douloureux. J’ai d’abord pensé à une grossesse. J’adore les bébés, j’en ai eu deux, un garçon et une fille, de 5 et 7 ans, les plus merveilleux cadeaux que la vie m’ait donnés. J’ai fait un test, il était négatif.
La lourdeur dans mon sein gauche s’est accentuée et j’ai vu une plaque rouge apparaître sur celui-ci. J’ai touché mon sein et je l’ai sentie tout de suite. Cette masse anormale, cette boule dure. Comment avais-je pu la rater ?
Je n’ai pas voulu cacher mon cancer à mes enfants
Après une mammographie, une échographie et une biopsie, nous avons appris que c’était un cancer du sein invasif de stade 3. J’avais l’impression d’être assommée, vidée, terrifiée. Mes enfants… Il allait falloir leur dire et marquer leurs vies pour toujours.
J’ai immédiatement su que je ne voulais pas leur cacher. J’ai grandi avec un père malade qui ne nous disait pas toujours tout, et j’en ai beaucoup souffert. Refusant de répéter ce schéma, j’ai décidé de leur dire le soir même, avec le soutien de mon conjoint.
J’ai passé toute la journée à essayer de contenir mes émotions. Je ne savais pas comment gérer la situation, seulement que je devais garder mes larmes, qui feraient peur à mes enfants s’ils les voyaient. J’ai bien répété chaque mot dans ma tête. Je ne voulais ni leur mentir, ni leur faire peur. C’était important pour moi de pouvoir leur expliquer ce qui allait se passer, étape par étape, pour les rassurer. C’est toujours plus rassurant, pour un enfant, d’avoir un plan.
Parler de la maladie à ses enfants sans leur faire peur
Quand je leur ai demandé de s’asseoir pour qu’on parle, ils nous ont regardé les yeux pleins d’étoiles comme si on allait leur annoncer un voyage à Disneyland. Malheureusement, l’aventure que nous nous apprêtions à vivre était beaucoup moins sympa. Je leur ai expliqué calmement que j’avais une boule dans le sein, que la boule s’appelait une tumeur, et que j’avais un cancer du sein. Ils l’ont touchée, pour comprendre.
Je n’ai pas utilisé le mot « grave », j’ai préféré dire « Je suis très malade ». Je leur ai expliqué que j’allais perdre mes cheveux, mes sourcils. « Tu mettras un chapeau pour venir me chercher à l’école ! », m’a dit Daniel, mon fils de 5 ans. Ça m’a fait rire ! Je leur ai dit que le docteur allait sûrement enlever mon sein mais que j’en aurai un nouveau. Julie, ma fille de 7 ans, s’est mise à pleurer. Je leur ai dit que c’était normal d’être triste, d’avoir peur, d’être en colère, que nous ressentions ça nous aussi et que l’important était d’en parler. À nous, à leurs amis, à qui ils voulaient.
Julie m’a demandé si j’allais mourir. Je n’en sais rien, et je ne voulais pas lui faire une promesse que je n’étais pas sûre de pouvoir tenir. J’ai répondu « Je te promets que je vais tout faire pour guérir et pour vivre », ça me paraissait plus positif.
Je ne voulais pas que le cancer devienne un sujet tabou et je voulais apporter un peu de légèreté donc je leur ai dit qu’on m’achèterait des perruques rigolotes, qu’ils pourraient dessiner des yeux à l’arrière de mon crâne, ça les a fait sourire. C’était important pour moi qu’ils comprennent qu’on peut aussi en parler avec légèreté.
Ne pas les laisser attendre une guérison qui n’arrivera pas
Les résultats qui ont suivi ont été difficiles. J’ai appris que j’avais des métastases et que mon cancer était en réalité de stade 4. Ce sera une maladie chronique avec des périodes stables et des rechutes qu’on essaiera de traiter au fur et à mesure. Les plus chanceux survivent une dizaine d’années.
Je n’ai pas voulu dire le mot « incurable » à mes enfants. Je trouvais cela trop violent, je ne voulais pas les stresser. Mais fin août, j’ai passé un contrôle qui a montré que la tumeur avait diminué et qu’une des métastases avait disparu. Nous leur avons bien sûr annoncé la bonne nouvelle, et ils m’ont demandé si j’étais guérie.
J’ai compris qu’il fallait leur expliquer et ne pas les laisser attendre une guérison qui n’arrivera pas. J’ai dit que mon cancer ne partirait pas car il s’est éparpillé dans mon corps, qu’avec la chimio on essaie de le rendre plus petit et qu’ensuite, je prendrai d’autres médicaments pour qu’il reste petit et qu’on le garde prisonnier. Par moments, il essaiera de sortir et de regrossir, et là, on l’attaquera de nouveau avec de la chimio.
Je leur ai expliqué que plein de gens vivent en prenant des médicaments toute leur vie, et que le plus important c’est que la chimio marche, qu’on arrive à le contenir et que pour l’instant, c’est nous qui gagnons.
L’attitude des enfants est plus facile que celle de certains adultes
Certains proches m’ont dit que c’était une erreur de parler de cancer aux enfants, mais nous ne regrettons rien. Ils m’en parlent très souvent, je leur fais toucher mon sein et ils sentent la tumeur diminuer petit à petit, ça les rassure.
Je leur ai aussi montré un petit dessin animé qui explique aux enfants comment le cancer se crée dans notre corps pour mettre des images dessus. Je leur ai expliqué le déroulé de la chimio, ce qui est désagréable, etc. On fait même des petites blagues dessus parfois. Souvent, au coucher, je les remercie. Je leur répète qu’ils m’aident beaucoup, qu’ils me donnent beaucoup de courage. J’aime qu’ils se sentent valorisés dans cette épreuve. Je leur demande s’ils vont bien, s’ils ont des questions.
En dehors des sept jours qui suivent la chimio, j’ai l’impression d’être une maman normale - je fatigue juste plus vite. Mon conjoint est beaucoup plus présent et prend plus le temps de faire des activités avec eux, des choses qu’il ne faisait pas trop avant, étant trop pris par son travail.
Ma fille m’écrit souvent des petits mots où elle me dit qu’elle m’aime et que je suis belle même sans cheveux car elle sait que je complexe beaucoup. Je suis très touchée par sa bienveillance. Quand leurs copains me demandent pourquoi je n’ai plus de cheveux, je leur explique que je suis malade et que le médicament fait perdre les cheveux. Je leur fais parfois toucher mon crâne, ça les fait rire et ils passent à autre chose. Au final, je trouve l’attitude des enfants plus facile que celle de certains adultes qui sont gênés et mal à l’aise.
Regarder la vie avec légèreté, autant que possible
Depuis tout ça, la parentalité est encore plus intense. Je suis très fatiguée, donc parfois un peu moins patiente. À chaque fois que ça arrive, je m’excuse en leur expliquant, et ils comprennent. Je suis émue souvent, parfois juste en entendant l’un de leurs rires. Et je cède plus facilement sur les cadeaux et ça, ils l’ont bien compris. Je leur achète des petites choses tout le temps, comme pour leur apporter un peu plus de bonheur.
Les jours de grande fatigue, je n’ai pas trop le moral. Je sais que je ne suis pas responsable de la situation, mais je culpabilise. Je sais que ma mort va bouleverser la vie de mes enfants, que ce seront eux les plus impactés. Quand ils me parlent de leur futur, je leur souris mais j’angoisse intérieurement. Je ne verrai probablement pas mes enfants se marier, ou devenir parents.
La colère liée à cette injustice m’a quittée petit à petit et a envahi mes proches, dont mon fils. « La vie c’est nul, y’a des gens pauvres et des gens malades, y’a des mamans qui ont des cancers » m’a-t-il dit aujourd’hui. Il a raison, la vie est souvent injuste, mais la vie peut être jolie j’en suis certaine. Il faut juste la regarder avec légèreté.
Ici commence le reste de ma vie. Je vais aimer, rire, danser, pleurer aussi fort qu’un être humain peut le faire. Ce sera 5 ans, 10 ou 15, mais ce seront des belles années, des années précieuses.
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