Nucléaire: coup d'envoi à l'Assemblée, polémique sur la réforme de la sûreté
L'Assemblée nationale a entamé lundi l'examen du projet de loi d'accélération du nucléaire, corsé par la polémique sur la réforme de la sûreté de ce secteur toujours aussi sensible, contre laquelle des centaines de personnes ont manifesté aux abords du Palais Bourbon.
Avec ce texte pour faciliter la construction de six nouveaux réacteurs EPR à l'horizon 2035, "ce n'est ni plus ni moins le fil de la plus grande aventure industrielle française depuis les années 1970 que nous renouons", a affirmé la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.
Contre les énergies fossiles, "accélérer les énergies renouvelables, c'est être écologiste. Relancer notre filière nucléaire, c'est être écologiste", a-t-elle lancé.
Les députés ont quatre jours pour étudier les 650 amendements sur ce texte. Dans une actualité toujours agitée par la réforme des retraites, le gouvernement mise sur le traditionnel soutien de la droite à l'atome pour une adoption sans trop de difficultés en première lecture, après le très large vote du Sénat fin janvier.
Ce texte n'est "en rien le grand soir", mais "a le mérite de remettre le nucléaire au centre des discussions et de notre mix énergétique", souligne le député LR Jérôme Nury.
Mais les opposants au nucléaire, EELV et LFI, comptent s'appuyer sur deux événements récents pour enflammer les débats: la fissure "importante" révélée dans la tuyauterie d'un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime), et la disparition annoncée de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), expert technique, que l'exécutif veut fondre dans l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme des centrales.
Le gouvernement a ajouté la réforme de la sûreté nucléaire par un simple amendement, adopté par les députés en commission. Mais elle suscite l'ire des syndicats de l'IRSN comme de l'ASN, de la gauche, et des protestations jusque dans la majorité.
L'intersyndicale de l'Institut a organisé une nouvelle journée de grève lundi et une manifestation près de l'Assemblée. Des centaines d'agents de l'IRSN, de Paris, Marseille ou Cherbourg ont défilé jusqu'aux Invalides, avec des slogans comme "IRSN demantelé, sûreté nucléaire bradée" et "la relance du nucléaire au mépris de la sécurité".
Ce projet de "fusion" est "incompréhensible", dénoncent aussi dans un communiqué les députés de la coalition de gauche Nupes, qui jugent "essentiel de maintenir une indépendance entre la fonction de régulateur (ASN) et celle d'expertise (IRSN)".
"Le moment est grave", "nos centrales vieillissent mal", souligne l'écologiste Julie Laernoes.
- "Croyances" -
Chez les macronistes, la rapporteure Maud Bregeon, ancienne d'EDF, distingue les "questions légitimes" sur l'IRSN des arguments utilisés pour "flinguer la filière" nucléaire par "idéologie".
"Chez certains peu à peu les croyances ont pris le pas sur la science", a-t-elle attaqué à la tribune. "Les vrais écologistes aujourd'hui sont pro-nucléaires", a-t-elle lancé au moment où l'adhésion au nucléaire a nettement gagné du terrain dans les enquêtes d'opinion, en pleine crise énergétique.
Le texte "va nous permettre d'atteindre la neutralité carbone" et une meilleure souveraineté énergétique, argumente-t-elle.
Limité à de nouvelles installations situées sur des sites nucléaires existants, ou à proximité, le projet de loi vise à simplifier les procédures administratives afin de "ne pas ajouter un délai de deux à trois années à la construction d'un réacteur", selon Agnès Pannier-Runacher.
Les deux prochains EPR devraient être implantés à Penly, suivis de deux autres à Gravelines (Nord), selon les plans d'EDF, avec l'objectif 2027 pour "la première coulée de béton", et "2035-2037" pour la mise en service, d'après le gouvernement.
En commission, les députés ont validé un ajout controversé du Sénat: la suppression du plafond de 50% de la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique français d'ici 2035.
Après un texte technique sur les renouvelables adopté avec le soutien des députés socialistes, le gouvernement se tourne vers la droite pour celui sur le nucléaire que les députés LR et RN regardent d'un bon œil.
"Enfin la filière nucléaire va retrouver un peu de considération", a souligné Marine Le Pen lundi, tout en jugeant le texte "très insuffisant".
Un troisième projet de loi plus politique de programmation pluriannuelle est attendu au mieux cet été, pour fixer des objectifs à atteindre pour chaque énergie.
L'énergie nucléaire représente environ 70% de la production d'électricité habituellement. En raison des arrêts pour corrosion et de la faible disponibilité du parc nucléaire, cette proportion s'est établie à 63% seulement en 2022.
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