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Et si pour guérir il suffisait de "vivre nu" ? Margaux Cassan, philosophe et naturiste, parle de son expérience

Margaux Cassan est une jeune philosophe qui a passé une bonne partie de sa vie nue. C’est ce qu’elle raconte dans l’essai "Vivre nu" (éd.Grasset), un ouvrage qui souhaite rendre ses lettres de noblesse au naturisme, une pratique souvent confondue à tort avec le nudisme. À travers le naturisme, la jeune femme s'est reconstruite et parle de "cicatrisation par le nu". Son essai est un hommage à ses origines familiales et une tentative de vulgarisation d'un mode de vie qui pâtit de nombreux lieux communs.

Margaux Cassan n’a que deux ans lorsque ses parents l’envoient à Bélézy, un village dans le Vaucluse, dans lequel vivent sa tante et son oncle. La particularité de ce lieu ? On s’y déplace nu. Bélézy est un village naturiste avec des chartes. "C'est pour protéger les membres et notamment les enfants afin d'éviter qu'il y ait des voyeurs, voire des pédophiles qui viennent. Il y a des règles qui sont assez strictes. Toutes ces règles sont utilisées afin d'éviter d'utiliser la nudité comme levier pour érotiser son propre corps. Dans les règles, il peut y avoir l'utilisation des piercings, des tatouages... De tout ce qui est considéré comme une érotisation du corps."

Petite histoire du naturisme

Avec son essai "Vivre nu" (éd. Grasset), Margaux Cassan tient à rendre ses lettres de noblesse à une pratique, qui a "trop longtemps souffert de sa confusion avec le nudisme." La jeune femme, qui pratique le naturisme quasiment depuis toujours, explique que "le nudisme est juste le fait d’être nu pour être vu. Il y a donc l’intention d’être regardé par les autres. Ça peut être une intention sexuelle, ou pas du tout. Ça peut être un happening politique, comme le font les Femen par exemple." À la différence du naturiste qui "se déshabille pour supprimer le superflu entre lui et les éléments : pour sentir l’eau, le vent, l’herbe lécher sa peau", souligne-t-elle dans son essai.

Le naturisme est un style de vie pratiqué ponctuellement et localement par quelque deux millions et demi de Français. Le mouvement prône un rapprochement avec la nature et une sobriété de la consommation "tels que le végétarisme, le fait de consommer peu d’alcool, peu de sucre… Une certaine pratique de la sobriété en général qui passe aussi par la sobriété de la consommation", confie l'autrice.

Dans "Vivre nu", la philosophe naturiste documente les origines du mouvement pour le décrasser de l’image ringarde, voire beauf, qui lui a été accolée. Il puise ses racines dans la volonté d’un mouvement médical, les hygiénistes, "les premiers antivax de la fin du 19e et du début du 20e", souligne Margaux Cassan, qui préconisent de soigner (et non pas de vacciner) avec les éléments de la nature tels que l’eau et le soleil. Ainsi les hygiénistes préconisaient un bain d’eau froide et une exposition au soleil pour guérir de certaines maladies. En même temps, l’art de vivre nu est sollicité par les mouvements anarchistes qui luttent contre les corsets capitalistes et patriarcaux de la société. Leur idée était la multiplication de petites communautés où règne la parité du capital et des sexes. C’est au sein de ces micro-communautés qu’est née "la pratique de la sobriété", une des caractéristiques du naturisme, qui consiste notamment à manger végétarien et ne pas consommer d’alcool.

Vidéo. "Quand j'avais 2 ans, mes parents m'ont envoyée dans un village naturiste"

La question taboue de l’inceste

Margaux Cassan est née avec ce mode de vie, hérité de sa famille. Une vie dont elle ne s’est jamais cachée depuis sa plus tendre enfance. Dans son livre, elle retranscrit avec humour et malice les questions naïves de ses camarades de classe à son retour de vacances. "Mes amis me demandent comment se passent les retrouvailles, dans un village naturiste. Si l’on s’embrasse, si l’on se prend dans les bras ou si la nudité l’empêche. Peut-être que l’on s’embrasse, oui. Et quand on mange ? On est nus ? Si l’on veut. Chez nous, on est plus souvent nus, une serviette sur la chaise." Si elle se remémore ces questions, c’est parce que la philosophe prend compte du tabou de la nudité dans les relations familiales et des interdits que cela vient effleurer : "Quand on dit qu’on a passé les vacances avec ses parents, ses grands-parents, sa tante et son oncle tous tout nus, ça crée une sorte de curiosité, d’interrogation sur ce que peut être la nature de la relation entre une jeune fille et ses aïeux en général. Mon parti pris, c'est de dire que puisqu’il n’y a pas d’intention sexuelle dans le rapport au corps, le rapport aux autres va être beaucoup plus direct et spontané."

Les procès intentés au naturisme sont nombreux. Dans "Vivre nu", l'autrice balaie d’un revers de main les accusations à peine voilées d'inceste. "Si l’inceste était un phénomène propre au naturisme, cela se saurait."

Pendant une période de sa vie, Margaux Cassan a délaissé Bélézy. Ces années sont celles de l’adolescence. L’autrice le concède : "Il est vrai que pour s’octroyer le droit d’avoir un corps, il vaut mieux que le corps soit attaché à une certaine identité". Or, l’adolescence est une période charnière. Le corps qui mue est à l’origine d’une perte d’identité et peut générer des troubles. "C’est à cette période que les bains que je prenais avec mon père ont commencé à m’interroger, non pas parce qu’il relevait d’une indécence chez mon père lui-même, pour qui c’était un moyen comme un autre de passer du temps tous les deux - nous en avions peu - mais parce que j’avais besoin, pour être vue nue, d’être arrivée au bout de ma métamorphose."

Dans son récit, la jeune femme opère une ellipse volontaire, correspondant à son adolescence. "J’ai fait une expérience assez désagréable, à un moment où je me considérais encore comme un enfant, un objet de désir pour certains hommes." Elle traverse alors une période trouble dans son processus d’identification, marqué par une poitrine asymétrique, des traumatismes et un ventre qui gonfle (et lui fait mal) sans raison médicale évidente.

Se montrer nue devient un frein à sa construction. Quelques années plus tard, le nu contribuera à sa cicatrisation. "Je me suis rendu compte en parlant avec d’autres femmes du caractère thérapeutique du nu", un caractère qui s’explique par l’absence de charge érotique. Un postulat qui peut étonner. Là encore, la jeune femme dégoupille plusieurs arguments. La nudité qui s’offre est-elle un vecteur sexuel ? "Il n'y a pas plus de sexualité parce qu’on est nu. Il y en a même moins. C’est souvent le vêtement qu’on utilise pour se rendre érotique, sexy et désirable. Aussi, le désir des autres nait beaucoup de la transgression. Du coup, ce mélange entre la nudité franche et la nudité collective gomme l’érotisme."

Ce qui fait dire à Margaux Cassan que le naturisme est un rempart au voyeurisme. "La franchise du corps nu lui retire tout son érotisme. Chez nous, on dit que la nudité est un rempart au regard. Ce n’est pas tout à fait vrai. Bien sûr, les corps se voient ; mais ils ne se matent pas : ils ne réduisent pas l’autre à la projection d’un désir personnel (mater, dans son sens premier, veut dire "soumettre"...)" écrit-elle dans son essai.

Ce rempart, qui selon elle s’explique par l’absence de vêtement, l’aide dans le processus d’acceptation de son corps. Une acceptation qu’elle a trouvée dans une autre forme de validation. À l’âge adulte, la philosophe est devenue modèle vivant. Elle s’épanouit alors dans une validation qui ne se traduit pas par le désir sexuel "mais par une autre forme d’esthétique."

Vidéo. Margaux Cassan : "Il n’y a pas plus de sexualité dans un village naturiste. Il y en a même moins"

"Je ne me suis jamais sentie en danger face au sexe mou d'un étranger"

Le nu la libère aussi de la crainte qu’elle a envers le genre masculin. Le rapport à son corps, ainsi que sa validation, exacerbe sa vulnérabilité face aux "textiles" (les gens habillés dans le jargon naturiste, ndlr). Une constatation qui peut surprendre et qu’elle explique, entre autres, par la culture de la protection qui caractérise les espaces naturistes. "J’ai la conviction que s’il m’arrivait quelque chose, la moindre personne qui passe, même inconnue, elle me protègerait. Ce qui n’est pas le cas dans le RER ou le métro."

Si les anarchistes voulaient abolir la domination de classe par le nu (sans ses habits, le bourgeois ne se distingue pas de l'ouvrier, selon leur idée), l'autrice suggère que le naturisme fait s’évaporer "les rapports de domination qui déterminent souvent la relation entre les hommes et les femmes".

"En retirant mes vêtements, j’ai découvert que l’homme dans son état de nature n’était un danger pour personne. Pour ainsi dire, je ne me suis jamais sentie en danger face au sexe mou d’un étranger."

Dans sa vulnérabilité, l’homme devient une femme, comme elle. "Je ne sais pas si c’est lié au fait qu’il n’y ait pas d’érection ou si c’est juste une forme de vulnérabilité du corps masculin dans sa nudité qui fait qu’il est moins associé à mon esprit à la prédation." Une idée qu’elle résumé dans son livre par le fait que les hommes habillés dans l’espace public lui évoquent plus de peur. Une crainte qui s'évanouit même au hasard d’une rencontre dans un sentier de l’Île du Levant, lorsqu'un étranger lui "gobe son téton" après lui avoir photographié le sein. Un geste qui dure à peine plus d’une fraction de seconde. "Je n’ai pas eu le temps d’en être froissée. C’était un acte aussi anodin que brutal, qui m’a laissée tiède", écrira-t-elle. "Objectivement, c’est une agression, mais je ne me suis pas sentie en insécurité pour les raisons invoquées : la conviction d’être protégée et la vulnérabilité de cet homme."

La genèse de l'écriture d'un essai sur le naturisme vient de l'annonce du rachat du village naturiste de Bélézy par un grand groupe. Face à la peur de perdre l'âme naturiste du village, Margaux Cassan a pris la plume pour parler de son mode de vie. Elle espère que cela donnera envie aux jeunes générations de tenter l'expérience.

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