Nouvelle-Calédonie : pourquoi la (seule) réponse martiale n’aidera pas à résoudre la crise

Emmanuel Macron et Gabriel Attal photographiés lors de la cérémonie du 8 mai (illustration)
JOHANNA GERON / AFP Emmanuel Macron et Gabriel Attal photographiés lors de la cérémonie du 8 mai (illustration)

POLITIQUE - La situation ne fait qu’empirer en Nouvelle-Calédonie. Malgré l’instauration de l’état d’urgence, l’archipel est toujours en proie aux violences. Ce jeudi 16 mai, un deuxième gendarme a été tué, alors que le calme n’est toujours pas revenu sur le Caillou. Même s’il s’agit d’un « tir accidentel », qui n’est pas le fait des émeutiers, le bilan s’alourdit encore.

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Ce qui n’arrange pas la position de l’exécutif, qui (sous pression de la droite et de l’extrême droite) a d’abord choisi d’apporter une réponse sécuritaire à la crise provoquée par une réforme constitutionnelle vécue par les indépendantistes comme un passage en force. « Tout est mis en oeuvre pour que les Calédoniens retrouvent l’ordre et le calme auxquels ils ont droit. C’est un préalable à la poursuite du dialogue que j’appelle de mes voeux», a répété le Premier ministre Gabriel Attal après avoir présidé une nouvelle réunion de crise. Le premier ministre a aussi annoncé qu’une « circulaire pénale » sera publiée sous peu par le garde des Sceaux pour « garantir les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ».

Comme pour masquer son défaut d’anticipation, le gouvernement focalise son discours sur les violences, qui viendraient quasi exclusivement du camp indépendantiste et éclateraient de façon irrationnelle. Un camp qui serait par ailleurs motivé par de vils desseins en plus d’être instrumentalisés depuis l’étranger. Ce mercredi, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fustigé la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), décrit par l’exécutif comme la frange la plus radicale du Front de libération Kanak socialiste (FLNKS).

Darmanin criminalise les indépendantistes

Une organisation qualifiée par Gérald Darmanin de « mafieuse, violente », et qui « commet des pillages, des meurtres ». Il a également accusé les indépendantistes d’être instrumentalisés par l’Azerbaïdjan. Pourtant, dans un communiqué du 15 mai, cette structure qui organisait les manifestations lors des semaines précédentes, a appelé « à l’apaisement et au respect des consignes » tout en souhaitant poursuivre une mobilisation « de manière pacifique ».

Cité par Mediapart, Rock Haocas, coordinateur général du Parti travailliste et membre de la CCAT, se défend de toute velléité insurrectionnelle. « La guerre urbaine, ce n’est pas ce qu’on a voulu, mais les jeunes sont arrivés à un stade qu’on ne contrôle plus. On est dans une phase de rupture, et ce n’est pas faute d’avoir averti », regrette Rock Haocas, déplorant l’ignorance du fait colonial dans la réponse apportée par l’exécutif.

Agrégé de droit public et professeur à l’Université de Nouméa, Mathias Chauchat questionne également le ton employé par le gouvernement. « Le risque évident, c’est qu’en criminalisant les leaders indépendantistes qui ne sont pas directement responsables du dérapage des violences, l’État va se priver d’interlocuteurs, et fermer la porte au dialogue », alerte-t-il sur France culture. Le même estime que les renforts, notamment militaires, envoyés par Paris - « pain bénit pour les loyalistes »- va alimenter le procès en impartialité fait à l’État français, perçu comme étant « pour les Français et contre les Kanaks en Nouvelle-Calédonie ». Ce qui aggrave la perception coloniale de la situation, et contribue à jeter de l’huile sur le feu.

L’angle mort du « conflit colonial »

Mathias Chauchat fustige également « la vieille technique » du gouvernement qui criminalise le CCAT mais convie d’autres formations kanakes jugées plus modérées. Une manœuvre qui consiste selon lui « à créer un conflit entre Kanaks, qui se substituerait au conflit colonial ». Apparaît ainsi l’angle mort du discours de l’exécutif : la dimension coloniale de la situation. Ce que plusieurs connaisseurs du dossier s’échinent pourtant à répéter. Jean-François Merle, conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer lors de la négociation des accords de Matignon en 1988, accuse dans Le Monde Emmanuel Macron de passer à côté du sujet.

Selon lui, la volonté du chef de l’État d’élargir le corps électoral aux élections provinciales sans accord entre loyalistes et indépendantistes était fatalement vouée à l’échec. « Mettre en avant l’impératif démocratique alors que la page coloniale n’a pas été tournée, ça ne marche pas », souligne-t-il. « Toucher au corps électoral, sans un accord global et un compromis général, c’est déterrer la hache de guerre. Tout le monde le dit et le répète depuis des années », abonde sur franceinfo Benoît Trépied, anthropologue spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.

Sans accord, la victoire annoncée des loyalistes

Sur l’aspect politique de sa réponse, Emmanuel Macron a d’abord proposé aux élus calédoniens d’avoir un « échange par visioconférence » ce jeudi, et a annoncé sa volonté de ne pas réunir un Congrès tout de suite pour entériner la réforme constitutionnelle. Ce qui est présenté, du côté de l’Élysée, comme le souhait de laisser vivre la perspective d’un accord entre les différentes parties. Sauf que, là encore, l’exécutif fait encore peser la pression sur les indépendantistes puisqu’en cas d’échec des négociations, les loyalistes obtiendraient gain de cause, puisque le chef de l’État a prévu de réunir « avant la fin juin » le Congrès.

Ce qui revient à octroyer un atout de plus dans la manche des loyalistes, et à déséquilibrer la négociation en leur faveur, puisque les indépendantistes seront sous le coup d’un ultimatum. Soit précisément ce qui jette les émeutiers dans les rues de Nouméa, dans un contexte où les armes sont très nombreuses dans l’archipel et où certains « Caldoches » assument de se faire justice eux-mêmes en cas d’attaque, voire se constituent en milices.

Une situation éruptive qui incite plusieurs responsables de gauche à demander au gouvernement de revoir sa copie. Président du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner partage l’ambition de l’exécutif de « rétablir l’ordre républicain » sur place, mais presse l’exécutif de « construire de justes équilibres pour parvenir à une désescalade de la crise ». Ce qui passerait selon lui par l’abandon de la réforme constitutionnelle d’une part, et par la reprise du dialogue entre les différentes parties et ce, sans fixer l’ultimatum du Congrès comme date limite. Le tout sous l’égide impartiale de Matignon, et non du ministère de l’Intérieur. Pour l’heure, nous n’y sommes pas encore. Quant à la réunion en visioconférence, elle a été annulée.

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