Nobel de la paix: la symbolique derrière le choix des trois lauréats

Nobel de la paix: la symbolique derrière le choix des trois lauréats

Une prise de position forte et hautement symbolique. Ce vendredi, le Nobel de la paix a été attribué à un trio de représentant des sociétés civiles en Europe de l'Est, le militant biélorusse Ales Beliatski, l'ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles.

"Le comité Nobel norvégien souhaite honorer trois champions remarquables des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique dans les trois pays voisins Biélorussie, Russie et Ukraine", a déclaré sa présidente Berit Reiss-Andersen. En ces temps de conflit ukrainien, ce choix est d'autant plus significatif qu'il est inédit.

"En 1917 ou en 1944, il avait été attribué au comité de la Croix-Rouge, comme pour ne pas prendre position. C'est la première fois qu'on prend position aussi fortement", assure Patrick Sauce, journaliste spécialiste dans les questions de politique internationale de BFMTV.

Memorial et le "signal faible"

En filigrane de cette récompense, il semble bel et bien y avoir une volonté de récompenser l'opposition au président russe. "C’est un message direct à Vladimir Poutine", explique Nadezda Kutepova, réfugiée politique russe, membre de l’association Russie-Libertés.

Cette critique est en particulier perceptible à travers le choix de Memorial, cette ONG russe dissoute fin 2021 et qui avait comme mission de faire la lumière sur les purges staliniennes, puis les répressions dans la Russie contemporaine de Vladimir Poutine.

L'hiver dernier, la justice russe avait prononcé la dissolution de Memorial pour des violations d'une loi controversée sur les "agents de l'étranger", une décision qui avait choqué en Occident comme en Russie et suscité une avalanche de condamnations. Elle avait précédé de quelques semaines seulement le début de l'invasion en Ukraine.

"Son action est indispensable dans un pays ou Poutine veut réécrire l'histoire. Sa dissolution était un signal faible que l'on n'a pas su interpréter dans le narratif du Kremlin pour amener à l'opération militaire spéciale du 24 février, il fallait couper 'les mauvaises herbes'", analyse le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV.

Parallèlement, Memorial dressait la liste des prisonniers politiques, leur fournissait une assistance, comme aux migrants et aux minorités sexuelles.

"L'honneur de la démocratie"

Le choix de récompenser l'activiste Ales Beliatski n'est pas non plus anodin. Ce Biélorusse, actuellement emprisonné dans cette dictature devenue état-vassal de la Russie, était depuis des décennies le visage de la défense des droits dans un pays toujours plus autoritaire. Au pouvoir, Alexander Loukachenko, proche du Kremlin, est l'un des derniers dirigeants à soutenur la Russie dans le conflit ukrainien.

Âgé de 60 ans, le fondateur de l'organisation Viasna ("Printemps") avait été arrêté pour "évasion fiscale", affaire perçue comme une vengeance du président actuel, au pouvoir depuis 1994 et qui musèle toute forme de critique à coup d'arrestations ou de matraques, depuis le vaste mouvement de contestation post-électoral de l'été 2020 qui a fait trembler son régime. Berit Reiss-Andersen a immédiatement appelé le régime à libérer l'avocat.

Ce n'est pas le premier passage en prison depour Ales Beliatski ni sa première vague de répression. Sa précédente incarcération, pendant près de trois ans, de 2011 à 2014, avait été aussi orchestrée pour des motifs fiscaux. Son arrestation était alors intervenue quelques mois après une présidentielle qui avait déjà donné lieu à des manifestations d'opposition sévèrement réprimées.

"Ces ONG, cet avocat, sont l’honneur de la démocratie face à deux régimes totalitaires. Cela traduit aussi, et ce n’est pas négligeable, ‘l’inquiétude qu’il y a par rapport à la vision impérialiste de Poutine et du discours de la grande Russie. C’est un soutien à d’autres formes de combat, celui des droits de l’homme", souligne encore le général Pellistrandi.

Appel à la résistance

"Pour l'ONG ukrainienne, c'est en écho avec ce qui s'y passe actuellement", abonde encore Patrick Sauce, tandis que l'Ukraine est déchirée depuis plus de sept mois par le conflit qui l'oppose à Moscou. Vendredi en milieu de journée, le Centre ukrainien pour les libertés civiles s'est d'ailleurs réjouit de cette récompense.

"Nous sommes heureux", a réagi l'une des responsables de l'ONG, Olexandra Romantsova, tout en ajoutant avoir encore "un tas de travail à faire pour la victoire". Elle a annoncé une conférence de presse pour samedi et précisé être en route vers l'Ukraine avec la cheffe de l'organisation, Olexandra Matviïtchouk.

Au-delà de la critique de Vladimir Poutine, cette triple attribution est également un appel à résister à l'attention de la société civile de ces trois pays.

"Ce qui est important c’est de soutenir la société civile complètement éliminée dans ces trois pays, les réseaux horizontaux des gens qui se réunissent", conclut Nadezda Kutepova, réfugiée politique russe, membre de l’association Russie-Libertés et également proche des fondateurs de Memorial.

Article original publié sur BFMTV.com