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Nigeria et Cameroun divergent sur la lutte contre Boko Haram

par Bate Felix DAKAR (Reuters) - Les relations de méfiance entre le Nigeria et le Cameroun et leurs désaccords sur la stratégie à mettre en oeuvre contre Boko Haram paralysent les initiatives visant à déployer une force régionale face au groupe islamiste armé dont l'insurrection, lancée en 2009, déborde désormais des frontières du seul Nigeria. En octobre dernier, le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad, les quatre pays bordant le lac Tchad, s'étaient entendus pourtant pour unir leurs forces face aux combattants islamistes. Le Bénin devait également s'associer à cette force régionale censée regrouper 2.800 soldats. Mais les désaccords entre le Nigeria et le Cameroun ont fait dérailler le processus. Au début du mois, les combattants de Boko Haram ont rayé de la carte la ville de Baga, en bordure du lac Tchad, qui devait précisément servir de quartier général à la force régionale en projet. Jusqu'à 2.000 personnes ont été massacrées lors de la chute de Baga. "L'obstacle principal à cette force multinationale provient de la méfiance historique et des tensions sous-jacentes entre deux acteurs clefs: le Nigeria et le Cameroun", indique Imad Mesdoua, analyste basé à Londres du groupe de consultants Africa Matters. DOUTES SUR LES CAPACITÉS DE L'ARMÉE NIGÉRIANE D'après des diplomates et des militaires, le Cameroun aurait notamment insisté pour qu'aucun soldat étranger ne soit déployé sur le territoire du Nigeria au motif que l'insurrection de Boko Haram constitue une affaire intérieure - le groupe islamiste prétend instaurer un califat dans le nord à majorité musulmane du Nigeria. De même, ajoute un autre diplomate, Yaoundé aurait été préoccupé par la possibilité offerte à l'armée nigériane de franchir la frontière séparant les deux pays, en raison de la très mauvaise réputation des soldats nigérians et de leur comportement à l'égard des populations civiles. Le Cameroun, mais aussi le Niger et le Tchad, doutent aussi de la volonté de l'armée nigériane d'affronter les islamistes. Les soldats que le Niger avaient envoyés à Baga ont ainsi été rappelés par Niamey face à la progression des combattants de Boko Haram, qui prenaient ville sur ville et chassaient devant l'armée nigériane, dont des soldats ont trouvé refuge au Niger. "Très rapidement, il est devenu évident que les soldats nigérians évitaient d'une certaine manière les combats et ne réagissaient pas énergiquement aux offensives de Boko Haram", dit un haut responsable militaire à Niamey. "Le Tchad et le Niger, poursuit-il, ont décidé de retirer leurs soldats de Baga parce qu'ils ne voulaient pas servir de chair à canon." Au Nigeria, où le général Chris Olukolade, porte-parole du ministère de la Défense, a réfuté ces accusations et défendu les forces armées "hautement patriotiques et engagées" de son pays, les autorités mettent en cause la passivité présumée des forces camerounaises qui laisseraient Boko Haram se servir du nord du Cameroun comme base de repli et voie d'approvisionnement. MENACE COMMUNE Le massacre de Baga et les incursions de plus en plus fréquentes des islamistes hors des frontières du Nigeria sont peut-être en train de modifier les choses. Le Tchad a envoyé le week-end dernier plusieurs centaines de soldats au Cameroun, où les soldats d'élite de la Brigade d'intervention rapide affrontent presque quotidiennement les combattants de Boko Haram. Le président ghanéen John Mahama, président en exercice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), a annoncé de son côté que les pays de la région presseraient l'Union africaine de créer une force multinationale contre Boko Haram lors du sommet des chefs d'Etat fin janvier à Addis-Abeba. Si cette force voit le jour, les quatre pays riverains du lac Tchad, dont les ministres de la Défense et des Affaires étrangères étaient réunis ce mardi à Niamey, en formeront la colonne vertébrale. Un éventuel succès militaire dépendra de leurs capacités à surmonter leurs divergences et mettre en commun moyens militaires et renseignement placés sous un commandement unifié, soulignent experts militaires et diplomates. "Le Nigeria mène des opérations militaires et le Cameroun combat Boko Haram mais je pense que nous en arrivons à un point où il faut probablement envisager la création d'une force régionale ou multinationale", soulignait John Mahama vendredi dernier. Face au danger que représente désormais Boko Haram, poursuit le président ghanéen, "nous sommes parvenus au point où ces pays veulent coopérer". (avec Matthew Mpoke Bigg à Accra, Abdoulaye Massalaki à Niamey et Madjiasra Nako à N'djamena; Henri-Pierre André pour le service français)