Néonicotinoïdes : où en est la recherche de solutions alternatives ?

Face à la jaunisse d'une partie de la production de betteraves à sucre, le gouvernement a proposé de revenir, partiellement, sur l'interdiction des néonnicotinoïdes.
Face à la jaunisse d'une partie de la production de betteraves à sucre, le gouvernement a proposé de revenir, partiellement, sur l'interdiction des néonnicotinoïdes.

Face à la détresse des producteurs de betteraves à sucre, en partie infectées par la jaunisse, le gouvernement a proposé de revenir - partiellement - sur l’interdiction des néonicotinoïdes. Pourtant, la recherche de solutions alternatives avance.

Les néonicotinoïdes sont à nouveau au coeur de l’actualité depuis que le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, a proposé, le 6 août dernier, de modifier la loi concernant ces pesticides interdits en France depuis 2016 - mesure en vigueur depuis le 1er septembre 2018.

Un effet sur le système nerveux

Les néonicotinoïdes, autorisés en France depuis 1993, sont des produits phytosanitaires utilisés en traitement de semence - c’est-à-dire qu’ils enrobent les graines au moment où elles sont semées. Ces produits “s’attaquent au système nerveux des insectes”, nous explique Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement).“Les premiers éléments qui ont mené à s’interroger sur les néonicotinoïdes, c’est le fait qu’ils conduisaient à désorienter les insectes. En France, ça avait notamment été montré sur les abeilles, même avec des doses très faibles de produit”, rappelle-t-il. C’est notamment de cette découverte que les néonicotinoïdes tirent leur surnom peu glorieux de “tueurs d’abeilles”. Ils ont aussi la particularité d’être efficaces à très, très faible dose et de s’attaquer à tous les insectes.

S’ils risquent de faire leur retour, dans des conditions très encadrées, à partir de 2021, c’est que les agriculteurs qui cultivent les betteraves à sucre se retrouvent actuellement confrontés à la présence massive de pucerons, dont certains sont porteur d’une maladie qu’ils peuvent transmettre aux betteraves : la jaunisse nanisante, “qui rend la plante naine et donc divise le rendement”, nous décrit Damien Brunelle, agriculteur dans l’Aisne et vice-président de la Coordination Rurale. “L’hiver n’a pas été très froid, le printemps a été relativement chaud, on est donc face à une pression énorme de pucerons”, poursuit-il.

Des alternatives insuffisantes pour Barbara Pompili

Face à la détresse des producteurs, le gouvernement s’est donc orienté vers un retour en arrière, en expliquant vouloir faire appliquer une dérogation à la loi pour cette filière. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, s’est justifiée sur Twitter en expliquant que la “recherche d’alternatives efficaces” a été “insuffisante depuis le vote de la loi” en 2016.

Un point de vue que partage Damien Brunelle, qui affirme que les alternatives chimiques disponibles sont moins efficaces et qu’elles peuvent même conduire à des aberration environnementales : la nécessité de pulvériser plus de produit. Agriculteur spécialisé en conservation des sols, il n’a, pour sa part, pas traité sa production puisque le principe de ce type d’agriculture est de “favoriser la vie du sol”.

Alors, comme d’autres, il a tenté des expériences. “Comme pour le colza, que l’on sème avec des féveroles, des lentilles, de la gesse..., on a essayé de mettre d’autres plantes avec la betterave. Mais cette année, en raison de la sécheresse, si on met une autre culture, elle prend une partie de l’eau et pénalise trop le rendement”, nous explique-t-il. Résultat, comme ses voisins, une partie de sa culture est contaminée, même s’il est peu touché par rapport à d’autres régions.

Pour lui, l’une des pistes à explorer serait bel et bien un retour des néonicotinoïdes, mais en en réduisant les doses. Ce n’est pas du tout par là que la recherche s’oriente.

Une “course à l’armement perdue d’avance”

Le potentiel retour en arrière du gouvernement sur le sujet n’est d’ailleurs pas vraiment du goût de Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS spécialisé en chimie et toxicologie. “Ce n’est pas une question de politique pour moi, je ne regarde que les faits”, nous précise-t-il. Et les faits, c’est que ces produits causent une “pollution généralisée de l’environnement, avec des impacts catastrophiques sur la biodiversité et la santé humaine”, énumère-t-il. “On parle donc de centaines d’hectares de betteraves qui sont affectés par la jaunisse [Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, avance le chiffre de 300 000 hectare, ndlr], ce qui cause une perte qu’on aurait pu éviter, qui va se chiffrer en centaines de milliers d’euros, voire en millions”, décrit le chercheur. “De l’autre côté, on a la qualité de l’environnement, la biodiversité et la santé humaine”, poursuit-il, qui représentent “des milliards d’euros”.

Pour le chercheur, il faut donc accompagner les exploitants vers le changement, et renoncer à un système agricole “qui n’est pas durable”. Une réflexion qui doit se faire à l’échelle mondiale, en accompagnant l’interdiction de certains pesticides en France par l’arrêt des importations provenant de pays où ils sont autorisés, “sinon c’est de la concurrence déloyale”, résume-t-il. Une point sur lequel Damien Brunelle le rejoint : “on ne joue pas à armes égales...”, regrette l’agriculteur.

La recherche ne s’oriente pas non plus vers un nouveau pesticide qui pourrait venir se substituer aux néonicotinoïdes avec la même efficacité contre les insectes, “puisqu’il aurait les mêmes inconvénients”, commente Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Inrae. “Plus on met de pesticides, plus les insectes sont résistants, donc c’est une course à l’armement perdue d’avance”, commente de son côté Jean-Marc Bonmatin.

Réguler naturellement les nuisibles

Bien d’autres pistes sont exploitées et certaines ont même déjà porté leurs fruits. Le premier axe de réflexion consiste à réguler naturellement les pucerons. “La question est de savoir quels sont les mécanismes qui consistent à faire en sorte que des populations d’insectes soient suffisamment faibles au départ de la culture et aient suffisamment peu d’impact à la fin”, nous explique Christian Huyghe. La réponse se trouve dans la nature : les insectes ont presque tous des prédateurs. “Pour les pucerons, ce sont les coccinelles - en particulier les larves de coccinelles - et les syrphes”, décrit le directeur scientifique agriculture de l’Inrae.

Mais pour que les prédateurs puissent exister, il faut que partout dans l’environnement, “il reste des colonies de pucerons, afin que les coccinelles puissent vivre”, poursuit-il, “ça implique donc de réfléchir plus largement, à l’échelle du paysage”. “Si vous laissez le système écologique naturel se faire, sans insecticide, les pucerons qui vont s’installer vont s’accompagner de leurs prédateurs, ainsi que de leurs propres nuisibles et des maladies qui régulent leur population”, complète de son côté Jean-Marc Bonmatin.

Pour poursuivre dans cette logique, il faut d’ailleurs revoir les tailles des champs. “Plus les parcelles sont grandes, moins il y a de régulations biologiques”, détaille Christian Huyghe, car les prédateurs d’une espèce ne peuvent pas la rejoindre si la distance qui les séparent est trop importante. “Une publication remarquable de l’an dernier a montré qu’en moyenne, lorsque les parcelles dépassent quatre hectares, il n’y a plus de régulation, c’est trop grand pour que les insectes puissent se déplacer”, continue-t-il. Or, en France, la taille moyenne était de 63 hectares en 2016 selon l’Insee , 61 hectares en 2017 selon Agreste.

L’écologie chimique, un domaine prometteur

Un autre axe de recherche est actuellement à l’étude, il s’agit de l’écologie chimique. “On s’est demandé si on pouvait faire en sorte que les insectes n’aient pas envie de venir dans un champ”, relate le directeur scientifique agriculture de l’Inrae. “On sait qu’un insecte va quelque part parce qu’il est attiré par des odeurs. Et si on modifie le paysage olfactif, il peut ne pas être attiré voire même fuir s’il y a une odeur qu’il n’aime pas”, développe-t-il.

Ce domaine de recherche émergeant pourrait donc permettre d’organiser le paysage selon les besoins autour des insectes. Dans le cas qui pose actuellement problème, “il faudrait trouver les deux ou trois espèces que le puceron n’aime pas et qu’on pourrait semer en association à la betterave au moment où elle est sensible aux virus”, conclut le chercheur.

S’attaquer à la maladie et non au vecteur

D’autres recherches s’orientent sur la maladie transmise par le puceron, et non sur le puceron lui-même, qui n’en est que le vecteur. “Ce qui est largement travaillé, c’est la recherche de variétés de betteraves sucrières tolérantes ou résistantes aux virus que le puceron transporte”, nous éclaire Christian Huyghe.

“Il existe des betteraves déjà résistantes à cette maladie”, entame de son côté Jean-Marc Bonmatin. “Elles sont certes un peu moins productives, mais il y a peut-être des choix à faire”, poursuit le chercheur au CNRS, pour qui la solution la plus logique est de tenter d’éliminer la maladie plutôt que de tuer le vecteur.

Agir en amont

Pour le chercheur spécialisé en chimie et toxicologie, il faut surtout se concentrer sur le préventif et agir en amont, notamment en instaurant des rotations de cultures - “si les betteraves sont installées au même endroit tous les ans, forcément les pucerons reviennent, ça favorise leur développement”, commente-t-il - mais aussi en utilisant des variétés plus résistantes et en expérimentant des semis tardifs ou précoces.

De cette façon, les cultivateurs vont “cumuler les facteurs qui réduiront la probabilité que les pucerons arrivent et que les betteraves développent la jaunisse”, analyse Jean-Marc Bonmatin. À l’inverse, sans ce travail en amont, “je comprends que les agriculteurs se retrouvent coincés et qu’il n’y ait plus que les insecticides les plus toxiques pour se débarrasser du problème”, poursuit-il.

En clair, si la recherche avance, elle ne s’oriente pas vers une alternative miracle aux néonicotinoïdes, mais plutôt vers une combinaison de solutions, plus ou moins longues à mettre en place.

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