"On ne va pas le laisser tranquille": comment Gérald Darmanin a mis la pression à Michel Barnier sur les impôts

L'atmosphère s'est tendue entre le Premier ministre et l'ex-ministre de l'Intérieur qui a jugé "inacceptables" les hausses d'impôts très ciblées annoncées. Ses proches espèrent gagner les derniers arbitrages avant la présentation du budget, bien décidés à pousser leur avantage. Avec jusqu'ici un certain succès.

La température est montée de quelques degrés jeudi matin entre Gérald Darmanin et Matignon, avant de finalement redescendre après une longue interview quelques heures plus tard de Michel Barnier sur France 2. Retour sur un épisode qui montre comment l'ancien ministre de l'Intérieur compte bien peser sur la question très politique des impôts.

Acte un: jeudi matin, l'ex-locataire de Matignon juge "inacceptable" "le budget tel qu'il est annoncé" par Michel Barnier sur France info.

Avant de lancer: "Je ne voterai pas une augmentation d'impôt", assurant que le Premier ministre était sur la pente "contraire à tout ce que nous avons fait depuis très longtemps". Un pavé dans la mare deux jours à peine après les premiers pas du chef du gouvernement devant les députés.

"On sera clair sur nos lignes rouges. Ça fait des jours qu'on dit non aux hausses d'impôt et Barnier y va quand même. On ne fait que répéter ce qu'on pense, on ne va pas le laisser tranquille", nous explique alors un lieutenant de Gérald Darmanin.

Après 7 ans de baisse continue d'impôts et confronté à une "dette colossale", véritable "épée de Damoclès", Michel Barnier a annoncé mardi dans sa déclaration de politique générale qu'il entendait demander "un effort limité dans le temps" aux très riches et les très grandes entreprises, sans préciser de durée ou de montant.

Sentant monter la grogne, Laurent Saint-Martin, le nouveau ministre du Budget, explique sur RTL que "la contribution exceptionnelle" pour les plus riches devrait concerner seulement 0,3% des ménages, quelques minutes après le coup de gueule de Gérald Darmanin. Pas question non plus de "toucher au barème de l'impôt sur le revenu". Sans guère rassurer alors les députés Renaissance.

"On n'a jamais été élu pour augmenter les impôts. On ne peut pas défendre une telle logique", s'agace le député Charles Rodwell, un proche de l'ex-ministre de l'Intérieur, signataire dimanche d'une tribune qui jugeait "impensable" la moindre augmentation d'impôts.

Il est vrai que le chef de l'État n'a eu de cesse de multiplier les baisses d'impôts pour les ménages et les entreprises depuis 2017: fin de la taxe d'habitation, disparition de l'impôt sur la fortune, baisse des impôts sur les sociétés...

Une politique volontariste qui a permis à Bruno Le Maire de se vanter lors de son discours d'adieux à Bercy d'avoir mis en place "55 milliards d'euros de baisse d'impôts depuis 2017" mais qui a aussi pour conséquence d'avoir un déficit qui risque de dépasser les 6% à la fin de l'année.

De quoi pousser Michel Barnier à devoir faire des choix "sur une ligne de crête". Manifestement soucieux de ne pas annoncer trop rapidement une politique qui pourrait bien se résumer "à du sang et des larmes", le Premier ministre semble décidé à égrener au fur et à mesure les dispositifs choisis pour faire des économies.

Annonce du gel temporaire des pensions de base des retraités qui seront revalorisées en juillet et non en janvier, probable alourdissement de la fiscalité sur les jeux d'argent, éventuelle augmentation des impôts sur les sociétés, hypothétique réduction de l'allègement des cotisations sociales sur les bas salaires... Plusieurs pistes de réflexion à Bercy ont été dévoilés dans la presse mercredi et jeudi.

"On revient sept ans en arrière", se plaint dans la foulée Roland Lescure, ex-ministre délégué à l'Industrie, renvoyant au quinquennat de François Hollande.

"On est en état d'alerte en voyant tous ces éléments distillés au fur et à mesure. On ne peut pas découvrir des choses comme ça au fur et à mesure et se rendre compte que toutes les entreprises vont, à la fin payer plus d'impôts", tance encore le député Charles Rodwell.

Message reçu 5 sur 5 par Michel Barnier. Jeudi soir, moins de 12 heures après les propos de Gérald Darmanin, le Premier ministre clarifie sa position.

"Nous allons demander un effort aux plus grandes entreprises qui font plus d'un milliard" d'euros de chiffre d'affaires", ce qui "représente 300 entreprises", développe-t-il alors. Le "temps" de cette contribution supplémentaire "sera fixé dans la loi peut-être pour un an, peut-être deux ans".

"Mais il n'y aura pas d'impôts nouveaux sur la quasi-totalité des 4 millions d'entreprises", ajoute-t-il encore en réfutant tout "choc fiscal".

De quoi rassurer Gérald Darmanin qui, alors que l'émission avec Michel Barnier, commence tout juste, se fend d'un long message sur X (anciennement Twitter) expliquant craindre "une augmentation très importante de l'impôt sur les sociétés en France".

Second message doux à ses oreilles: la volonté par Michel Barnier de lancer "pour l'année prochaine" un chantier de "l'allocation sociale unique" qui vise à fusionner toutes les prestations sociales.

Si la proposition a été portée par le patron des députés LR Laurent Wauquiez qui souhaite "une allocation sociale unique plafonnée à 70% du SMIC", Gérald Darmanin l'a déjà évoqué à plusieurs reprises.

"Bonne nouvelle", se félicite-t-il dans la foulée. "Plus que jamais, ne pas travailler rapporte autant que de l’effort de travailler !"

Michel Barnier a-t-il fait durablement redescendre la pression? La question est ouverte alors que les sujets de friction devraient continuer à se multiplier, une fois le Budget présenté le 10 octobre prochain et le détail précis de toutes les économies dévoilées.

D'autres dossiers chauds devraient bientôt arriver sur son bureau à l'instar de l'immigration qui pourrait diviser une partie de la macronie ou encore la fin de vie, un sujet brûlant pour la droite.

Bien conscient des prochains mois qui l'attendent, Michel Barnier a répété à plusieurs reprises jeudi soir "accepter d'être impopulaire".

Article original publié sur BFMTV.com