"Je ne peux plus porter tout ça": rescapés de la Belle équipe, ils vont témoigner au procès du 13-Novembre

Eliane et Frédéric, rescapés de la Belle Equipe, ont choisi de venir témoigner devant la cour d'assises pour la mémoire de leur amie tuée dans les attaques mais aussi pour "se décharger" de cette culpabilité du survivant.

Depuis six ans, Eliane et Frédéric* avaient mis de côté ce jour tragique. Ce 13 novembre 2015 où, attablés à la Belle Equipe, ils ont été visés par les tirs des commandos terroristes, s'en sont sortis miraculeusement, quand leur amie Véronique n'a pas survécu à ses blessures.

Depuis six ans, Eliane et Frédéric n'ont pas remis les pieds à Paris, à part lors de déplacements professionnels. Depuis six ans, ils ont "subi", "réagi", mais en fait on vivait dans un entre-deux", confient-ils à BFMTV.com. Ils reviennent finalement dans la capitale ce vendredi pour témoigner devant la cour d'assises spéciales.

"Cette histoire mérite une virgule, une page qui se tourne et à part la justice il ne peut y avoir autre chose", explique Frédéric.

"Une amitié de 20 ans"

Ce 13 novembre 2015, le couple, qui habite Grenoble, est de passage à Paris pour le week-end. Ils sont logés chez leur amie Véronique, "une amitié de 20 ans", souffle Eliane.

Ce soir-là, il fait bon dehors, le trio décide d'aller manger dans le quartier. Le mari de Véronique est absent pour affaires, ses enfants de 12 et 14 ans restent seuls à l'appartement. Les voilà partis à la recherche d'un endroit pour dîner quand ils tombent sur une petite table "pour nous juste derrière la vitre" de la Belle équipe.

"Nous venions d'avoir notre commande quand il y a eu comme une explosion", se souvient Eliane. "On a entendu comme des bruits de pétards", poursuit Frédéric. "Je ne me suis pas inquiété jusqu'au moment où je crois avoir dit 'couchez-vous, couchez-vous!' On est resté couchés sous la table..."

"J'ai tout fait pour la sauver"

Pour Frédéric, certains détails n'ont ressurgi que depuis quelques semaines. Des morceaux de vie qu'il n'avait jamais évoqués, même auprès de son épouse. Depuis toutes ces années, il se souvient, comme une "obsession", "quand les coups de feu se sont arrêtés" de cet homme habillé de noir à quatre mètres de lui en train de réarmer son arme. "Puis il a tiré sur tout ce qu'il bougeait", souffle-t-il.

"C'est long, c'est très très très long et quand ça s'arrête, c'est la misère autour de vous", évoque Frédéric. "Tous ces gens qui étaient au bar, je ne les connaissais pas, je ne les ai vus qu'après."

Jusqu'à ce moment du récit, Eliane et Frédéric n'évoquent pas leur amie Véronique. Puis presque comme pour s'excuser, ce dernier lance: "Elle est restée vivante un court instant, j'ai fait tout ce que je pouvais pour la sauver." Frédéric a transporté son amie dans un bar à proximité, transformé en hôpital de fortune, avant de lui faire un massage cardiaque. Un secouriste a fini par lui dire "Monsieur arrêtez, c'est fini". Le corps de Véronique a été allongé dans la rue aux côtés de ceux des autres victimes.

"On est parti à trois, on est rentré à deux", résume sobrement Eliane.

La justice, "une suite logique"

Frédéric ne lui avait jamais raconté aussi précisément les gestes qu'il a eus pour tenter de sauver leur amie, jusqu'à ce rendez-vous il y a quelques semaines chez leur avocat. "Avant que je ne les rencontre, ils avaient complètement fermé les écoutilles", explique Me Hervé Gerbi. "Les événements restaient en sourdine chez Frédéric mais il n'avait pas mis de mots sur ce qui leur est arrivé. Ils sont restés pendant des années à vivre de la sorte avec les difficultés personnelles et professionnelles que ça peut engendrer."

Pourtant pour Eliane et Frédéric, le "pire" est arrivé après l'attaque. "Nous sommes retournés à l'appartement de Véronique", confie Eliane. "Ses enfants avaient allumé la télévision, ils ont immédiatement demandé 'elle est où maman?'" Frédéric se souvient avoir dû leur "cacher sa chemise tachée de sang". Après avoir attendu le retour du mari de leur amie à Paris, le couple a quitté la capitale pour "se terrer" dans leur domicile à Grenoble.

"On s'est dit 'ça va passer', mais ça ne passe pas", souffle Frédéric. "La justice, c'est une suite logique de ce qu'on vit."

"Je ne peux plus porter tout ça"

Il y a plusieurs mois, Frédéric rencontre son avocat. Un travail est fait avec un psychiatre. "Eliane est venue plus tardivement me voir, presque par curiosité", se souvient Me Hervé Gerbi. "Elle avait considéré que son mari avait évolué, que sa parole s'était libérée." Ensemble, ils travaillent alors sur une éventuelle venue au procès devant la cour d'assises spéciale, notamment pour témoigner. "S'ils décidaient de ne pas être présents, il ne fallait pas qu'ils aient des regrets", poursuit le conseil.

Ensemble, mais l'un après l'autre, Eliane et Frédéric témoigneront finalement ce vendredi devant la cour d'assises. Ils s'y sont préparés, les interviews avec les journalistes sont comme un galop d'essai. Ce jeudi, le couple devait aller écouter les autres témoignages des autres victimes.

Eliane dit espérer "avoir la force" de regarder les accusés en face. "Ça va être un moment difficile", craint-elle. "Je me raccroche à du positif pour y arriver car c'est nécessaire de le faire. Ils ont tué une amie, c'est quelque chose d'inacceptable. J'ai envie qu'ils entendent ce qu'ils ont fait."

"Les victimes ont le droit de dire des choses, et les accusés auront le droit de recevoir ces choses-là", prévient Frédéric. "Ce sont des choses que je ne veux plus porter, nos histoires il n'y a qu'eux qui doivent les porter."

* Les prénoms ont été modifiés.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Procès du 13-Novembre: les premières victimes à la barre