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"On ne devrait pas fanfaronner": Emmanuel Macron est-il vraiment "au rendez-vous" pour le climat?

Emmanuel Macron à la COP26 à Glasgow le 1er novembre 2021 - ALAIN JOCARD © 2019 AFP
Emmanuel Macron à la COP26 à Glasgow le 1er novembre 2021 - ALAIN JOCARD © 2019 AFP

"Prendre leurs responsabilités." Dans son discours inaugural de la COP26 à Glasgow qui a pris fin ce samedi, Emmanuel Macron a pointé du doigt les gros émetteurs de CO2, les invitant à rehausser "leurs ambitions dans les 15 jours qui viennent pour rendre crédible l’objectif de 1,5°".

Pendant dix minutes, bien loin des 180 secondes officiellement accordées à chaque chef d’État, le président français a distribué les bons comme les mauvais points, estimant que "l’Union européenne, la France et le Royaume-Uni sont aujourd’hui au rendez-vous de ces engagements". Mais Emmanuel Macron est-il un exemple en matière de lutte contre le réchauffement climatique?

876450610001_6279788903001 "On est très loin du Make our planet great again", s’est désolé ce mercredi le candidat écologiste Yannick Jadot. En réaction à la décision de Donald Trump de se retirer des accords de Paris, en 2017, Emmanuel Macron avait alors parodié son slogan de campagne Make America Great Again, pour promettre à la place de "redonner sa grandeur à notre planète.

"Incontestablement, Macron s’était construit une image (écologique) à l’international", a reconnu Yannick Jadot, avant de rappeler que la France a été condamnée à deux reprises pour "inaction climatique". En novembre 2020 d'abord, avec la décision inédite du Conseil d'Etat dans la ville de Grande-Synthe (Nord), fixant un ultimatum de trois mois à la France. Mi-octobre, le tribunal administratif de Paris, saisi par quatre ONG sous le nom de "l’Affaire du siècle", l’a également condamnée pour ses engagements climatiques non tenus sur la période 2015-2018.

"Le président Macron peut ainsi en toute impunité exiger des efforts du monde entier sans le moindre risque alors qu’il a été condamné deux fois (…) Il ridiculise la France", a déploré l’insoumis Jean-Luc Mélenchon dans une tribune parue le 4 novembre dans Libération.

"La France s’est assise sur ses lauriers"

"La France ne devrait pas du tout fanfaronner", insiste Anne Bringault, coordinatrice des programmes chez Réseau Action Climat, qui fédère 25 associations environnementales, auprès de BFMTV.com. Si l’Union Européenne se montre ambitieuse, avec la promesse de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, la trajectoire de la France se situe elle, autour de 40 %.

"Les efforts récents restent insuffisants", constate le rapport 2021 du Haut Conseil pour le climat (HCC), une instance indépendante créée en 2018 par le gouvernement, qui préconise une baisse des émissions deux fois plus rapide.

Le député de l’Isère et référent de la transition écologique à LaREM, Jean-Charles Colas-Roy l'admet auprès de BFMTV.com: "Il nous faut avoir l’humilité de reconnaître que sur l’écologie, il faut aller plus loin." Mais il assure que "la voix de la France porte en Europe et dans le monde sur les sujets environnementaux", citant le titre de champion de la Terre décerné à Emmanuel Macron en 2018 par l'ONU.

"Notre pays est pris comme une référence car on a un des mix énergétiques les plus décarbonés au monde, grâce à notre complémentarité entre le nucléaire et le renouvelable", ajoute le député.

Agriculture et transports: des efforts attendus

Cet argument masque la réalité pour Anne Bringault. "La France est loin d’être un leader, elle s’est beaucoup assise sur ses lauriers avec son électricité décarbonée", regrette-t-elle. Portée par le nucléaire, la production d’électricité en France ne représente aujourd'hui que 5% des émissions de gaz à effets de serre en 2019.

Mais "sur les autres secteurs, la France n’a quasi rien fait et a pris du retard", insiste la responsable du Réseau action climat, qui regrette la place accordée au nucléaire dans les débats: au global, dans l'Hexagone, les deux tiers de l’énergie consommée sont encore d’origine fossile.

Parmi les secteurs les plus polluants, figurent en tête les transports (31%) et le secteur agricole (19%), pour lesquels le Haut Conseil pour le climat a épinglé la France.

"Les émissions des transports stagnent de façon préoccupante, et le secteur agricole voit ses émissions diminuer plus lentement que les autres secteurs", pointe l’instance.

Elle note tout de même "des progrès" dans les secteurs des bâtiments (17%), de l’industrie (19%) et de la transformation d’énergie (10%).

"Discours crédible et responsable"

Deux Français sur trois se déclarent insatisfaits de l’action du gouvernement en matière de politique environnementale, dans la moyenne des autres thèmes, selon un sondage réalisé par Elabe pour BFMTV mi-octobre.

"Il faut être lucide. On n’a pas encore réussi à convaincre largement. C’est ma plus grande frustration", expliquait le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal le 4 octobre au Figaro. Si le porte-parole du gouvernement a multiplié les déplacement à ce sujet en octobre, visitant le site du grand projet EuropaCity abandonné par le gouvernement, ou en Vendée sur le thème de l’hydrogène vert, il s’est fait plus discret durant la COP26.

"Je ne me gargarise pas de notre bilan (écologique) mais je refuse de dire comme les oppositions, que nous n’aurions rien fait", insiste le référent de la transition écologique LaREM Jean-Charles Colas-Roy, vantant un "discours crédible et responsable" et des efforts sans précédents.

Et de citer: "le plan hydrogène (7 milliards d’euros d’ici 2030), la rénovation énergétique des bâtiments avec Ma Prime Renov, la réindustrialisation du pays et la fermeture des centrales charbon."

"'On a fait mieux que ceux d’avant', la belle affaire!", s’exclame l'ex-marcheur Matthieu Orphelin, député écologiste de Maine-et-Loire et porte-parole de Yannick Jadot. "Vous imaginez si en plus ils avaient fait moins que les socialistes du mandat précédent? Ça n’a pas de sens comme argument." Avant de rappeler "l’échec" de la Convention citoyenne pour le climat, dont peu de mesures ont été reprises par le gouvernement. "Ils peuvent se rassurer comme ils veulent, ils ne dupent personne", raille-t-il.

"Une alliance climaticide pour sauver le nucléaire"

La preuve ultime pour les écologistes se déroule en marge de la COP26. Une bataille stratégique se livre en ce moment à la Commission européenne sur la "taxonomie verte". Il s’agit d’une liste des énergies considérées comme vertueuses pour le climat, qui pourront bénéficier de sommes dédiées à la finance verte.

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La France se bat pour inclure le nucléaire dans cette liste d’investissements "durables", ce que dénoncent d'autres pays. Plus discrètement, Paris se fait aussi le défenseur du gaz, au grand dam des ONG environnementales. Une forme de deal entre les pays d’Europe de l’est comme la Pologne, dépendants du charbon et prêts à soutenir le nucléaire, a été révélée par un document émanent de Paris obtenu par l’AFP.

Yannick Jadot a dénoncé "une alliance climaticide pour sauver le nucléaire" mercredi devant la presse. "Les masques tombent" a abondé Marie Toussaint, conseillère climat de l’écologiste et chargée du dossier des infrastructures énergétiques pour les Verts au Parlement européen.

"L'enjeu, c'est d'être pragmatique"

Le référent de la transition écologique à LaREM, Jean-Charles Colas-Roy, voit davantage une "convergence d’intérêt" qu’un "deal" dans cette alliance controversée.

"On voit là des écologistes politiques qui disent de façon simpliste 'vous soutenez le gaz, vous n’êtes pas ambitieux', rétorque Jean-Charles Colas-Roy. Non, l’enjeu c’est d’être pragmatique et de trouver les moyens les plus utiles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’éviter les black out".

Difficile pour des pays dépendants du charbon de se passer rapidement de cette énergie fossile, explique le marcheur. Il défend le gaz comme énergie de transition, émettant deux fois moins de CO2 que le charbon.

À la COP26 la France a finalement rejoint ce jeudi l’alliance Beyond Oil & Gas ("au-delà du pétrole et du gaz"), composée d’une vingtaine de pays, s’engageant à ne plus octroyer de nouvelles concessions et licences pour la production et l’exploration de pétrole et de gaz.

"La France est devenue en 2017 le premier pays au monde à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur son territoire. Nous voulons faire preuve de la même détermination à l’échelle mondiale" a déclaré mercredi Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique.

Les belles déclarations de la France font cependant grincer des dents. Dans une tribune publiée mercredi sur France Info, une soixantaine d’élus, dont Jean-Charles Colas Roy lui-même, demandent l'arrêt du projet d'exploitation de gaz de couche, une énergie fossile émettrice de gaz à effet de serre, en Moselle. Le gouvernement doit se prononcer dans les prochains mois sur une demande de permis, déposée en 2018. Loin des ambitions affichées par Barbara Pompili.

Article original publié sur BFMTV.com