Naufrage en Sicile: des erreurs humaines en cause en plus de la trombe marine?
Outre la tempête et la trombe marine qui ont fait sombrer le super yatch au fond de la mer Méditerranéenne, de potentielles erreurs humaines sont avancées par le constructeur et certains spécialistes, alors que les opérations de secours se poursuivent, ce vendredi 23 août pour retrouver le corps de la sixième et dernière personne disparue dans le naufrage.
"Tout ce qui s'est passé révèle une longue série d'erreurs", affirme le patron du groupe naval The Italian sea group, propriétaire du chantier naval Perini navi qui a construit le "Bayesian", Giovanni Costantino, dans plusieurs interviews accordées à Sky news et aux médias italiens.
Une trappe ou des écoutilles laissées ouvertes?
Plusieurs experts estiment que si le voilier de 56 mètres de long a sombré aussi rapidement, en quelques minutes selon les témoignages, c'est qu'il a absorbé rapidement une importante quantité d'eau. Une trappe, des fenêtres ou des écoutilles ont dû être laissées ouvertes, accélérant le processus.
Une première erreur d'inattention tempérée par Andrea Ratti, professeur de conception nautique à l'université polytechnique de Milan auprès de l'agence de presse britannique Reuters: plusieurs hublots, fenêtres ou autres ouvertures auraient pu être brisés ou fracassés par la trombe marine.
"Pour que le navire coule, surtout à cette vitesse, il faut que l’eau se fraye un chemin à l’intérieur du navire sur toute sa longueur", explique Jean-Baptiste Souppez, membre de la Royal Institution of Naval Architects à la BBC.
La dérive mobile partiellement relevée, selon les plongeurs
Avant d'ajouter: "Les navires de ce type ne sont pas conçus pour rester à 90 degrés pendant un certain temps. S'il se navire se retrouve à 90 degrés, on peut s'attendre à ce que l'eau pénètre à l'intérieur, que les écoutilles soient ouvertes ou non. Mais cela accélèrerait évidemment le processus".
La vitesse à laquelle le yacht a coulé, et le fait que les autres bateaux autour de lui n'aient pas été touchés, suscitent aussi des questions. Notamment celle de savoir si la quille lestée -un aileron qui dépasse de la coque du bateau- était abaissée ou relevée au moment de la tempête.
En effet, cette quille vise à assurer la stabilité du navire. En cas de vents forts, elle aide le bateau à se stabiliser: lorsque le vent pousse le bateau sur le côté, elle s'élève dans l'eau, et comme une balançoire, son poids ramène le bateau à niveau. Elle permet ainsi de faire contrepoids au mât inhabituellement haut du navire -72 mètres - qui a pu être pris dans le vent.
"Les vents violents auraient pu attraper le mât et renverser le yacht", déclare Matthew Schanck, président du Conseil de recherche et de sauvetage maritime interrogé par la BBC. Sur un bateau de la taille du Bayesian, les quilles sont souvent conçues pour être rétractées afin que le navire puisse accoster dans des zones moins profondes, comme un port.
D'après les premières observations des plongeurs, cette dérive mobile était en effet partiellement relevée. De quoi rendre le navire, ancré et stationnaire plus vulnérable à la tempête selon Simon Boxall, océanographe et maître de conférences à l'Université de Southampton en Angleterre, cité par la média canadien CBC.
Toutefois, un porte-parole d'Italian Sea Group, propriétaire de la société qui a construit le Bayesian, affirme au journal britannique The Telegraph que "même sans la quille complètement sortie, le navire est stable et seule une entrée massive d'eau aurait pu provoquer le naufrage".
Le propriétaire du constructeur qui a conçu le "Bayesian", Giovanni Costantino, estime par ailleurs que vu les conditions météorologiques annoncées "les passagers ne devaient pas être dans les cabines, le navire ne devait pas être à l'ancre".
"Il est d'usage, lorsque le navire est à l'ancre, d'avoir un garde sur le pont, et s'il était là, il n'aurait pas pu ne pas voir la tempête arriver", poursuit-il.
Il affirme également qu'en voyant la tempête arrivée, "quinze minutes auraient suffi pour activer toutes les mesures de sécurité". "Au lieu de cela, il (le yacht, NDLR) a pris l'eau alors que les invités étaient encore dans leurs cabines. Un angle de 40 degrés suffit pour que ceux qui se trouvent dans une cabine se retrouvent avec la porte au-dessus d'eux: pouvez-vous imaginer un homme de 60 à 70 ans grimper pour sortir?", s'interroge le patron du constructeur naval.
"Un navire Perini a résisté à l'ouragan Katrina, de catégorie 5"
Giovanni Costantino assure également auprès de Sky news ce jeudi qu'il n'y a "eu aucun défaut dans la conception et la construction" de ce yatch.
"En tant que fabricant de bateaux Perini (le type de navire qui a sombré, NDLR), je sais très bien comment les bateaux ont toujours été conçus et construits", souligne-t-il affirmant que ces navires sont "absolument sûrs". Selon lui, la structure et la quille des navires de ce type les rendent "insubmersibles."
"Regardez, un navire Perini a résisté à l'ouragan Katrina, de catégorie 5" qui a dévasté les États-Unis en 2005, dit-il. "Est-ce qu'il a l'air de ne pas pouvoir résister à une trombe d'air locale?"
"Ils sont tombés dans un piège, ces pauvres gens ont fini comme des souris", conclue-t-il.
Matthew Schanck, président du Conseil de recherche et de sauvetage maritime, affirme quant à lui que ces navires "ne sont pas conçus pour traverser des tornades ou des trombes d'eau".
Un capitaine décrit comme "expérimenté"
Par ailleurs, le commandant du "Bayesian", James Cutfield, un Néo-zélandais de 51 ans rescapé du naufrage, a été dépeint par son frère comme un "marin expérimenté" qui a travaillé comme capitaine sur des yatchs de luxe pendant environ huit ans.
Il a également travaillé dans l'industrie de la construction navale pendant de nombreuses années, selon son frère Mark qui s'est exprimé ce mercredi dans les colonnes du journal néo-zélandais NzHerald.
"Je pense qu'il est important de se rappeler que le navire a coulé en quelques minutes, et donc, en pleine nuit, pour l'équipage, pouvoir garder en vie autant de personnes à bord, déployer la fusée de détresse et agir dans le feu de l'action est une tâche difficile", souligne Jean-Baptiste Souppez, membre de la Royal Institution of Naval Architects.
Ce à quoi rajoute son collègue, le Dr Paul Stot: "Il est très difficile de dire précisément ce qui s'est passé ici, mais il est peu probable que l’équipage ait pu réagir de quelque façon que ce soit pour sauver le yacht face à un événement météorologique aussi soudain et catastrophique".
Les deux enquêtes ouvertes - une enquête pénale sous la direction du procureur Ambrogio Cartosio de la ville de Termini Imerese et une enquête administrative menée par la Direction maritime de Palerme - permettront de lever le voile sur ces interrogations. Elles permettront de déterminer si toutes les mesures de sécurité adéquates ont été prises par l'équipage.
De nombreuses réponses pourraient être apportées par les drones sous-marins téléguidés appelés ROV (pour "véhicule sous-marin téléopéré") utilisés dans les recherches. Ces robots, capables d'opérer jusqu'à 300 mètres de profondeur et avec une autonomie de 6 à 7 heures, permettent notamment d'enregistrer des vidéos et des images détaillées du navire qui repose au fond de la baie sicilienne.