Naufrage dans la Manche : « Ils partent car ils sont indésirables ici », regrette cette association d’aide aux exilés
MIGRANTS - Le cauchemar se répète à la frontière. Au large du Pas-de-Calais, mardi 3 septembre, au moins douze migrants sont morts quand l’embarcation sur laquelle ils tentaient de gagner l’Angleterre s’est disloquée, faisant de ce nouveau naufrage la pire tragédie migratoire dans la Manche depuis celle du 27 novembre 2021, lorsque 27 exilés avaient péri.
Selon le procureur Guirec le Bras, les naufragés sont « essentiellement érythréens », et parmi les victimes décédées, dont la moitié sont mineurs, se trouvent dix femmes et deux hommes.
En septembre 2023, Le HuffPost avait suivi à Boulogne-sur-Mer l’association Osmose 62, qui maraude quotidiennement sur les côtes calaisiennes pour venir en aide aux exilés, comme vous pouvez le voir dans le reportage vidéo en tête d’article. Un an plus tard, la co-présidente de l’association Dany Patoux répond à nos questions au sujet de ce nouveau drame et de la situation précaire des migrants au nord de la France.
Le HuffPost. Comment avez-vous appris la nouvelle ce nouveau drame ?
Dany Patoux. Nous étions en maraude et on a appris, via les réseaux, que quelque chose de grave s’était passé. On est partis au port de Boulogne-sur-Mer, où les gendarmes et les pompiers étaient déjà présents. Un bateau est arrivé, puis un deuxième et un troisième… Des corps ont été débarqués, alignés sur le quai et enveloppés d’une bâche blanche. Les autorités nous ont dit de « dégager ». Les journalistes ont aussi été écartés. On ne pouvait avoir aucune info, même en tant qu’association. Nous étions spectateurs et nous ne pouvions que déplorer ce qui se passait.
Nous allons organiser un hommage ces prochains jours. Je ne sais pas ce que je vais dire. On répète toujours la même chose, qu’il faut que les choses changent, qu’il y ait moins de répression (policière). On répète, mais on ne veut pas que ça devienne banal. On ne s’habitue pas à cela.
Avec ce naufrage, 2024 est déjà l’année la plus meurtrière dans la Manche depuis le début de la crise migratoire. Les exilés prennent de plus en plus de risques ?
Oui. Avec ces forces de l’ordre en nombre, les exilés s’éloignent de Calais et Dunkerque. Ils partent de plus en plus de Boulogne-sur-Mer, se mettant en danger puisque la traversée est plus longue. Ce sont les forces de l’ordre qui provoquent cela.
La situation est pire qu’à l’époque des camps (Sangatte, Calais, Grande-Synthe, etc.). Avant, il y avait au moins un moyen pour eux de se reposer. Aujourd’hui, les gens sont traqués, les camps démantelés toutes les 48 heures avec violence. Ces personnes décident donc de se rendre invisibles avant leur départ. Elles se cachent dans des bosquets, ne dorment pas. Ce sont des gens épuisés qui montent dans des bateaux surchargés.
Ils ne veulent qu’une chose : partir à n’importe quel prix, puisqu’ils sont indésirables ici. C’est la répression qui les met en danger.
Aussitôt après ce nouveau drame, Gérald Darmanin est venu à Boulogne pour réclamer un « traité migratoire » entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Il a été accueilli hostilement par une autre association avec une banderole (« Morts aux frontières. États coupables »). Vous l’avez écouté ?
Le ministre veut que les associations travaillent ensemble plutôt que de se rebeller, mais ce n’est pas notre rôle de traquer des personnes. Il croit que la police sauve des vies… en perçant des bateaux.
Nous aussi nous tentons de dissuader ces gens de traverser, en leur disant que les risques sont trop importants, que la mer est dangereuse. Mais ils nous répondent tous la même chose : « Que voulez-vous qu’on fasse d’autre ? ». J’ai vu des gamins de 20 ans pleurer en me disant : « J’ai tenté de faire des papiers en France mais on m’a rebuté X fois. »
En ce qui concerne un nouveau traité de migratoire, je n’ai pas beaucoup de recul sur tout cela. Nous, on est sur le terrain. Mais depuis les accords du Touquet (2004), la frontière anglaise est en France. C’est donc ici que tous les drames se passent. Maintenant, il faut que les pays européens réfléchissent ensemble. Sinon, ça arrivera encore et on déplorera encore les morts.
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