Naufrage, assassinat: 25 ans après la disparition de la famille Godard, le mystère reste entier

Elle est l’une des plus grandes énigmes criminelles françaises. Dans le podcast "Le Titre à la Une", Céline Kallmann revient sur la disparition de la famille Godard. C’était il y a 25 ans, et la justice n’a jamais réussi à percer le mystère de cette affaire.

Saint-Malo, 1er septembre 1999. Yves Godard, un médecin acupuncteur et homéopathe installé à Caen, embarque sur le Nick, un voilier long de neuf mètres qu’il a loué. Il n’est pas seul à bord. Ses deux enfants, Marius, 4 ans, et Camille, 6 ans, l’accompagnent.

Marius et Camille sont nés d’une précédente union. Depuis, Yves Godard a refait sa vie avec Marie-France. Elle est la secrétaire de son cabinet médical. À eux deux, ils forment une famille recomposée. Marie-France a deux enfants nés d’une précédente relation. Ils sont adolescents.

Le 1er septembre 1999, Marie-France n’embarque pas sur le voilier. Mais ça, les enquêteurs le découvriront plus tard.

Un canot pneumatique en pleine mer

5 septembre 1999, un chalutier repère un canot pneumatique en pleine mer. Il s’agit de l’annexe d’un navire de plaisance. L’équipage s’approche. L’embarcation est vide de toute vie humaine, mais un blouson traîne à l’intérieur. Dans l’une des poches se trouve un chéquier. Le nom du propriétaire y est inscrit: Yves Godard. Les pêcheurs préviennent les autorités.

Le document est découvert cinq jours après le début du périple de la famille Godard en mer. La virée devait pourtant durer quatre jours. La presse se fait l’écho de cette affaire. "Le monocoque avait été loué par un couple et ses deux enfants originaires du Calvados", rapporte un journaliste à la radio.

En parallèle, les recherches débutent en mer pour retrouver la famille. Sur terre, les premières interrogations naissent: la simple promenade en famille a-t-elle mal tourné? S’agit-il d’une fuite programmée? L’annexe s’est peut-être simplement détachée accidentellement? D'autant plus que le 2 septembre, le voilier a été contrôlé par la douane. Simple contrôle de routine.

L’espoir est de courte durée. "Le cabinet médical du docteur Godard à Caen ainsi que sa maison de Tilly-sur-Seulles ont été placés sous scellé", annonce la presse.

"Au cours des perquisitions dans cette maison, les enquêteurs ont retrouvé, selon les témoins, plus que des traces, des mares de sang dans la chambre du couple et dans la salle de bain."

Du sang, "il y en avait aussi dans la voiture des Godard retrouvée sur le parking du port de Saint-Malo", poursuit le journaliste.

Dans la presse, on dit d’Yves Godard qu’il est apparemment sans histoire. Qu’il est un navigateur confirmé. Mais la thèse de l’accident en mer semble de moins en moins crédible.

16 septembre 1999, Rémy Heitz, alors procureur de la République de Saint-Malo, prend la parole devant la presse: “le sang prélevé au domicile de Tilly-sur-Seulles ainsi que dans le véhicule découvert sur le parking du port provient de madame Godard”.

Où est passée Marie-France?

Le jour de son départ à Saint-Malo, Yves Godard était seul au volant de son fourgon, assure une voisine auprès d’un journaliste. Le médecin devient le principal suspect dans la disparition de son épouse dont le corps reste introuvable.

Un mandat d’arrêt est lancé. L’affaire Godard bascule dans une tout autre dimension. L’hypothèse de l’accident en mer se referme. La piste criminelle, elle, se dessine. Et toujours cette question en suspens: Yves Godard et ses enfants sont-ils toujours en vie?

Rémy Heitz convoque la presse. "Un homme se trouve aujourd’hui probablement en fuite avec deux très jeunes enfants", annonce le procureur de la République de Saint-Malo. "Rien, et j’insiste bien, rien ne doit donc être entrepris notamment sur le territoire de l’Île de Man qui pourrait être de nature à gêner ou à compromettre l’action des enquêteurs britanniques et français."

17 septembre 1999, un gilet de sauvetage flotte dans la Manche. Il appartient au Nick, le voilier de neuf mètres loué par Yves Godard. 24 septembre 1999, le radeau de survie du voilier est récupéré devant les côtes anglaises. Janvier 2000, un sac avec les affaires du docteur et les vêtements de ses enfants sont retrouvés.

La découverte du crâne

5 juin 2000, déjà dix mois que la famille Godard s’est évaporée. La vie, elle, continue. Les pêcheurs prennent la mer pour faire tourner leur affaire. En triant le poisson, les marins tombent sur quelque chose d'inhabituel: un morceau de crâne humain.

"Dans l’affolement, dans la panique, quand ça vous arrive en pleine nuit, c’est un peu macabre", expliquait l’un d’eux à la presse. "J’ai dit à l’équipe de se débarrasser de ça."

Vers 4 heures, les marins renouvellent l'opération de tri des poissons. "Cette fois-ci, la surprise c’est qu’il y avait un autre crâne beaucoup plus petit et cette fois-ci entier", poursuivait-il. "On voyait bien le dessin des yeux et du nez, et le crâne était intact. Il restait quelques dents."

L’équipage conserve le second crâne et alerte la gendarmerie. Les choses s’accélèrent. Le procureur de la République de Saint-Brieuc ouvre une information judiciaire. 15 jours plus tard, les résultats des analyses réalisées sur le crâne tombent: le crâne appartient à un membre féminin de la famille Godard. Ce crâne, c’est celui de Camille, six ans, fille d’Yves Godard.

Aussi terrible soit-elle pour la famille, la découverte de l’ossement relance l'enquête qui était à l’arrêt. Un chasseur de mine de la marine nationale part sur zone.

Les recherches de l’épave débutent à l’aube, 6 heures du matin dans une mer houleuse. Les enquêteurs se concentrent sur la zone de découverte du petit crâne, en vain.

La carte professionnelle et la plage

Février 2001, la carte professionnelle du docteur Godard ainsi qu’une carte bancaire sont ramassées sur une plage bretonne. Le juge d’instruction ordonne une fouille minutieuse sur l'étendue de sable. Un dragueur de mines sonde les environs de l’archipel. Là encore, sans aucun résultat.

Les pistes se multiplient. Les enquêteurs les étudient toutes, une par une. Certaines mènent en Thaïlande, d’autres aux États-Unis mais aussi en Afrique du Sud. Parce que fausses, elles se ferment une à une. Septembre 2006, de nouveaux ossements sortent de l’eau. "On levait les filets, et on a trouvé le fémur et le tibias", explique un pêcheur. "On a tout de suite pensé à Godard". Et c’était effectivement ça. Trois mois s’écoulent. Nouvelle conférence de presse du procureur de la République. "Il résulte de l’expertise qui a été diligentée que l’ADN cellulaire qui a été extrait a été identifié comme étant celui du docteur Yves Godard." Dans sa mort, Yves Godard éteint l’action publique à son encontre. Le mystère de la disparition de son épouse et de son fils demeure. En septembre 2012, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu. 25 ans après la disparition de la famille Godard, l’épave du voilier, le corps de Marie-France et celui du petite Marius n’ont jamais été retrouvé.

Me Jean de Mezerac, longtemps avocat de la famille de Marie-France Godard, soutient la thèse d'un suicide altruite organisé par Yves Godard.

"Le docteur Godard, perdant pied totalement sur sa situation familiale qu'il ne gère pas, a décidé d'organiser un suicide collectif qu'il a dissimulé par égard pour les membres survivants des deux groupes familiaux (...) un prétendu naufrage à fin que tout le monde puisse penser qu'il s'agit d'un accident", rapporte l'avocat, invité du podcast "Le Titre à la Une".

Article original publié sur BFMTV.com