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"Je n’ai voulu tuer personne": au procès de l'incendie de la rue Erlanger, les remords de l'accusée

L'incendie dans l'immeuble situé au 17 bis de la rue Erlanger à Paris a fait 10 morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. - Benoît Moser / BSPP - Brigade de sapeurs-pompiers de Paris
L'incendie dans l'immeuble situé au 17 bis de la rue Erlanger à Paris a fait 10 morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. - Benoît Moser / BSPP - Brigade de sapeurs-pompiers de Paris

"Je n’ai voulu tuer personne, je n’ai jamais voulu faire de mal à personne." Au premier jour de son procès devant la cour d'assises de Paris, Essia B. a exprimé des regrets après la mort de dix personnes lors de l'incendie de l'immeuble de la rue Erlanger en février 2019. Incendie que cette femme aujourd'hui âgée de 44 ans a reconnu avoir allumé.

Dans la nuit du 4 au 5 février 2019, Essia B. a allumé le feu devant la porte de son voisin de palier au 2e étage du 17 bis rue Erlanger après une dispute de voisinage. Debout dans le box, cette femme aux longs cheveux bruns, le regard éteint, évoque "un esprit gamin, de vengeance". "Je suis vraiment désolée pour les victimes, pour les familles de victimes, pour les proches de victimes, c’est un drame qu’ils vivent, et moi aussi je vis un drame, tout le monde vit un drame", ajoute-t-elle.

"C’est pas ce que j'ai voulu", assure-t-elle en larmes.

"J’ai fait que ça, rechute, cure"

Col roulé noir, visage bouffi, Essia B. rappelle qu'elle est actuellement prise en charge à l'Unité hospitalière spécialement aménagée au centre hospitalier de Villejuif. Depuis son placement en détention provisoire en 2019, elle fait des allers-retours entre la prison et cette unité. Avant son interpellation, soutenue par sa famille, elle enchaînait les séjours en cure de désintoxication.

"J’ai fait que ça, rechute, cure, rechute, cure, il n’y avait pas de suivi", explique-t-elle.

Fille d'un père chef des traducteurs à l'Unesco et d'une mère directrice du département des Langues à l’université de New-York à Paris, Essia B. évoque pourtant une "enfance très heureuse", une "relation fusionnelle avec sa mère", "une famille aimante". Tout bascule à l'adolescence avec une addiction au sucre, une prise de poids, des moqueries des camarades et une période d'anorexie. Puis la découverte de l'alcool "vers 14-15 ans", "le poids du monde s’est alors enlevé de moi".

Avant son premier sevrage à 17 ans, elle consommait "24 bières par jour". Sous l'effet de l'alcool, elle videra une bombe de gaz lacrymogène dans la maison, en présence de son fils. "Je venais de boire deux bouteilles de tequila, j’étais très mal, dit-elle à la cour. Je n’étais pas mon état normal, je souffrais d’une dépression." À cette dépendance à l'alcool s'ajoute, au fil des ans, une addiction à la drogue et une consommation chronique. Son héritage de 110.000 euros versé après la mort de son père en 2012 a d'ailleurs servi en grande majorité à l'achat de cocaïne.

"Le feu ne me fait pas peur"

"Mystique dans [ma] tête", Essia B. se décrit comme une "acheteuse compulsive" à cause de sa "maladie". Elle se dit diagnostiquée "bipolaire" mais aussi "personnalité borderline". La cour évoque aussi une fascination pour le feu alors que, petite, elle a incendié un sapin dans le jardin de la résidence où vivait sa famille, a mis le feu à la chemise de son petit-ami ou a brûlé un pompier avec une cigarette. Dans son entourage, elle est aussi à celle qu'on demande d'allumer les barbecues ou les cheminées.

"Ça me fait pas peur. Je me rends pas compte du danger, c’est le propre de ma maladie", tente-t-elle de se défendre.

Entre ces cures, Essia B. réussit ses études. En 2008, elle donne naissance à un petit garçon, demandant à suivre une cure de désintoxication pour poursuivre sa grossesse. "Vous êtes une femme une intelligente..., note le président. Vous savez bien que ça ne fait pas bon ménage avec l’alcool?"

"Personne ne m’a jamais prévenue. J’étais dans ma toxicomanie, je ne voyais pas les conseils que les médecins me donnaient", explique-t-elle, provoquant une forte désapprobation dans la salle.

La perpétuité encourue

Sur les bancs des parties civiles, la question est de comprendre pourquoi Essia B. vivait au milieu d'eux dans cet immeuble du 16e arrondissement de Paris. En 2016, lorsque des pompiers interviennent à son domicile pour la secourir, les choses dégénèrent. Elle brûle un pompier avec une cigarette et lance aux secouristes: "Je refuse de prendre mes traitements, je suis dehors. Je montre que je vais bien, je suis dehors."

"Vous ne montrez pas une volonté de vous soigner?", s'interroge le président de la cour d'assises. "Oui mais aujourd’hui, oui très fortement", lance Essia B. de sa voix sans ton.

"J'ai changé", poursuit-elle, expliquant que la prise en charge de sa dépendance à l'alcool et la drogue ne peut être traité que "dans le cadre hospitalier", provoquant encore des soupirs sur les bancs des parties civiles. Essia B. encourt la réclusion criminelle à perpétuité, une peine moindre si l'altération du discernement est retenue. La cour d'assises peut aussi prononcer une hospitalisation d'office.

Article original publié sur BFMTV.com