Mutation du coronavirus : la fermeture des frontières est-elle encore utile ?

Fermer les frontières avec la Grande-Bretagne pour éviter la propagation de la nouvelle mutation du coronavirus pourrait bien être inutile, notamment parce que des cas ont déjà été détectés sur le continent.
Fermer les frontières avec la Grande-Bretagne pour éviter la propagation de la nouvelle mutation du coronavirus pourrait bien être inutile, notamment parce que des cas ont déjà été détectés sur le continent.

Face à la nouvelle souche du coronavirus, de nombreux pays ont décidé de suspendre le trafic avec la Grande-Bretagne. Mais la fermeture des frontières est-elle vraiment la bonne solution, alors que la mutation pourrait dater de septembre ?

Un effet boule de neige malgré la météo clémente de cet hiver. Depuis dimanche 20 décembre, de nombreux pays ont décidé, les uns après les autres, de fermer leurs frontières ou de couper le trafic maritime, ferroviaire, routier et aérien avec la Grande-Bretagne.

La raison : la présence en Angleterre d’une nouvelle souche du coronavirus, que le ministre de la Santé, Matt Hancock, a décrite comme étant “hors de contrôle” car beaucoup plus contagieuse. S’il est encore trop tôt pour savoir si cette mutation, tout à fait normale pour un virus, se transmet réellement plus facilement que la version actuelle, plusieurs pays européens n’ont pas attendu d’avoir la preuve scientifique pour prendre des mesures drastiques.

La Commission Européenne demande la reprise du trafic

Entre le 19 et le 20 décembre, les Pays-Bas, l’Autriche, la Roumanie, la Bulgarie et la Belgique ont annoncé la suspension du trafic aérien et ferroviaire avec la Grande-Bretagne, rapporte Sud Ouest. L’Italie a, en plus, interdit l’entrée sur son territoire aux personnes ayant séjourné sur l’île ces 14 derniers jours. La Suisse a imposé une quarantaine obligatoire à tous ceux qui seraient arrivés de ce pays depuis le 14 décembre. L’Allemagne a même interdit aux ressortissants britanniques d’entrer sur son territoire.

De quoi enclencher une véritable réaction en chaîne, avec des annonces similaires aux quatre coins du monde, de la Russie à l’Asie en passant par le Maghreb.

Mardi 22 décembre, la Commission européenne a recommandé à ses pays membres de reprendre le trafic. Après avoir suspendu tous les déplacements de personnes - y compris des chauffeurs transportants des marchandises - pendant 48 heures, la France a finalement rouvert le trafic dans la nuit du 22 au 23 décembre, notamment pour permettre à ses ressortissants de revenir sur le territoire, à condition qu’ils présentent un test négatif. Mais l’Allemagne et le Luxembourg ont décidé de maintenir leurs restrictions jusqu’au 6 janvier.

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Des cas signalés en Italie, au Danemark et en Belgique

Si la Grande-Bretagne se retrouve de plus en plus isolée, ce n’est pourtant pas le seul endroit où la mutation du coronavirus a été détectée. Quelques cas ont été signalés au Danemark, au Pays-Bas, ou encore en Australie, comme le rapporte France 24. Dimanche 20 décembre, l’Italie a découvert son premier cas. Et quatre ont été recensés chez nos voisins belges dès le début du mois. “Il n’est pas impossible qu’il y en ait plus”, a même reconnu Yves Van Laethem, médecin spécialiste des maladies infectieuses et porte-parole interfédéral de la lutte contre le coronavirus en Belgique, rapporte Sud Ouest.

Dans l’Hexagone, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a fait savoir sur Europe 1, lundi 21 décembre, qu’il était “tout à fait possible que le virus circule en France”.

Trop tard pour fermer ?

De quoi s’interroger sur l’intérêt de fermer les frontières. D’autant que la mutation du virus pourrait être apparue dès le milieu du mois de septembre, à Londres ou dans le Kent (une région du sud-est de l’Angleterre), selon Patrick Vallance, le conseiller scientifique du gouvernement britannique.

“Cette fermeture était peut-être déjà trop tardive”, a commenté Yves Van Laethem, médecin spécialiste des maladies infectieuses belge. “C’est idiot. Si le virus n’était que sur l’île, ça aurait été logique de fermer les frontières avec l’Angleterre, l’Écosse et le Pays de Galles. Mais s’il s’est répandu, nous devons combattre cette mutation partout”, a fait valoir de son côté le docteur Peter Kremsner, directeur de l’hôpital universitaire de Tübingen (Allemagne) dans le New York Times.

Cette question de la fermeture des frontières s’était déjà posée au début de l’année 2020, lorsque les premières contaminations au Covid-19 ont été recensées ailleurs qu’en Chine. À l’époque, Christophe Batejat, responsable adjoint à la Cellule d’intervention biologique d’urgence de l’Institut Pasteur, nous expliquait que “l’expérience a montré que le contrôle aux frontières dans les pays de destination n’est pas vraiment efficace. [...] Ce sont surtout des mesures pour rassurer la population”. D’autant plus à l’intérieur de l’Union Européenne, comme c’est actuellement le cas. “Ça va être assez compliqué d’éviter qu’un virus traverse une frontière, surtout interne à l’Europe. Le virus n’a pas besoin de passeport”, prédisait-il, très justement, à l’époque.

Les Britanniques à la pointe de la surveillance des génomes

Outre la présence de la mutation du virus en Europe continentale, un autre argument pousse les experts à penser que la fermeture des frontières risque de ne pas être utile dans ce cas : le gros travail d’analyse réalisé par les scientifiques britanniques. Comme nous l’expliquait Marc Gastellu-Etchegorry, médecin épidémiologiste et directeur adjoint d’Epicentre dans un précédent article, certaines mutations des virus peuvent modifier leurs caractéristiques. Mais d’autres sont “très légères”, au point de n’être visibles que “lorsqu’on étudie le matériel génétique du virus”.

Or, les scientifiques britanniques sont à la pointe de la surveillance des génomes. Comme le rapporte le New York Times, la Grande Bretagne a séquencé près de 150 000 génomes de coronavirus, ce qui représente la moitié des données du monde entier ! Les seuls généticiens du Pays de Galles - qui compte trois millions d’habitants, loin des 67 millions de l’Hexagone - ont séquencé plus de génomes du coronavirus en une semaine que les Français depuis le début de l’épidémie, à en croire Thomas Connor, professeur spécialisé dans les mutations pathogènes à l’université de Cardiff.

Des mutations remarquées très tôt

De quoi permettre aux scientifiques de Grande-Bretagne de découvrir des variantes du coronavirus là où, ailleurs, elles seraient passées inaperçues, précise le New York Times. “Si vous devez trouver quelque chose, vous le trouverez probablement ici en premier. [Et si la mutation] a lieu dans un endroit où il n’y a pas de séquençage, vous ne la trouverez pas du tout”, a commenté Sharon Peacock, directrice du consortium du Royaume-Uni sur les génomes du Covid-19.

“Comme beaucoup de pays, nous ne pistons pas autant de souches que les Anglais, qui font un énorme boulot à ce niveau-là. L’Angleterre réalise 10 à 20 fois plus de typages de souches de virus que la Belgique”, a reconnu, sur ce sujet, le porte-parole interfédéral de la lutte contre le coronavirus en Belgique, Yves Van Laethem, selon Sud Ouest.

Ce qui pourrait, entre autres, expliquer pourquoi la nouvelle variante du coronavirus a été identifiée en premier en Angleterre. Par ailleurs, une autre mutation, relativement similaire, a été repérée en Afrique du Sud dès le début du mois d’octobre, rapporte Le Monde. Certains des pays qui se sont coupés de l’Angleterre ont d’ailleurs décidé d’appliquer la même stratégie. Reste à voir si cette stratégie de fermeture des frontières s’avère payante.

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