Les muets de Berlin n’ont pas fini de nous parler

La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé programme jusqu’au 3 avril «Une décennie de cinéma allemand : 1920-1930», avec accompagnement de piano. L’occasion de vérifier que ces «Autorenfilms» n’ont rien perdu de leur pouvoir d’envoûtement en ces temps de bavardage connecté.

Je suis entré dans la cinéphilie par le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene. J’avais 15 ans, j’occupais - pour trois années - la fonction de projectionniste au ciné-club du lycée. L’hypnotiseur de foire, criminel par procuration, était le premier d’une «procession de tyrans», comme les a qualifiés Siegfried Kracauer, qui allaient envahir les écrans et mon imaginaire : Nosferatu, Mabuse, Haghi (mais il y avait déjà eu Fantômas), accompagnés de tout un peuple de l’ombre, vampires, doubles, somnambules, créatures surgies du fond du miroir, automates, golems, qui réactualisaient le romantisme («La vieille Allemagne, notre mère à tous», disait Nerval) et semblaient prédestinés au cinéma. On a souvent souligné la parenté entre l’hypnose et le cinéma qui dirige nos rêves à grande échelle. Charcot avait trouvé ses successeurs. Avec ce film initiatique et dans ma cabine de projection, je faisais coup double, et il m’en est sans doute resté cette familiarité avec les fantômes et les belles endormies.

La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé programme onze films de cette «décennie prodigieuse» allemande qui s’ouvre naturellement avec Caligari. C’est l’occasion de vérifier que le muet est un merveilleux antidote contre le bruit, la dévaluation des mots, le bavardage connecté, et qu’il n’a rien perdu de son pouvoir d’envoûtement. Artaud s’en était fait le défenseur : «Depuis que la parole a été portée à l’écran, écrivait-il, une porte s’est refermée que l’on n’ouvrira jamais plus.» Celle du rêve et de la poésie. On ne se construit que sur ses manques.

Il est paradoxal de constater que ce cinéma de la République de Weimar, période d’instabilité politique, sociale et économique, a été le plus puissant d’Europe et n’a (...)

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