Comment la motion de censure visant Michel Barnier rassemble toutes les contradictions du moment
POLITIQUE - « Le jugement n’intervient pas d’un coup. C’est la procédure qui insensiblement devient jugement », écrivait Franz Kafka, dans Le Procès, en 1925. Près d’un siècle plus tard, ce mardi 8 octobre, il y a bien quelque chose de kafkaïen qui s’impose à la classe politique française, alors que la première motion de censure visant Michel Barnier va être examinée à l’Assemblée nationale. Déposée par le Nouveau Front populaire, cette procédure n’a, sur le papier, aucune chance d’aboutir.
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Elle vise un Premier ministre qui, théoriquement, n’avait rien à faire là, puisque son parti (LR) a obtenu un score famélique aux législatives, et n’a pas souscrit au « front républicain » qui a marqué le second tour. L’ancien commissaire européen se retrouve à la tête d’un gouvernement réunissant des ministres qui s’opposent sur de nombreux points, et dont l’accouchement a été rendu possible par une promesse du Rassemblement national, celle de ne pas le censurer. C’est justement ce double argument qui a entraîné le dépôt de la motion de censure examinée ce mardi.
Un gouvernement sans légitimité
Au-delà de souligner le caractère inédit de la situation dans laquelle se trouve Michel Barnier, la procédure révèle toutes les contradictions politiques de la période. À commencer par le déficit de légitimité politique dont souffre l’exécutif. Selon un sondage réalisé par YouGov pour Le HuffPost, 7 Français sur 10 jugent que le gouvernement mené par le Savoyard bafoue les résultats des élections législatives. Même les sympathisants du camp présidentiel sont (très) partagés : 51 % jugent le gouvernement non conforme à ce qui est ressorti des urnes le 7 juillet.
Mais les Français ne sont pas les seuls sceptiques. Après sa déclaration de politique générale, Michel Barnier n’a pas été applaudi par tous les députés qui le soutiennent, le groupe EPR présidé par Gabriel Attal (le plus important de la coalition), s’abstenant de faire la claque. Preuve en est que le Premier ministre bénéficie d’un socle fragile. Pour autant, cela ne l’expose pas à la sanction immédiate de l’Assemblée.
Les forces en présence
Car c’est la gauche qui est à l’initiative. Le but : sanctionner le choix fait par Emmanuel Macron de ne pas laisser une chance au NFP, au nom d’une « stabilité institutionnelle », aux faux airs de prétexte. « L’existence de ce gouvernement, dans sa composition et ses orientations, est une négation du résultat des dernières élections législatives », accuse le texte, qui s’en prend également aux (quelques) choix politiques annoncés par l’exécutif, sur le budget, l’immigration ou l’environnement. Une rédaction sociale et humaniste qui vise à bien se distinguer du Rassemblement national, parti qui, de toute façon, refuse de censurer Michel Barnier pour ne pas « ajouter du chaos au chaos », comme on dit dans le camp lepéniste.
Car c’est là, la seconde contradiction : pourtant première force à l’Assemblée, le Nouveau Front populaire se retrouve en minorité dans sa volonté de censure. À l’inverse, Marine Le Pen, Éric Ciotti et leurs 138 députés sont placés en position d’arbitre, en contradiction avec le « front républicain » des élections législatives ; le tout en continuant à se définir dans l’opposition. Une situation qui fait bondir un poids lourd macroniste : « la réalité, c’est qu’on devrait se trouver sous la surveillance du NFP, et non du RN. D’autant qu’avec les discussions sur le budget, et le retour des impôts sur les plus riches, c’est le moment pour eux d’arracher des choses, ils ont 182 sièges ».
Mais la gauche peut-elle politiquement faire autre chose que censurer ce gouvernement dont elle revendique la place et dont la composition sape à ses yeux le sursaut du « front républicain » ? Agir différemment reviendrait à accepter la défaite et prendre le risque de disloquer l’unité du NFP. Autant de paradoxes qui sécurisent la position de Michel Barnier.
Qui veut (vraiment) prendre sa place ?
D’autant que le Premier ministre dispose d’un autre atout pour survivre : l’ingratitude de sa tâche à la veille d’un budget très difficile à vendre auprès des Français, entre le report de l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation, l’effort de 60 milliards d’euros prévu pour ramener le pays sous la barre des 5 % de déficit à l’horizon 2025 et une Assemblée nationale atomisée dans laquelle chaque camp attend de tirer profit de la situation en vue de 2027.
Débarrassé de l’obsession présidentielle, Michel Barnier peut assumer le poids de mesures impopulaires exigées par les circonstances. Ou, dit vulgairement, de faire le sale boulot pendant que les autres (y compris dans son camp) feront semblant de se boucher le nez. « Ce qui peut sauver Barnier, c’est que personne actuellement n’a un intérêt réel à le faire tomber », anticipait dès fin septembre, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris-II Panthéon-Assas cité par Le Monde. En effet, la perspective d’une chute du gouvernement à l’automne, alors que le budget est considéré comme l’un des plus délicats de ces dernières décennies sonne comme la promesse d’une crise politique aggravée d’une crise financière. Celui qui appuiera sur la détente sera perçu, au mieux, comme un irresponsable.
En résumé, la motion de censure étudiée ce jour vise moins à faire tomber Michel Barnier qu’à souligner le déficit (réel) de légitimité d’un Premier ministre. Et l’échec annoncé de la procédure résultera de la bienveillance du RN, contre lequel le « front républicain » s’est pourtant érigé dans l’entre-deux tours. Un net aperçu des contradictions qui régissent le monde politique depuis la dissolution.
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