Motion de censure, RIP, Conseil constitutionnel... Comment la réforme des retraites peut encore échouer

L'hémicycle de l'Assemblée nationale le 6 février 2023. (illustration) - Ludovic Marin
L'hémicycle de l'Assemblée nationale le 6 février 2023. (illustration) - Ludovic Marin

Même si les motions de censure de ce jeudi sont rejetées, la réforme des retraites ne pourra pas automatiquement être promulguée. Les oppositions souhaitent saisir le Conseil constitutionnel et la gauche propose un référendum d'initiative partagée.

La réforme des retraites entre dans l'un de ses derniers tours de piste. En fonction du résultat des motions de censure débattues ce lundi à partir de 16 heures, elle pourrait être adoptée. Pour autant, les oppositions disposent d'autres moyens pour empêcher sa promulgation, comme un recours au Conseil constitutionnel ou l'organisation d'un référendum d'initiative partagé. BFMTV.com revient sur ces différentes possibilités.

Les motions de censure

Les députés vont examiner deux motions de censure. L'une émane du Rassemblement national (RN), l'autre, voulue transpartisane, du groupe Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires (Liot) et de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes).

Dans le cas présent, si la disposition devenait effective, elle conduirait non seulement à renverser le gouvernement, mais aussi à rejeter la réforme des retraites. L'exécutif garderait néanmoins la possibilité de soumettre le texte à une nouvelle lecture dans les deux chambres du Parlement, comme le veut la procédure pour un texte établi en commission paritaire (CMP).

Reste que ce scénario est peu probable. Tout se jouera à quelques voix des députés Les Républicains. Pour passer, la motion doit réunir la majorité absolue des suffrages, soit 287 actuellement, et non 289, en raison d'élections législatives partielles. Une bonne partie de ce total sera atteinte grâce aux votes de la gauche, de l'extrême droite et du groupe Liot. Il manquera néanmoins une trentaine de voix de la droite.

Or, les élus de cette famille politique prêts à s'affranchir des consignes de leur direction se comptent sur les doigts d'une main. Ils seront une dizaine, voire quinze, ont indiqué les différents députés "frondeurs" présents dans les matinales ce lundi. La motion de censure devrait donc, sauf surprise, être rejetée. Pour autant, la loi ne sera pas forcément promulguée.

Le Conseil constitutionnel

Les oppositions disposent de plusieurs leviers. Première option: déposer un recours devant le Conseil constitutionnel, lequel a le pouvoir de censurer le texte en partie ou dans son ensemble si celui-ci est jugé inconstitutionnel. Pour le saisir, il faut réunir au moins 60 parlementaires. La promulgation de la loi est alors suspendue et l'instance dispose d'un mois pour étudier la saisine. Le gouvernement peut néanmoins demander "s'il y a urgence", à ramener ce délai à huit jours, en vertu de l'article 61.3 de la Constitution.

La possibilité d'un recours devant le Conseil constitutionnel a été évoquée par l'insoumise Mathilde Panot, Marine Le Pen mais aussi le député centriste Charles de Courson, interrogé sur BFMTV. Dans le viseur de ce dernier: le véhicule législatif utilisé par l'exécutif pour sa réforme, soit un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS). Ce type de texte permet l'emploi de l'article 47.1 de la Constitution, lequel limite les débats à 50 jours au Parlement.

Sur BFMTV-RMC, Charles de Courson a dénoncé "un détournement total de procédure", précisant que ces projets de loi font suite, généralement, "à des décisions de baisser les cotisations sociales [qui] impactaient les comptes sociaux". Or, ce n'est pas le cas de la réforme actuelle, a-t-il souligné.

Le député Liot, qui est l'un des principaux instigateurs de la motion de censure transpartisane, a également pointé toute une série de cavaliers budgétaires, soit des dispositions qui ne sont pas censées faire partie de ce texte. Avec en premier lieu, l'index sur l'emploi des seniors qui n'est pas une mesure de recettes ni de dépenses.

"Tout le monde sait, y compris au gouvernement, que cette partie tombera devant le Conseil constitutionnel", a avancé Charles de Courson. Jean-Luc Mélenchon est allé plus loin, se disant "certain" que les Sages "annuler[ont] toute la procédure".

"Leur rôle, c’est de protéger des institutions en les faisant respecter", a fait valoir le leader de La France insoumise ce dimanche dans Le Grand Jury RTL-Le Figaro, LCI.

Cette instance prône en effet "la clarté et la sincérité du débat parlementaire". Or, l'examen de la réforme peut questionner ce principe. Le gouvernement, en plus du 47.1 et du 49.3, a eu recours à d'autres dispositions pour accélérer les débats comme le 44.2 ou le 44.3. Sans mentionner l'article 38 du Sénat, utilisé par la majorité sénatoriale de droite et permettant de voter un amendement, un article ou même un texte après deux prises de paroles contradictoires. Si ces mécanismes sont autorisés, leur accumulation pourrait questionner les Sages.

Le référendum d'initiative partagée

Si les motions de censure sont rejetées, les oppositions ont une dernière arme pour rejeter la réforme des retraites: le référendum d'initiative partagée (RIP). Cette disposition constitutionnelle prévoit la possibilité d'organiser une consultation populaire sur une proposition de loi "à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement", soit au moins 185 des 925 parlementaires et "soutenue par un dixième des électeurs", soit 4,87 millions de personnes, dont les signatures doivent être recueillies dans un délai de 9 mois.

La dernière tentative d'un RIP sur la question de la privatisation des Aéroports de Paris a échoué en 2019, signée par seulement un million de personnes. Plus généralement, aucune initiative n'a abouti depuis l'introduction de cette disposition dans la Constitution en 2008. Pour autant, cela n'a pas empêché la gauche de déposer un RIP ce vendredi pour que l'âge légal de départ à la retraite n'excède pas 62 ans.

Toutefois, sa mise en place n'est pas garantie. En effet, un référendum d'initiative partagée "ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an", prévoit l'article 11 de la Constitution.

Dès lors, si le RIP veut avoir une chance d'exister, il doit être validé par le Conseil constitutionnel, avant que ne le soit la réforme des retraites. Si tel est le cas, le recueil des soutiens est ensuite organisé pendant neuf mois par le ministère de l'Intérieur, qui met à disposition des éventuels signataires une plateforme numérique. Pendant cette période, la promulgation de la loi est mise entre parenthèses. Soit un coup d'arrêt de presque un an pour le gouvernement.

Article original publié sur BFMTV.com

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