Motion de censure contre Michel Barnier : les trois inconnues en cas de vote de l’Assemblée nationale
POLITIQUE - Le scénario cauchemar semble devenir réalité pour Michel Barnier. Le RN a annoncé ce lundi 2 décembre qu’il votera la motion de censure déposée par la gauche, après le recours à l’article 49-3 sur le budget de la Sécu. Pas besoin d’avoir fait polytechnique pour comprendre la suite : l’addition des députés de gauche qui siègent dans les groupes du NFP et de ceux du RN suffit à dépasser le seuil des 288 votes nécessaires pour provoquer la chute du gouvernement.
Ainsi, sauf retournement de situation improbable, le Savoyard sera invité à quitter Matignon ce mercredi 4 décembre dans la soirée. En temps normal, la démission d’un Premier ministre (souhaitée par un chef de l’État ou consécutive à une défaite électorale) ne provoque pas un séisme qui se ressent hors de l’enceinte politique. Mais le temps normal n’existe plus depuis la dissolution qui a accouché d’une Assemblée morcelée.
Intervenant en plein examen budgétaire, la censure probable du chef du gouvernement pose plusieurs questions urgentes ; relatives au fonctionnement même du pays. Comment les pouvoirs publics vont pouvoir manœuvrer sans que le Parlement ne se prononce sur un Budget ? Qui pour remplacer Michel Barnier et dénouer une situation politique éminemment complexe ? Comment vont réagir les marchés après à cette nouvelle démonstration d’instabilité née d’une crise politique qui ne cesse de s’aggraver ? Autant de questions auxquelles Le HuffPost tente de répondre ci-dessous.
Comment doter la France d’un budget ?
Regardons tout d’abord les enjeux budgétaires. Si le gouvernement est renversé, le texte sur le financement de la Sécu sera considéré comme rejeté et l’examen du PLF (projet de loi de Finances de l’État) s’arrêtera net. Dès lors, il paraît impossible pour un nouveau Premier ministre de déposer un budget et de le faire voter avant le 31 décembre.
En revanche, plusieurs chemins existent pour éviter la catastrophe agitée par les soutiens de Michel Barnier depuis plusieurs jours. Option la plus crédible : le nouveau gouvernement, ou l’équipe démissionnaire, peut déposer une « loi spéciale » qui permet, selon l’article 45 de la loi qui régit les débats budgétaires, de reconduire le budget de 2024 en attendant la validation d’une nouvelle feuille de route dans les règles de l’art. Dans ces conditions, on imagine que la gauche et l’extrême droite valideront ce texte d’urgence qui permettra le cas échéant la continuité des recettes et des dépenses de l’État au 1er janvier 2025. Et au-delà de ce scénario déjà périlleux, deux autres chemins (escarpés) permettraient à l’exécutif d’agir.
Le gouvernement démissionnaire pourrait ainsi user d’un article de la Constitution qui l’autorise à faire appliquer son budget par ordonnance si le Parlement ne s’est pas prononcé dans les délais impartis. Mais les spécialistes sont divisés sur cette question : l’adoption d’une motion de censure pourrait effectivement signifier que le Parlement s’est prononcé, en l’occurrence contre. Enfin, la dernière option est sans doute la plus éruptive : en théorie, Emmanuel Macron pourrait recourir à l’article 16 de la Constitution (celui des « plein pouvoirs ») pour imposer ses décisions budgétaires par décret.
Quel Premier ministre après Barnier ?
Quoi qu’il en soit, si Michel Barnier est renversé par l’une des motions de censure, il faudra lui trouver un successeur. Et, sauf à le renommer comme le réclament des députés macronistes, l’équation semble ardue. Le fameux mouton à cinq pattes recherché par le président de la République durant l’été (c’est-à-dire un profil qui présente toutes les qualités, certain de ne pas être renversé à la première motion de censure) n’existera pas plus cet hiver.
« Qui peut remplacer Michel Barnier ?
Ça peut être Michel Barnier !
Rien n’empêche Emmanuel Macron de le renommer » propose l’ancien ministre et député EPR Éric Woerth #MotionDeCensure #DirectAN #affaireconclue pic.twitter.com/PkaiqttJwl— Paul Larrouturou (@PaulLarrouturou) December 2, 2024
Premier scénario : reconnaître que le Nouveau Front populaire, bloc arrivé en tête aux législatives, a la légitimité de gouverner. Dans ce cas, LFI plaide pour que Lucie Castets soit appelée à Matignon, conformément à l’accord de juillet. Sauf que ça coince au PS, à tel point qu’Olivier Faure esquive la question quand elle lui est posée et qu’il n’a pas clairement redit s’il la soutient toujours. Autre nom qui se dégage, sans toutefois faire l’unanimité : Bernard Cazeneuve. L’ex-Premier ministre pourrait faire la jonction entre une partie de la gauche et de la macronie, voire attirer certains députés LR. Une solution viable ? Emmanuel Macron expliquait cet été qu’il ne voulait pas que sa politique économique soit fondamentalement remise en cause. Or Cazeneuve portait l’abrogation de la réforme des retraites.
Alors à droite ? Un David Lisnard ou un Xavier Bertrand s’exposeraient à la même sentence que Michel Barnier, censuré par la gauche et le RN. Quant à la nomination d’un Premier ministre purement macroniste (Sébastien Lecornu ou Gérald Darmanin sont de ceux-là), il ne serait pas en mesure d’élargir le « socle commun » qui a plusieurs fois fait défaut à Michel Barnier. En attendant, Michel Barnier assurera la gestion des affaires courantes.
Comment les marchés financiers vont-ils réagir ?
De quoi éviter la « tempête » qu’il disait craindre il y a encore une semaine ? La France aura un budget, les fonctionnaires ne cesseront pas d’être payés comme cela pourrait être le cas avec un shutdown aux États-Unis. Est-ce à dire pour autant qu’il n’y aura aucune conséquence financière pour la France ? Il serait imprudent de répondre vite « oui » à cette question et il n’y a qu’à voir la réaction des marchés ce lundi pour s’en convaincre. Plombé par les nouvelles venues de France, l’euro a plongé face au dollar et à Paris, le cours des banques françaises a connu une forte baisse dans l’après-midi.
Les événements et les incertitudes du jour lisibles sur le cours de l’euro: pic.twitter.com/g8rc9j2JN3
— Darius Rochebin (@DariusRochebin) December 2, 2024
Autre illustration, l’écart entre les taux d’intérêt d’emprunt de la France et de l’Allemagne. Celui-ci a fortement augmenté juste après le 49-3 de Michel Barnier pour atteindre un niveau pas vu depuis 2012. Et l’amplitude des mouvements dans la journée était la même qu’au moment de la dissolution, en juin. « C’est un signe de crise », assure Nicolas Forest, responsable des investissements au sein de la société Candriam, interrogé par l’AFP.
Résultat, la France emprunte désormais à des taux comparables à ceux de la Grèce et bien malin qui peut annoncer un retour à la normale dans les prochains jours.
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