A Mossoul, les vagues djihadistes épuisent l'armée irakienne

par Dominic Evans, Ahmed Rasheed et John Davison BAGDAD/SUD DE MOSSOUL, Irak (Reuters) - Une semaine après avoir percé les lignes de défense du groupe Etat islamique (EI) à la périphérie sud-est de Mossoul, un colonel de l'armée irakienne estime que l'opération visant à chasser les djihadistes de leur dernier grand bastion urbain en Irak tourne au cauchemar. Face à un ennemi bien préparé, mobile et d'une efficacité redoutable, exploitant à merveille le couvert des constructions et la présence des habitants, les blindés sont inutiles et ses hommes ne sont pas formés pour la guérilla urbaine, explique l'officier. La Neuvième division blindée et le service de contre-terrorisme (CTS), l'unité d'élite de l'armée irakienne, ont repris la semaine dernière six des soixante districts de Mossoul, pénétrant pour la première fois dans la ville depuis le début de l'offensive le 17 octobre. Mais même ces positions sont difficiles à tenir, dit l'officier, dont les soldats sont harcelés par des vagues de combattants, de kamikazes et de tireurs d'élite de l'EI qui se déplacent à l'abri d'un réseau de tunnels percés sous la ville et peuvent surgir à tout endroit, à tout moment. En particulier la nuit, privant les militaires de repos. "Nous sommes une division blindée et combattre sans pouvoir utiliser nos chars et avec des soldats qui ne connaissent pas la guérilla urbaine met les troupes dans une situation difficile", explique le colonel, qui a tenu à rester anonyme car il n'est pas autorisé à parler à la presse. IMPOSSIBLE DE DISTINGUER CIVILS ET DJIHADISTES Il y a un an, la Neuvième division blindée a participé à la reconquête de Ramadi, dans la province d'Anbar, une ville bien moins grande que Mossoul. A l'époque, elle avait seulement eu pour mission de contrôler les territoires autour de la ville pendant que les unités antiterroristes y pénétraient. "A Mossoul, il faut progresser dans des secteurs résidentiels, déblayer les rues, sécuriser les bâtiments où se cachent les terroristes et prendre soin des habitants. J'ai peur que ça ne fasse trop pour nous", dit-il. L'officier souligne qu'il est impossible au premier coup d'oeil de distinguer les civils des djihadistes qui se cachent parmi eux. Depuis qu'il s'est emparé de Mossoul il y a plus de deux ans, l'EI a imposé son code vestimentaire à tous les habitants et continue de traquer tous ceux qui ne portent pas la barbe longue. "Nos soldats ne peuvent pas les reconnaître avant qu'il ne soit trop tard, quand les assaillants actionnent leur veste explosive ou lancent une grenade", raconte le colonel, qui ajoute avoir perdu deux chars T-72 et un autre véhicule blindé pendant une seule journée de combats mardi. "Cela tourne au cauchemar et c'est éprouvant pour les nerfs des soldats." Spécialement formés aux combats urbains, les soldats d'élite du CTS disent eux aussi mener la bataille la plus difficile qu'ils ont eu à livrer jusqu'à présent. "On ne sait jamais quand un sniper va frapper. Si on ajoute à cela les milliers d'habitants qui tentent de fuir les combats, on vit dans un stress permanent", témoigne un officier revenu à Bagdad pour prendre quelques jours de repos. LE DANGER DES TUNNELS Le chef de l'EI, Abou Bakr al Baghdadi, a appelé la semaine dernière ses combattants à se battre jusqu'au dernier pour défendre Mossoul, la ville où il a proclamé le "califat" il y a deux ans. Tout indique que des ordres sont suivis à la lettre et que les djihadistes n'ont aucune intention d'abandonner le terrain, comme ils l'ont fait dans d'autres villes quand la pression des forces assaillantes devenait trop forte. "Cette fois, Daech se bat vraiment", souligne Hicham al Hachemi, un conseiller du gouvernement irakien. Selon lui, le réseau de tunnels de l'EI s'étend sur 70 km sur la seule rive est du Tigre, qui traverse la ville. Les djihadistes utilisent ces tunnels pour se glisser derrière les lignes de l'armée et frapper en pleine nuit, généralement entre 02h00 et l'aube. "Les troupes ne sont pas prêtes à ça. Ce sont les tunnels qui nous ont fait subir les pertes les plus lourdes", précise Hicham al Hachemi. Selon lui, l'armée ne contrôle complètement que deux des six districts dans lesquels elle a pris pied. Dans les quatre autres, elle a plusieurs fois dû se replier pendant la nuit avant de regagner le terrain perdu le lendemain. Faute de pouvoir faire manoeuvrer ses chars dans les rues étroites, l'armée irakienne a appelé les hélicoptères Apache américains à la rescousse pour détruire les véhicules piégés, une des armes favorites de l'EI. L'ARMÉE VA OUVRIR DE NOUVEAUX FRONTS Les djihadistes utilisent une tactique de harcèlement qu'ils ont surnommé "les vagues déferlantes" : de petites unités, d'une cinquantaine d'hommes, se succèdent sans relâche pour mener l'assaut et empêcher l'armée de baisser la garde. Chaque unité comprend des kamikazes, des tireurs d'élite et des combattants et est appuyée par des tirs de mortier et des "infiltrés". "Une unité ne combat que pendant une courte période avant de laisser la place à la suivante. Cela épuise l'armée", dit Hicham al Hachemi. D'après le conseiller du gouvernement irakien, un noyau dur de djihadistes majoritairement francophones, qui se font appeler Al Mourabitoune (Les gardiens), a fait le serment de se battre jusqu'à la mort pour défendre les positions stratégiques au centre de la ville. "La seule façon dont ils en partiront, c'est quand ils seront morts", résume Hicham al Hachemi. Pour le moment, les troupes sont encore loin du centre-ville. Pour alléger la pression sur les forces du front Est, l'armée s'apprête à lancer deux nouvelles offensives dans le nord et le sud de Mossoul, ont dit jeudi des officiers des unités concernées. Au Sud, l'assaut visera notamment l'aéroport, que l'EI a transformé en camp retranché. L'offensive pourrait débuter vendredi. "Il faut accroître la pression sur l'ennemi sur plusieurs fronts", explique le général Thamer al Husseïni, commandant d'une unité d'élite de la police. (Tangi Salaün pour le service français, édité par Gilles Trequesser)