Mort de Nahel: le policier qui a tiré sur l'adolescent a-t-il menti?

L'enquête avance. Près de dix jours après la mort à Nanterre de Nahel, tué par un tir de police lors d'un contrôle, des éléments de l'enquête permettent de mieux comprendre le déroulement des faits, notamment grâce au premier rapport de l'IGPN, dont Le Monde et Le Parisien se sont procurés une copie et que BFMTV peut confirmer de source proche du dossier.

Depuis le drame, de nombreux débats autour de la première version des policiers et la notion de légitime défense au moment de tirer abondent dans la presse et sur les réseaux sociaux. Le jour de la mort de l'adolescent, BFMTV avait appris de source policière que la première version fournie faisait état d'un policier se plaçant à l'avant du véhicule pour le stopper et ce dernier lui aurait foncé dessus. Le policier avait fait usage de son arme et tiré une fois.

D'après un document judiciaire que BFMTV a pu consulter, la première synthèse rappelant la chronologie des événements confirme bien cette version:

"Le fonctionnaire de police s'est mis à l'avant pour le stopper. Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire."

Une vidéo sans appel

Quelques heures après l'incident, une vidéo des événements a été publiée sur les réseaux sociaux. On y voit un véhicule jaune à l'arrêt, contrôlé par deux policiers. L’un est au niveau de la vitre, l’autre un peu en retrait, son arme de service braqué en direct conducteur. L'un d'eux sort son arme. La voiture redémarre et le policier, qui se trouve toujours sur le côté du véhicule, semble tirer un coup de feu en direction du conducteur.

Me Yassine Bouzrou, l'avocat de la famille de Nahel, avait alors annoncé le dépôt de trois plaintes dont l'une pour "faux en écriture publique". "Ces policiers ont menti [...] en affirmant que le véhicule du jeune Nahel avait tenté de les percuter", avait déclaré l'avocat sur BFMTV, "c'est faux, la vidéo dément formellement ce que les policiers ont affirmé."

Pourtant, d'après l'avocat du policier mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire, son client n'a jamais dit que la voiture lui fonçait dessus. "Mon client a tiré, il a appelé des gens qui sont venus, il a été amené aux locaux de l'IGPN. Il a été entendu, il n'a jamais rien écrit donc le procès-verbal, il n'y en a pas. Le faux en écriture publique, il n'y a pas d'écriture", avait répondu sur notre antenne Me Laurent-Franck Lienard, "il n'a pas écrit de papier".

"Sa première audition, c'est une audition libre à l'IGPN. Il n'y a que moi qui était là et il n'y a que moi qui sache ce qu'il a dit à ce moment-là", avait encore assuré l'avocat.

Mais une "fiche Pégase", que BFMTV a pu consulter, met à mal cette version. Une "fiche Pégase" est un document rédigé par un opérateur de la salle de commandement qui supervise une opération policière, en relation avec les policiers. Dans celle-ci, rédigée le 27 juin suite au refus d'obtempérer de Nahel, il est indiqué qu'à 8h22 et 45 secondes: "le fonctionnaire de police s'est mis à l'avant du véhicule pour le stopper. Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire". Une version rapidement contredite par la diffusion sur les réseaux sociaux d'une vidéo réalisée par un témoin. La vidéo a également révélé que le policier n'était pas positionné à l'avant du véhicule comme indiqué dans la fiche Pégase mais sur le côté, au niveau de l'aile avant gauche du véhicule conduit par Nahel, lorsqu'il a ouvert le feu.

Le policier s'est senti acculé

Lors de son audition à l'IGPN, le policier mis en examen n'a pas donné la première version citée dans le document judiciaire. Il a dit s'être senti acculé entre la voiture et le muret. Selon lui, poussé par l'accélération du véhicule, il a tiré par crainte que la voiture ne renverse quelqu'un et que son collègue ne soit embarqué, croyant que son corps se trouvait dans l'habitacle.

Un flou persiste encore concernant l'échange entre les policiers et Nahel avant le tir. L'IGPN dit entendre la phrase "Tu vas prendre une balle dans la tête", des propos que nie avoir prononcé le brigadier à l'origine des tirs. Selon nos informations, l'IGPN indique que ces propos "peuvent être attribués" au policier qui n'est pas à l'origine des tirs. Des expertises plus poussées doivent encore être menées sur ce point par l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

D'après le troisième passager du véhicule, ce serait le policier à la fenêtre, donc pas celui qui a tiré, qui aurait tenu ces propos. "Il lui a dit 'coupe le moteur ou je te shoote'. Il lui a mis un premier coup de crosse. Ensuite, le deuxième est arrivé et lui a aussi mis un coup de crosse et s'est placé au niveau du pare-brise face à Nahel", a-t-il confié dans une vidéo diffusée sur notre antenne.

La tension aurait ensuite continué de monter: "De là, le premier policier qui est au niveau de la fenêtre lui braque une arme sur la tempe et lui dit 'bouge pas ou je te mets une balle dans la tête'. Le second policier lui dit 'shoote-le'. Le premier policier lui remet un coup de crosse."

Dans le document judiciaire que BFMTV a pu consulter, il est expliqué qu'en l'état, les enquêteurs ne peuvent pas attribuer la phrase à l'un ou l'autre des policiers. "Ni leurs auditions, ni la confrontation n'ont en l'état permis de déterminer lequel des deux a tenu les propos faisant référence 'à une balle dans la tête'", peut-on y lire.

Article original publié sur BFMTV.com