Mort de Juliette Gréco, icône transgressive de la chanson française

Juliette Gréco au Printemps de Bourges en avril 2015 - Guillaume Souvant - AFP
Juliette Gréco au Printemps de Bourges en avril 2015 - Guillaume Souvant - AFP

"J’ai vécu comme un homme avec les plaisirs que peut avoir une femme, et qui sont irremplaçables je crois. Voluptueux, complètement. Démultipliés, peut-être." Ainsi parlait Juliette Gréco en 1986 au micro de France Culture. Morte ce mercredi 23 septembre à l'âge de 93 ans, l'icône de la chanson française, figure transgressive de la scène artistique des années cinquante et soixante, a vécu comme elle l'entendait, en se moquant des convenances et des injonctions faites aux femmes.

Personnalité affirmée, n'ayant pas peur de clamer haut et fort ce qu'elle pensait, Gréco a secoué la France pré-68 avec son franc-parler. Dès ses débuts, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle n'a qu'une seule envie: s'affirmer. "Je n'aime que foutre le feu, c'est vrai", avait-elle raconté à France Culture en 2019. "Les institutions me semblent un peu trop solides. Il faut dire la vérité. Il faut la peindre. Il faut la chanter. Il faut la sculpter. Il faut la dire."

"Nous étions de vilains enfants dissipés"

Rêvant d'être danseuse pour exprimer cette "rage", Juliette Gréco est l'archétype de la femme moderne: "J'étais très en avance sur mon temps, j'ai été d'ailleurs un objet de scandale absolu, je ne cherche jamais ce genre de chose, je suis comme ça, je n'y peux rien". Elle est la chanteuse aux pieds nus, signe distinctif d'une personnalité hors norme qui explose dès son plus jeune âge les codes d'une société qui ne tolère pas les personnalités excentriques:

"J'aimais marcher nu-pieds. J'ai toujours marché nu-pieds. Je fuguais beaucoup, je marchais beaucoup. Je suis une fugueuse, je suis une marcheuse, je suis une curieuse", avait-elle déclaré à France Culture en 2019. "Je n'étais pas commode mais je n'étais pas désagréable pour autant, mais... j'étais bizarre."

Dès la fin de la guerre, elle n'a pas 20 ans et sa liberté d'allure et de ton séduisent intellectuels et artistes de Saint-Germain-des-prés. Juliette Gréco a vécu "violemment" ses vingt ans, se souviendra-t-elle en 2013 dans les colonnes de L'Express: "Je suis contente de les avoir vécus ainsi. La vie était légère, élégante... Nous étions de vilains enfants dissipés, libres, entièrement." "Il y avait beaucoup de personnages, seuls, à Saint-Germain. Dont moi, mais j'étais très dissipée, je n'étais pas morale du tout. Pas 'morale' dans le sens catholique ou social du mot. J'ai une moralité très particulière", dira-t-elle aussi à France Culture.

Interprète audacieuse de Brel, Gainsbourg et Vian

Elle fréquente Duras, Sartre, Beauvoir et anime les soirées du mythique cabaret "Le Tabou". La jeunesse explose dans un Paris libéré où l'existentialisme naît entre les murs des clubs. Juliette Gréco rencontre Miles Davis avec lequel elle aura une aventure torride. Interprète audacieuse de Déshabillez-moi en 1967, mais aussi de Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Serge Gainsbourg, Jacques Brel et Léo Ferré, Juliette Gréco fascinait par sa manière très personnelle d'interpréter les textes. Sa mémorable reprise de Ne me quitte pas de Brel résume peut-être à la perfection son caractère iconoclaste:

"Comme je suis très mal élevée, je phagocyte à mort un texte. Je suis très violente. Jamais personne n’a chanté, que je sache, Ne me quitte pas comme ça. Je suis complètement revendicatrice. Je suis une femme et j’ai un caractère assez bien trempé. Méfie-toi car si tu me quittes, tu vas voir ce qui va t’arriver. C’est comme ça que je la chante. Elle le provoque", avait expliqué Juliette Gréco en 2015 au Soir.

"Alors, oui j'interprète Ne me quitte pas d'une façon que les breliens n'aiment pas mais j'exprime ce que je ressens", avait-elle encore ajouté dans les colonnes de L'Express. "Et mon arme fatale, c'est que je suis une femme. L'homme, c'est fait, et comment!, par lui-même. Ma version de Ne me quitte pas, c'est un combat, la sienne, une défaite. C'est beau aussi, une défaite mais moi je n'aime que les combats."

Article original publié sur BFMTV.com