Mort de l’Aga Khan : qu’est ce que l’ismaélisme, ce courant de l’Islam ?

Karim Al-Hussaini, dit Aga Khan, est mort ce mercredi à l'âge de 88 ans. Ce philanthrope était aussi l'imam des Ismaéliens nizarites. Mais qui sont-ils ?

LISBON, PORTUGAL - JULY 10: Shah Karim Al-Hussaini, Prince Aga Khan IV (C) delivers the keynote speech in the senate hemicycle during the welcoming ceremony at the parliament within the framework of his official visit to Portugal on July 10, 2018 in Lisbon, Portugal. Shah Karim Al-Hussaini, Prince Aga Khan IV, 49th hereditary Imam of the Ismaili Muslims, is on a three-day official visit to Portugal to close the celebrations of his 60 years as spiritual leader of the Shia Ismaili. (Photo by Horacio Villalobos - Corbis/Corbis via Getty Images)
Shah Karim Al-Hussaini, le prince Aga Khan IV, dans l'hémicycle du Sénat lors de la cérémonie d'accueil au parlement, dans le cadre de sa visite officielle au Portugal le 10 juillet 2018 à Lisbonne, Portugal.(Photo by Horacio Villalobos - Corbis/Corbis via Getty Images)

"Son altesse le prince Karim Al-Hussaini, Aga Khan IV, 49e Imam héréditaire des musulmans chiites ismaéliens et descendant direct du prophète Mahomet (que la paix soit avec lui), est décédé paisiblement à Lisbonne le 4 février 2025, à l’âge de 88 ans, entouré de sa famille".

C'est par ce communiqué que le réseau Aga Khan de développement (AKDN) a annoncé la mort de Karim Al-Hussaini, imam des Ismaéliens nizârites, ce mercredi 5 février 2025. L’annonce du nom de son successeur, le 50e imam, aura lieu avant les funérailles de l’Aga Khan, lesquelles se dérouleront à Lisbonne.

L’ismaélisme est un courant de l’islam chiite (à différencier de l’islam sunnite). Pour les chiites, le pouvoir temporel et spirituel doit revenir aux imams, les guides qui sont issus de la descendance de Fatima (fille du prophète Mahomet) et d’Ali, son gendre. Les ismaéliens se sont distingués des autres courants chiites autour de l’an 765.

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À cette époque, le sixième imam et descendant d’Ali et Fatima, Ja’far al-Sâdiq, désigne son fils Ismaïl Ben Jafar comme successeur. Mais Ismaïl va disparaître avant la mort de son père, et en outre est accusé d’avoir une mauvaise réputation.

"On l’accusait de s’adonner à la boisson et d’avoir de mauvaises moeurs, ou au contraire de fréquenter des extrémistes. Toujours est-il que son père a fini par désigner un autre successeur"

Daniel de Smet, islamologue et philosophes, auteur des Fatimides, de l’ésotérisme en Islam (cité par Le Monde).

Les ismaéliens, ce sont les descendants des musulmans de l’époque qui ont continué à voir dans Ismaïl l’imam légitime, et après lui son fils. Pour eux, Ja’far al-Sâdiq aurait choisi un autre successeur pour protéger sa lignée des sunnites.

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L'ismaélisme est une branche majeure du chiisme, apparue au VIIIᵉ siècle, qui se distingue par son approche ésotérique de la foi islamique (qui se transmet seulement à des adeptes qualifiés). Les adeptes de ce courant, appelés ismaéliens, accordent une importance particulière à la dimension cachée des textes sacrés et des phénomènes du monde.

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Dès le IXᵉ siècle, le mouvement ismaélien établit son centre à Salamiyya, en Syrie, d'où il envoya des missionnaires dans diverses régions du monde musulman. Cette expansion aboutit à la fondation du califat fatimide en Ifriqiya (actuelle Tunisie) au début du Xe siècle, qui s'étendit ensuite à l'Égypte, où Le Caire fut fondé en 969. Le califat fatimide, fondé en 909, marqua l’âge d’or de l’ismaélisme.

"Les Fatimides ont établi un empire qui, pendant près de deux siècles, a été un centre de culture et de savoir, rivalisant avec Bagdad sous les Abbassides." (L'historien Farhad Daftary, A Short History of the Ismailis)

L'ismaélisme se caractérise par une distinction entre le sens apparent (ẓāhir) et le sens caché (bāṭin) des écritures. Les ismaéliens croient que l'humanité est guidée par deux principes : la sharī‘a (loi religieuse) et la quête de la résurrection spirituelle (qiyāma).

"L’ismaélisme est la seule tradition islamique qui a su développer une métaphysique de l’ésotérisme aussi élaborée, alliant pensée grecque et mystique coranique."

(Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique)

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L'historien Sami N. Makarem souligne également dans The Doctrine of the Ismailis que "l’ismaélisme n’a jamais été une simple doctrine religieuse, mais une philosophie complète, intégrant la raison, la foi et le progrès humain."

Au fil du temps, l'ismaélisme a connu plusieurs divisions internes. Après la mort du calife-imam al-Mustansir en 1094, une scission majeure a conduit à la formation des branches mustalienne et nizârite.

Les nizârites ont notamment établi un État centré sur la forteresse d'Alamut en Perse, connu pour sa résistance face aux Seldjoukides. On en trouve des mentions jusque dans les écrits de l’explorateur Marco Polo dans Le Devisement du Monde : "Le Vieux de la Montagne (Hasan-i Sabbah) possédait un pouvoir absolu sur ses fidèles, convaincus qu’ils obtiendraient le paradis en suivant ses ordres."

Ces histoires popularisées par l'explorateur vont ainsi être la source de nombreux récits et légendes, et certaines seront même reprises dans des jeux vidéos : notamment Assassin's creed, comme le détaille Le Monde.