La Moldavie à l'heure des choix : un pays divisé à l'approche du référendum d'adhésion à l'UE
"Oui" ou "non" à l'Europe ? Le 20 octobre, les Moldaves se prononceront par référendum sur l'inscription dans la Constitution de l'adhésion à l'UE en tant qu'objectif national.
Le journaliste d'Euronews Hans von der Brelie s'est rendu dans ce pays situé aux confins de la Roumanie et de l'Ukraine. Il s'est entretenu avec des pro-européens à l'ouest et des séparatistes pro-russes à l'est, dans la région séparatiste moldave de Transnistrie.
Quel pourrait être l'impact de l'adhésion à l'UE sur l'économie et la vie quotidienne des Moldaves ?
Ce reportage débuté à Ungheni, près de la frontière roumaine, sur le site d'un fabricant de tapis industriel. Les bâtiments immenses qui datent de l'époque soviétique, voyaient chaque jour défiler quelque 2 000 ouvriers, venus fabriquer des tapis pour le bloc de l'Est. Depuis la chute de l'URSS, le pays a subi des changements parfois douloureux, auxquels sont venus s'ajouter les troubles politiques, la crise financière, la pandémie, la flambée des prix de l'énergie et l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Aujourd'hui, l'usine de tapis ne compte plus que 150 employés.
Mais Ghenadie Podgornii, directeur technique de Covoare Ungheni, livre un point de vue optimiste : « L'adhésion au marché intérieur européen voudrait dire que l'on se débarrasse de toute la bureaucratie liée à l'exportation et à l'importation », estime-t-il.
Près de 70 % des tapis sont vendus à des clients de l'UE. Aliona Tiuticov, directrice financière, estime que le potentiel est encore plus grand : « Devenir membre de l'UE serait une valeur ajoutée », dit-elle, « c'est bon pour notre image en tant que pays et en tant qu'entreprise ».
Regarder vers l'ouest
La direction cherche à embaucher 30 personnes supplémentaires, mais de nombreux Moldaves travaillent en Europe occidentale. L'adhésion à l'UE pourrait apporter de la stabilité économique à la Moldavie et ainsi ralentir l'exode, estime Mme Podgornii.
« L'adhésion à l'UE serait un avantage pour notre entreprise, car elle nous aiderait à garder les travailleurs en Moldavie. Pour gagner de l'argent, ils ne seront plus obligés de partir travailler à l'étranger », explique-t-il.
Podgornii a lui-même vécu cette expérience : « J'ai vécu à l'étranger, j'ai travaillé pendant 12 ans en Italie. Je suis revenu en Moldavie parce que je voulais accomplir quelque chose dans mon propre pays. Mais je suis surtout revenu parce qu'ici, je me sens chez moi ».
Que pensent les employés de l'Union européenne ?
"C'est une bonne chose d'entrer dans l'Union européenne", estime Maria, tisseuse de tapis industriels, "car les salaires seront alors plus élevés".
Tous les travailleurs de l'usine ne partagent pas cet enthousiasme pro-européen.
"Les prix dans les magasins pourraient augmenter encore plus", tranche une autre tisseuse. Mais d'après les sondages, la plupart des Moldaves se disent favorables à l'adhésion à l'UE. Aujourd'hui déjà, le pays a accès aux programmes d'aide financés par l'UE. C'est ainsi que l'entreprise de tapis a pu installer des panneaux photovoltaïques sur son toit, ce qui lui a permis de réduire sa facture d'électricité.
Un premier pas vers l'adhésion à l'UE
La Moldavie exporte de nombreux produits agricoles tels que les prunes, les pommes, les noix et le vin. Dans un village du centre du pays, proche de la capitale Chisinau, Igor Golbian a lancé une start-up produisant des fruits biologiques séchés et de l'huile de tournesol. N'ayant pas trouvé assez de salariés au niveau local, il a embauché des travailleurs contractuels indiens.
Ce patron envisage d'exporter vers la Roumanie, la Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas, mais cette ambition ne pourra se réaliser qu'au prix d'une longue période préparatoire.
« En tant qu'exportateur, vous devez être bien renseigné au sujet des exigences techniques concernant les règles d'emballage, les conditions de stockage, la logistique, l'étiquetage et l'échantillonnage. En ce moment, la Moldavie se trouve à un tournant. C'est notre dernière chance de prendre le train en marche vers l'Union européenne ! »
Lors du prochain référendum d'octobre, les Moldaves devront se prononcer sur l'adhésion à l'UE. Mais les 27 États membres de l'UE devront eux aussi donner leur accord, ce qui pourrait prendre un certain temps. Et la situation de la Transnistrie, dans l'est de la Moldavie, reste une épine dans le pied de Chisinau, et témoigne d'un pays divisé.
À l'est, les séparatistes pro-russes sont aux avant-postes.
Près de 2 000 soldats russes sont toujours présents en Transnistrie. Il y a 34 ans, cette région russophone a déclaré son indépendance. Mais ce proto-État n'est pas reconnu par la communauté internationale, pas même par Moscou, du moins pour l'instant.
Nous nous sommes entretenus avec des habitants de Tiraspol, la capitale séparatiste, pour savoir ce qu'ils pensaient de l'éventuelle adhésion de la Moldavie à l'UE et de ce que cela signifierait pour la Transnistrie. Daria, une jeune femme, se dit favorable à l'idée :
« C'est une bonne initiative et cela présenterait des avantages pour les deux parties, la Transnistrie et la Moldavie ». « Nous attendons la Russie», clame de son côté Tatiana,
« car nous serons reconnus comme faisant partie de ce pays. Ou du moins, la Russie nous reconnaîtra comme un État indépendant ».
Un bras de fer économique
L'industrie lourde de la Transnistrie dépend du gaz russe, presque gratuit. À la fin du mois de décembre, cela pourrait prendre fin. Cela pourrait être fatal à de nombreuses usines.
Depuis le début de l'année, la Moldavie perçoit les droits d'importation et d'exportation, la TVA et les redevances auprès des entreprises de Transnistrie, et a intensifié la lutte contre le blanchiment d'argent. Du point de vue de l'UE, il s'agit de procédures ordinaires qui suivent des règles communes. Mais c'est un coup dur pour les oligarques locaux, qui tirent les ficelles politiques et économiques de la région séparatiste.
En outre, on soupçonne que des pièces électroniques fabriquées en Transnistrie soient utilisées dans des systèmes d'armes russes, dans le cadre d'un « double usage ».
De grandes entreprises telles que Elektromash, Moldavisolit et Bender Potential figurent parmi les suspects.
Le chef de la fédération industrielle de Transnistrie, Yuriy Mikhaylovich Cheban, nie ces allégations et critique les contrôles stricts à l'exportation introduits par la République de Moldavie, qui reposent selon sur des « motifs politiques ».
"Plus de 40 000 personnes sont descendues dans la rue pour protester", assure-t-il. "A cause de toutes ces mesures, nous avons déjà perdu 70 à 80 millions d'euros, cet argent manque à notre budget".
Le « président » autoproclamé de Transnistrie qualifie les taxes moldaves d'« agression ».
"Ces marchandises sont devenues 15 à 20 % plus chères en raison de ces taxes", indique celui qui se dit ministre de l'économie de Transnistrie, Sergei Obolnik, "et sont donc maintenant plus chères que les produits moldaves. De plus, tous les outils pour continuer à interagir avec l'Occident disparaissent, à cause de cette double imposition et de la fermeture de certains de nos comptes bancaires en Moldavie. Cela conduit à une situation proche de l'effondrement économique".
Avec ou sans l'UE
De retour à Chisinau, la capitale de la République de Moldavie, nous rencontrons le ministre moldave de l'économie et vice-premier ministre du pays, Dumitru Alaiba.
Les préparatifs en vue de l'intégration de l'économie moldave dans le marché intérieur européen sont en bonne voie. Mais qu'en est-il de la Transnistrie ?
"Cette partie [transnistrienne] de notre économie est assez bien intégrée [au marché intérieur européen], avec environ 80 % des exportations vers l'Union européenne", note-t-il. Au sujet des entreprises placées sous « embargo », sa réponse est sans ambages.
"Lorsqu'une entreprise moldave produisant des biens à double usage pour les exporter vers la Russie, nous ne l'autorisons pas", tranche Dumitru Alaiba. "Point final".