En misant sur Bernard Cazeneuve comme option de gauche pour Matignon, Emmanuel Macron fait un pari risqué
POLITIQUE - Après sept semaines de gouvernement démissionnaire, et alors que la gauche revendique (toujours) Matignon, des socialistes pourraient-ils censurer un Premier ministre issu de leur rang ? C’est le pari fait par Emmanuel Macron alors que l’hypothèse Bernard Cazeneuve continuait, mardi 3 septembre, d’être « testée » par le chef de l’État, selon son entourage.
L’ancien chef du gouvernement de François Hollande a été reçu à l’Élysée la veille. Il « n’est pas demandeur mais s’il le fait, c’est par devoir et pour éviter des difficultés supplémentaires au pays », avait assuré la veille son entourage. Après avoir évincé Lucie Castets, proposée par le Nouveau Front Populaire, la personnalité de Bernard Cazeneuve a des avantages pour Emmanuel Macron. Expérience, ex-socialiste… A minima, elle permettrait au chef de l’État d’affaiblir le procès en déni de démocratie que ne manquerait pas de lui faire la gauche, qui estime qu’au vu des résultats des législatives, Matignon doit lui revenir.
Pour autant, le choix de Bernard Cazeneuve ne garantit pas d’éviter l’échec. Primo, parce que l’ancien Premier ministre est foncièrement hostile à La France insoumise qui le lui rend bien et a déjà brandi la menace de la censure. Ensuite parce que chez les socialistes, il ne fait pas non plus l’unanimité… Et c’est encore pire à l’Assemblée.
Le PS refuse tout soutien « inconditionnel » à Bernard Cazeneuve
Invité sur BFMTV le 2 septembre, le Premier secrétaire du Parti Olivier Faure prend soin de rappeler que si Bernard Cazeneuve « a été » socialiste, il est désormais à la tête de son propre mouvement La Convention. « Je ne sais pas au nom de quoi Bernard Cazeneuve va aller parler avec le chef de l’État », cingle-t-il. Pas de soutien officiel donc, et tout juste le chef socialiste concède-t-il qu’il y « réfléchira » si Bernard Cazeneuve obtient d’Emmanuel Macron l’abrogation de la réforme des retraites.
Une réserve qui tranche radicalement avec le discours de son principal opposant interne, le maire PS de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol. « Puisque l’hypothèse Castets a été écartée, quand on regarde celles qui circulent encore, il est très clair pour nous que c’est Bernard Cazeneuve que nous soutenons », fait savoir Nicolas Mayer Rossignol ce mardi lors d’une visioconférence face à la presse. Il assure être sur la même ligne que la maire de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy, cheffe de file du deuxième courant d’opposition socialiste. Carole Delga, présidente de la région Occitanie et aussi opposée à la ligne Faure, dit son « estime » pour l’ancien chef de gouvernement dans une interview à La Dépêche lundi 2 septembre.
Pas question pour autant de lui donner un « blanc-seing » sans avoir vu sa feuille de route. Mais, interroge Nicolas Mayer-Rossignol, face à l’hypothèse Xavier Bertrand aussi étudiée par l’Élysée, « Est-ce que nous voulons veut un Premier ministre qui soit de notre sensibilité ou qui ne le soit pas ? », interroge-t-il. Dans des SMS dont l’AFP a eu copie, le maire de Rouen et Hélène Geoffroy ont réclamé un vote lors d’un bureau national du PS mardi soir pour que « le PS annonce clairement qu’il ne censurera pas un gouvernement de cohabitation mené par Bernard Cazeneuve, Premier Ministre, partant du programme du NFP et dans le cadre du front républicain ».
En vain. Au cours de cette réunion entre les cadres du parti, le soutien inconditionnel à Bernard Cazeneuve a été écarté, fragilisant encore un peu plus cette option pour Emmanuel Macron. Un amendement demandant de ne pas censurer un éventuel gouvernement Cazeneuve a priori a aussi été rejeté. Bernard Cazeneuve est un homme « de gauche (...) pas socialiste » et « il a été l’un des rares hommes de gauche à expliquer qu’il était contre le NFP », a déclaré Olivier Faure sur France 2 mercredi matin. « C’est là qu’il y a quelque chose qui ne colle pas complètement. C’est pour ça qu’on ne peut pas avoir un soutien franc et massif », a-t-il justifié.
S’il n’y a pas eu de vote sur la personne de l’ancien Premier ministre, le bureau politique a cependant approuvé une résolution comportant dix points… dont le fait de soutenir la nomination d’un Premier ministre NFP en la personne de Lucie Castets.
Le poids des éléphant(eaux)
Or au-delà du vote du bureau politique, Nicolas Mayer-Rossignol n’a pas manqué de rappeler qu’ensemble, son courant et celui d’Hélène Geoffroy sont « majoritaires » chez les militants. « C’est cette majorité qui nous permet de dire que nous voulons que ce soit un Premier ministre de gauche qui ait un bilan respecté », insistait-il. Mais pas sûr que l’argument soit assez fort pour résonner jusque dans l’Assemblée nationale.
Ni Hélène Geoffroy, ni Nicolas Mayer-Rossignol ni Carole Delga n’y siègent. Bien qu’élus localement, ils l’ont été sur une participation faible - entre 20 et 30 % pour les municipales de 2020 en pleine épidémie de coronavirus. Par ailleurs, leur ancrage local répond à d’autres logiques que celles qui ont permis l’élection des soixante-six députés PS, davantage dépendants des dynamiques nationales. Dans ces conditions, disposent-ils d’assez de relais dans l’hémicycle pour pousser les députés roses à soutenir un gouvernement Cazeneuve, alors même que le patron du parti est largement sur la réserve ?
Le maire de Rouen assure que des parlementaires partagent son point de vue et cite Jérôme Guedj, en rupture avec Jean-Luc Mélenchon, Dominique Potier, le chef des sénateurs Patrick Kanner « et beaucoup d’autres ». Ce qui fait peu, mais qu’importe. « Nous n’imaginons pas une seule seconde que si la feuille de route était conforme aux attentes, un gouvernement Bernard Cazeneuve serait censuré par le groupe PS », veut-il croire, sans s’avancer sur un chiffre précis d’élus qui soutiendraient le retour de l’ancien Premier ministre. Pas la meilleure garantie pour assurer à Emmanuel Macron que Bernard Cazeneuve survivrait à une motion de censure.
Contactée par Le HuffPost, une source parlementaire rappelle sèchement la ligne officielle du parti : « Les soixante-six députés PS se sont mis d’accord sur le fait qu’ils censureraient toute prolongation du macronisme et que donc le sujet n’était pas le casting mais le fond. Aucun, absolument aucun, n’a transigé de cette ligne depuis 15 jours et n’a défendu un soutien à tel ou tel sans savoir quelle sera l’orientation politique d’un nouveau Premier ministre ». Une façon de rappeler que le cœur du problème se trouve à l’Assemblée. Et que c’est uniquement avec celle-ci que le futur Premier ministre devra composer.
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