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Une minute, une voix... Comment LR a fait passer son texte sur les violences intrafamiliales

L'Assemblée nationale, le 24 novembre 2022 - Geoffroy Van der Hasselt © 2019 AFP
L'Assemblée nationale, le 24 novembre 2022 - Geoffroy Van der Hasselt © 2019 AFP

Sur le gong... et à un vote près. L'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi permettant de créer "une juridiction spécialisée aux violences intrafamiliales" ce jeudi à minuit, soit pile au terme de la niche parlementaire de LR, séance durant laquelle un groupe a la main sur l'ordre du jour, mais seulement pendant une journée pour ce qui est de l'opposition.

Le texte, porté par le député Aurélien Pradié et rejeté au préalable en commission des Lois, a recueilli 41 voix pour, dont celles de la gauche et l'extrême droite, tandis que 40 parlementaires de la majorité ont voté contre, dans un hémicycle vide.

Rapidement, Aurélien Pradié, habitué aux saillies salées, a mis le bleu de chauffe. Pour défendre son texte, le candidat à la présidence de LR, commence par une allitération. "Attendre" répète-t-il en début de phrase avant d'égrainer le nombre de femmes assassinées par leur conjoint ces dernières années.

"Les assassins courent plus vite que nous"

"L'Espagne, elle, n'a pas attendu" oppose ensuite le Lotois pour souligner que le pays ibérique s'est doté d'une juridiction spécialisée dès 2004. Conclusion de l'élu de 36 ans: "Pendant que nous hésitons, des femmes meurent. Les assassins courent plus vite que nous, beaucoup plus vite".

De son côté, le gouvernement est au trot. L'exécutif ne veut pas accorder une victoire à la droite sur ce texte. Sur le fond, il n'y a pas de grand désaccord. "Oui, il faut améliorer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes", reconnaît à la tribune Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice.

Début septembre, son homologue à l'Égalité entre les femmes et les hommes, allait plus loin dans le JDD: "Il faut une justice spécialisée", déclarait tout simplement Isabelle Rome. Elle renvoyait néanmoins le sujet à une mission parlementaire, dont les conclusions sont prévues pour la fin mars.

"Ce n'est pas vous qui l'avez mis en œuvre, c'est nous"

Avec son texte, Aurélien Pradié pourrait donc couper l'herbe sous le pied du gouvernement. Et plutôt deux fois qu'une. Déjà, en 2019, le député du Lot avait devancé l'exécutif, qui venait de lancer un Grenelle contre les violences conjugales, en faisant adopter une proposition de loi contre les violences faites aux femmes. Celle-ci permettait notamment de généraliser le bracelet anti-rapprochement.

Dans l'hémicycle, Éric Dupond-Moretti tance Aurélien Pradié. "Sur la base de quelle évaluation objective documentée, pourriez-vous conclure que la création verticale d'une juridiction spécialisée, sans étude d'impact, tel que cela vous est proposé ce soir, apporterait la moindre avancée?", questionne-t-il, avant de répliquer lui-même dans la foulée: "Personne, je dis bien personne, ici, ne peut répondre".

Un peu plus tard, après une liste des actions menées par le gouvernement, il évoque les bracelets anti-rapprochement "que j'ai généralisés en 2021". Il s'explique devant Aurélien Pradié: "Vous avez pris ce texte, vous l'avez fait voter, parfait, mais une fois que le texte est là, encore faut-il le mettre en œuvre. Et ce n'est pas vous qui l'avez mis en œuvre, c'est nous". Et le garde des Sceaux attaque:

"Vous avez fait, mais vous n'avez pas tout fait, vous n'êtes pas le Monsieur lutte [contre les violences faites aux femmes]. C'est un sujet transversal qui nous préoccupe tous".

"Même salade que la semaine dernière"

Les passes d'arme se succèdent entre Éric Dupond-Moretti-Isabelle Rome d'un côté et Aurélien Pradié de l'autre. Les débats s'allongent. L'exécutif joue la montre. Antoine Léaument fait un rappel au règlement. "Je crains que si la parole de Monsieur le ministre n'est pas limitée lorsqu'il a épuisé ses arguments, cela provoque des scènes tumultueuses", assène le député de La France insoumise. "Nous avons eu à vivre une niche parlementaire sabotée par le gouvernement et la majorité, je ne voudrais pas que nos collègues Républicains subissent le même sort", poursuit-il.

Au Rassemblement national, la députée Edwige Diaz estime elle aussi que "le gouvernement décide de nous refaire la même salade que la semaine dernière". En cause: le texte porté par LFI lors de sa niche parlementaire jeudi dernier visant à la réintégration des soignants non-vaccinés. Face au consensus des oppositions, la majorité avait joué d'obstructions pour que le texte n'aille pas à son terme.

Pas de bis repetita cette fois-ci. Pour accélérer la procédure, les députés de l'opposition retirent leurs amendements. Ce texte, "vous vous asseyez sur vos convictions pour le faire passer au forceps", accuse en retour Éric Dupond-Moretti.

"Non seulement, vous vous asseyez sur toutes vos convictions dans une espèce de petit arrangement mais en plus, vous reprochez au gouvernement de débattre", poursuit le ministre.

"Je n'étais pas opposé à une juridiction spécialisée, mais je dis que ça méritait un véritable travail, pas une posture politicienne", insiste-t-il. Le garde des Sceaux accuse Aurélien Pradié de faire "cavalier seul", de "se moquer complètement du travail qui est en cours", c'est-à-dire la mission parlementaire.

"Ça fait dix fois que vous dites la même chose", entend-on dans l'hémicycle alors que l'heure tourne. Le texte arrive finalement à son terme. Il est adopté. Les députés applaudissent. Pour LR, c'est une seconde victoire. Plus tôt dans la journée, une proposition de loi visant à augmenter les pensions agricoles a été adoptée à l'unanimité.

Article original publié sur BFMTV.com