Michel Barnier, en révélant son opération d’une lésion cervicale, lève-t-il un tabou sur la santé de l’exécutif ?

POLITIQUE - C’est un court communiqué, qui a fait l’ouverture des journaux télés. Lundi 28 octobre, en fin de journée, le docteur Olivier Hersan, médecin de Michel Barnier, révèle que ce dernier a subi une intervention chirurgicale pour une « lésion cervicale » qui s’est « très bien passée ».

C’est quoi une « lésion cervicale » pour laquelle Michel Barnier a été opéré ?

Cette communication a effectivement de quoi surprendre. D’abord, parce qu’elle concerne un Premier ministre, mais aussi parce que la Ve République a habitué les Français à un certain secret autour de la santé de l’exécutif.

« Rassurez-vous, un jour, je ne manquerai pas de mourir »

Le premier président de la République Charles de Gaulle donne le ton qui sera celui des décennies à venir : en ce qui concerne la santé des chefs d’État, circulez, il n’y a rien à voir. Le 4 février 1965, en conférence de presse, un journaliste pose la question qui brûle les lèvres de ses confrères : « Comme vous portez-vous ? », demande-t-il à celui qui a subi une opération de la prostate quelques mois plus tôt. « Je ne vais pas mal mais rassurez-vous, un jour je ne manquerai pas de mourir », répond-il, devant une salle qui éclate de rire.

De Gaulle préfère rester muet, et la Constitution ne l’en empêche pas. « Elle dit qu’en cas d’empêchement grave, une procédure pourrait être entamée de destitution ou de transition pour des raisons électorales, mais il n’y a pas d’obligation de transparence, de publier des bulletins de santé, explique Jean Garrigues, historien et président de la commission internationale pour l’Histoire des assemblées d’État. C’est aussi une caractéristique parce qu’en Angleterre, en Italie, on sait beaucoup plus les choses. Ça tient aussi à notre régime, qui est un régime très présidentiel. »

Le 2 avril 1974, à 22h15, le choc Pompidou

Sauf que ce voile mis sur la santé des présidents a parfois été particulièrement mal vécu par les Français. Le 2 avril 1974, ils sont interrompus dans leur film du soir par une annonce à laquelle ils peinent à croire : « Nous interrompons ce film, le président de la République est mort », annonce soudainement le journaliste Philippe Harrouard à 22h15.

Et ils ont de quoi être surpris : depuis plusieurs mois, le président Georges Pompidou paraît effectivement affaibli, mais l’Élysée cache le mal qui le ronge, la maladie de Waldenström, un type de cancer du sang, rare et incurable.

Le Palais ment aux Français, parle « d’infections grippales » pour expliquer les absences répétées du président, ou encore de « crises hémorroïdaires » pour justifier son changement d’aspect physique, en fait lié à ses lourds traitements.

Et pourtant, malgré le choc, ses successeurs ne changeront pas leur manière de faire. Valéry Giscard d’Estaing ne publiera aucun bulletin de santé, et François Mitterrand cachera son cancer aux Français pendant près de 11 ans, en laissant publier par son médecin personnel des bulletins de santé falsifiés, qui ne disent rien de sa maladie pourtant découverte au début de son premier septennat.

Le tournant Sarkozy ?

« Cette opacité commence à exploser sous Nicolas Sarkozy dans des tas de domaines. Sarkozy a théorisé le storytelling, la manière de communiquer sur tout, analyse l’historien. Il avait théorisé la transparence mais il ne se l'était pas forcément appliqué à lui-même ».

Sarkozy débute bien son quinquennat avec des bulletins de santé réguliers, mais une opération à la gorge sera maintenue secrète en 2007. Puis, a contrario, l’Élysée communiquera immédiatement sur son malaise vagal pendant un jogging en 2009. Le choix de la transparence est donc autant politique que celui du secret.

En revanche, du côté de Matignon, la santé des Premiers ministres n’a jamais été une réelle préoccupation. Alors, ce souci de transparence affiché par Michel Barnier est inédit et pourrait, là encore, trouver une explication politique. « C’est une manière d’occuper un espace politique en disant qu’aujourd’hui, ça n’est plus à l’Élysée que les choses se décident mais à Matignon », estime Jean Garrigues. L’opacité quittera-t-elle durablement Matignon ? Tout dépendra sans doute des prochains rapports de force au sein de l’exécutif.

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