Michel Barnier, pris en étau entre les lignes rouges de chacun, pourra-t-il vraiment avancer ?

Pris en étau entre les « lignes rouges » de chacun, Barnier (ici le 23 septembre 2023) pourra-t-il vraiment avancer ?
CHRISTOPHE ENA / AFP Pris en étau entre les « lignes rouges » de chacun, Barnier (ici le 23 septembre 2023) pourra-t-il vraiment avancer ?

POLITIQUE - Le casting est connu. Mais les acteurs principaux compliquent l’écriture du scénario. Maintenant que les nouveaux ministres se sont rencontrés, à Matignon ou à l’Élysée, le metteur en scène Michel Barnier travaille à son discours de politique générale, prévu le 1er octobre comme le véritable levé de rideau sur ce nouveau film.

Gouvernement Barnier : l’aile gauche de la Macronie va-t-elle cette fois mettre sa menace à exécution ?

La tâche est complexe, c’est peu de le dire. Le Premier ministre, en plus de n’avoir aucun programme en main pour appuyer la légitimité de son projet ou de ses propositions, doit composer avec les désidératas d’un gouvernement censé être plus hétéroclite que jamais. En clair, chaque sensibilité de cet attelage a dessiné ses propres lignes rouges.

Problème : elles sont parfois contradictoires, voire incompatibles avec les bornes fixées par son voisin. Au point de contrecarrer les plans de Michel Barnier ? Le nouvel homme fort de l’exécutif sera forcément appelé à trancher certains débats (volcaniques), au risque d’être contraint à l’immobilisme.

Retailleau - Migaud, déjà de la friture sur la ligne

Les téléspectateurs assidus des journaux de 20 heures, lundi soir, ont pu voir la manifestation éclatante de ce périlleux grand écart. Sur la Une, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a poursuivi son offensive pour « l’ordre », quitte à mettre la pression sur son collègue de la Justice, l’ancien socialiste Didier Migaud. Lequel lui a répondu, en direct, sur France 2.

« Il faut aussi que l’on revoie vraisemblablement un certain nombre de cadres pour changer une politique pénale qui, je pense, depuis très longtemps, a laissé s’installer ce droit à l’inexécution des peines », a ainsi estimé le nouveau patron de la place Beauvau, en suggérant fortement la création de nouvelles places de prison. Réponse, fraîche, de son collègue de la place Vendôme, quelques secondes plus tard : « il doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays et que c’est quelque chose qui est essentiel dans une démocratie. » Aïe.

De fait, les relations entre Didier Migaud et Bruno Retailleau sont à scruter de près. Déjà, parce que le lien entre le ministre de la Justice et celui de l’Intérieur est souvent émaillé de tensions, comme l’ont montré les premières semaines du duel Darmanin - Dupond-Moretti, devenu duo au fil des mois. Ensuite parce que les deux nouveaux locataires auront fort à faire pour se comprendre, tant ils sont issus de familles politiques différentes.

Le garde des Sceaux, par ailleurs numéro 2 du gouvernement dans l’ordre protocolaire, est un ancien socialiste (avant 2010) attaché au respect de l’État de droit et à la rigueur budgétaire. Bruno Retailleau, lui, reprend le vocabulaire de l’extrême droite depuis des années sur les questions sécuritaires et migratoires, pour lutter contre « une sorte de régression vers les origines ethniques » ou de « processus de décivilisation ». Il défend par exemple l’instauration d’une préférence nationale pour l’accès aux prestations sociales, et ce contre l’avis du Conseil constitutionnel (y compris sur le fond). Difficile, ainsi, d’envisager un dialogue constructif entre les deux ministres.

AME, le totem qui se transforme en piège ?

C’est peu ou prou les mêmes enjeux que relèvent les débats sur l’Aide Médicale d’État (AME.) Les Républicains, qui font de cette enveloppe réservée aux soins médiaux prodigués aux personnes migrantes un totem, ont rapidement mis le sujet sur la table. Alors que le ministre de l’Intérieur a confirmé son souhait de la réformer, lundi soir, Michel Barnier explique pour sa part que la question n’est pas « tabou. »

Problème cette fois-ci : il s’agit d’une ligne rouge claire pour la Macronie et une partie du camp présidentiel. L’AME « n’est pas un sujet d’attractivité pour l’immigration mais un enjeu de santé publique », a par exemple soufflé la députée Agnès Firmin Le Bodo (une proche d’Edouard Philippe et ancienne ministre de la Santé) ce mardi sur le réseau social X, à l’unisson des groupes EPR (ex-Renaissance), Horizons ou MoDem.

Dès lors, qui réussira à caviarder le scénario ? D’un côté, Bruno Retailleau claironne qu’il « n’est pas là pour faire semblant » et pourrait, par conséquent, difficilement assumer des renoncements majeurs quant au projet qu’il défend ardemment depuis plusieurs années. De l’autre, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher juge que ce recul démagogique « n’est pas acceptable ». Pas simple, comme équation.

Le budget aussi, galères garanties

D’autant que les données contraires ne s’arrêtent pas là : ces dissensions ne sont pas limitées au périmètre de Bruno Retailleau, le nouveau (et déjà irritant) ministre de l’Intérieur. Elles concernent également le budget et les enjeux liés à la fiscalité.

Pour contribuer au redressement des finances publiques, fortement dégradées et menacées de dériver comme rarement, le Premier ministre Michel Barnier estime nécessaire de procéder à des « prélèvements ciblés sur les personnes fortunées, ou certaines grosses entreprises ». En clair : taxer les riches.

Une ambition qui, si elle se concrétisait, irait à l’encontre de la doctrine fiscale des Républicains, et renverserait un totem de la Macronie, très attachée à faire baisser la « pression fiscale » sur les personnes modestes, comme les plus aisées. Reste que la situation est telle, que les oppositions semblent s’affaiblir, du camp présidentiel au Medef, et qu’un point d’entente paraît possible sur une hausse d’impôts certes, mais qui ne toucherait pas les classes moyennes.

Tous ces sujets seront quoi qu’il advienne sur la table du séminaire gouvernemental, vendredi, à Matignon, pour le premier véritable moment de travail de cette nouvelle équipe. Suivront, ensuite, de nouveaux jours de débats et de consultations pour aboutir à une feuille de route commune. De ces discussions dépend, entre autres, l’avenir du bail de Michel Barnier à Matignon. Un court ou long métrage ?

À voir également sur Le HuffPost :

Sur l’augmentation des impôts des entreprises, le Medef ne ferme pas la porte, mais...

Agnès Pannier-Runacher portait un pin’s lors de la passation de pouvoir, voici pourquoi