Une mesure sanitaire controversée bloque les migrants aux frontières américaines

Un juge fédéral de Louisiane a empêché vendredi l'administration de Joe Biden de lever une mesure sanitaire mise en œuvre par le gouvernement Trump pendant la pandémie pour pouvoir expulser sans délai les migrants franchissant sans visa les frontières terrestres des Etats-Unis.

Le gouvernement Biden a immédiatement annoncé sa décision de faire appel du jugement.

"L'administration n'est pas d'accord avec la décision du tribunal et le ministère de la Justice a annoncé qu'il ferait appel", a déclaré dans un communiqué Karine Jean-Pierre, porte-parole de l'exécutif, en précisant qu'en attendant, la mesure appelée "Title 42" continuerait d'être appliquée.

Les autorités souhaitaient lever le 23 mai ce dispositif, très controversé car il empêche notamment les demandeurs d'asile de formuler leur requête, mais les gouverneurs républicains de 24 Etats s'y opposant avaient saisi la justice.

"Le tribunal conclut que les Etats plaignants ont rempli les conditions" pour obtenir son maintien provisoire, écrit le juge Summerhays.

Ces "Etats plaignants" affirment notamment que la levée de cette mesure provoquerait une recrudescence des passages aux frontières et par conséquent une hausse du nombre de migrants résidant clandestinement sur leur sol.

Qu'est-ce que le "Title 42"?

C'est une mesure de santé publique qui a été adoptée en 1893 pour protéger les Etats-Unis contre les nombreuses épidémies de choléra et de fièvre jaune qui survenaient à l'époque. Elle n'a été que très rarement mise en œuvre depuis lors.

En mars 2020, le gouvernement de l'ex-président Donald Trump avait activé ce dispositif sanitaire pour pouvoir expulser sans délai les migrants dépourvus de titre de séjour interpellés aux frontières terrestres.

Cette mesure est immédiate, ne permet pas de recours légal et ne prévoit pas de retour automatique dans le pays d'origine.

De rares exceptions sont prévues, pour certaines nationalités comme les Ukrainiens depuis l'invasion de leur pays par la Russie, ou pour les mineurs non accompagnés.

Il n'y a pas de conséquences légales ou judiciaires pour les migrants expulsés dans le cadre de ce dispositif, qui peuvent donc tenter leur chance autant qu'ils le souhaitent.

Depuis l'entrée en vigueur, le dispositif a été utilisé plus de 1,8 million de fois.

Que se passe-t-il lorsqu'un migrant sans visa se présente à la frontière avec le Mexique ?

Le "Title 42" autorise l'expulsion immédiate des adultes qui sont interceptés sans visa par les garde-frontières américains, quel que soit leur statut.

Les militants des droits humains et les experts considèrent qu'il s'agit d'une violation des lois internationales. Ils estiment notamment "inhumain" d'empêcher un demandeur d'asile potentiel de formuler sa requête en ce sens.

Pour eux, le dispositif actuel ne fait qu'encourager les migrants à franchir clandestinement la frontière et à prendre des risques toujours croissants pour y parvenir en traversant des déserts hostiles ou des fleuves propices à la noyade.

Au total, 557 morts ont été recensés à la frontière en 2021, l'année de loin la plus meurtrière depuis le début des statistiques, en 1998.

Nombreux blessés et morts

Les militants des droits humains redoutaient le maintien du "Title 42" qui, paradoxalement, se traduit selon eux par une recrudescence de tentatives de franchir illégalement la frontière entre avec le Mexique. Car il n'y a pas de conséquences légales ou judiciaires pour les migrants expulsés dans le cadre de ce dispositif, qui peuvent tenter leur chance autant qu'ils le souhaitent.

Mais les accidents - déshydratation dans le désert, noyades, chutes en franchissant le mur - font de nombreux blessés et morts, déplorent-ils.

"Cette regrettable décision dit que le gouvernement peut suspendre les demandes d'asile sans préavis mais ne peut rétablir un processus d'immigration normal sans passer par un processus long et compliqué", a réagi auprès de l'AFP Aaron Reichlin-Melnick, expert de l'ONG American Immigration Council.

Pour lui, c'est une "décision absurde" qui va "continuer à nuire aux demandeurs d'asile et à provoquer le chaos à la frontière" avec le Mexique.

Les Etats qui souhaitent le maintien du "Title 42" évoquaient de leur côté des chiffres apocalyptiques, disant que le nombre de tentatives de franchir la frontière allait bondir de 7.000 par jour actuellement à plus de 18.000 si la mesure sanitaire était levée.

Ils assurent que beaucoup de ces migrants sans visa, dont 30.000 à 60.000 seraient selon eux massés dans le nord du Mexique pour attendre l'ouverture de la frontière, échapperaient aux interpellations des gardes-frontières.

Le gouvernement Biden avait reconnu début mai s'attendre à un afflux massif de migrants mais le ministre de la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, s'était dit prêt à gérer cette pression à la frontière mexicaine. Il avait aussi martelé un message clair aux candidats à l'immigration illégale: "Ne venez pas".

Au cours des trois dernières semaines d'avril, la police américaine aux frontières avait interpellé en moyenne 7.800 migrants chaque jour. C'est près de cinq fois plus que la moyenne de 1.600 migrants enregistrée entre 2014 et 2019, avant la pandémie.

A quelques mois des élections de mi-mandat en novembre, républicains et démocrates s'accordent pour dire qu'il existe un problème.

La Maison Blanche parle d'un système d'immigration "défaillant" que le Congrès doit réparer, tandis que ses opposants républicains accusent M. Biden d'échouer à protéger la frontière sud du pays.