Menu sans viande à la cantine: la polémique rebondit sur l'interdiction du vin à l'école par Mendès-France

Photo d'illustration - DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP
Photo d'illustration - DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Imposer un menu unique sans viande dans les cantines scolaires? L'idée a du mal à passer au pays de François Rabelais et de François Vatel. Davantage encore quand elle est émise depuis la ville des "bouchons" et du "Jésus".

Le 15 février dernier, la municipalité de Lyon dirigée par l'écologiste Grégory Doucet a en effet annoncé aux élus d'arrondissements qu'à compter de cette rentrée des vacances de février, on ne proposerait plus aux élèves qu'un menu unique non-carné dans les cantines. L'objectif de la mesure serait "d'accélérer" le service afin de mieux satisfaire aux impératifs du protocole sanitaire anti-Covid-19 en milieu scolaire. L'initiative du maire de Lyon a allumé la fureur du ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, bientôt rabroué par Jean Castex.

Grégory Doucet a cependant reçu le renfort de quelques alliés, dont celui du maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle. Sur le plateau des Quatre Vérités de France 2, mardi, celui-ci a ainsi déclaré: " En 1954, Pierre Mendès France avait créé un tollé incroyable en voulant remplacer le vin par du lait dans les cantines scolaires, il y avait eu des polémiques incessantes. Qui aujourd'hui donnerait du vin dans les cantines solaires ?"

L'exil du vin

La sortie du Grenoblois n'a d'ailleurs pas tardé à lever contre lui un vent de contestation. Comme ici, sur Twitter, l'éditorialiste Dominique de Montvalon qui a tancé: "Incroyable d’ignorance ce que dit Eric Piolle: jamais Mendès-France n’a remplacé en 1954 le vin (sic) par le lait dans les écoles. Il n’y avait aucun vin! Comme il y avait des surplus de lait, Mendès avait fait distribuer aux enfants du baby-boom pour le goûter du lait chocolaté!"

Pourtant, Pierre Mendès-France, président du Conseil entre juin 1954 et février 1955 a bien écarté par une directive l'alcool des tables des cantines scolaires, comme le confirme auprès de BFMTV.com Didier Nourrisson, historien spécialiste de la santé et de l'éducation et notamment co-auteur avec Jacqueline Freyssinet-Dominjon de L’école face à l’alcool. Un siècle d’antialcoolisme scolaire (1870-1970).

"Mendès-France avait engagé une politique de santé publique qui commençait par la lutte anti-alcoolique en 1954. Il avait bien commencé par interdire le vin dans les cantines scolaires, où il était commun depuis 1882 et Jules Ferry", développe l'universitaire qui nuance: "Il l'a interdit pour les moins de 14 ans, les élèves âgés de plus de 14 ans ont conservé le droit de boire boire du vin coupé d'eau".

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La voie lactée

Il faudra d'ailleurs attendre 1981 pour que l'alcool soit formellement banni du déjeuner des lycéens.

Deux ans plus tard, Pierre Mendès-France, qui n'est plus chef du gouvernement mais éphémère ministre d'Etat dans celui de Guy Mollet, emprunte sa voie lactée. L'homme politique impose la distribution d'un verre de lait, assorti d'un morcau de sucre, dans les écoles pour chaque élève, à 10h et 16h. Le verre de lait succède donc bien au vin mais ne le remplace pas à table.

Il faut d'ailleurs voir dans ce choix mendèsiste un signe de son parcours politique. "Il a été élu député dans l'Eure à partir des années 1930. Il était donc très proche des milieux agricoles et des éleveurs. Il est marqué ici du sceau du lobby laitier. Ce qui n'est pas une tare d'ailleurs car à l'époque, deux lobbies s'affrontaient au Parlement: le lobby viticole et celui du lait", décrit Didier Nourrisson.

Le lait tombe à l'eau

L'éclipse du vin et la promotion du lait étaient-elles alors guidées par de basses considérations politiciennes? Notre interlocuteur réfute: "Il y avait des excédents de lait qu'il a fallu placer mais il s'agissait aussi d'une manière d'éduquer la jeunesse à un nouveau goût". En revanche, l'historien estime que la politique pèse davantage dans le menu concocté par la mairie lyonnaise: "Le menu sans viande, lui, n'est pas une mesure de santé publique, c'est une mesure prise pour des raisons peu compréhensibles, se faire un nom chez les écolos".

Le verre de lait de Pierre Mendès-France lui-même a d'ailleurs trouvé ses limites en matière sanitaire. "On a découvert les allergies au lactose, et le lait est lentement tombé à l'eau", sourit Didier Nourrisson.

Article original publié sur BFMTV.com