Mayotte : pauvreté, insécurité, insalubrité... Bien avant le cyclone Chido, la situation explosive de l'archipel

Avec 77 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, Mayotte connaissait déjà dans un contexte extrêmement tendu avant la catastrophe climatique de Chido.

Mayotte est le département le plus pauvre de France. L'archipel connaît entre autres un accès très difficile à l'eau potable. (AP Photo/ Sony Ibrahim Chamsidine)
Mayotte est le département le plus pauvre de France. L'archipel connaît entre autres un accès très difficile à l'eau potable. (AP Photo/ Sony Ibrahim Chamsidine)

Mayotte est en situation de crise, s’apprêtant à découvrir un bilan humain très lourd à la suite du passage du cyclone meurtrier Chido. Les secours s’activent pour retrouver des survivants sous les décombres des bidonvilles ravagés ; l’eau et la nourriture manquent aux habitants, ajoutant aux dégâts du sinistre une situation sanitaire critique.

Mais avant même le passage du cyclone ce samedi 14 décembre, les 320 000 habitants de l’archipel de Mayotte vivaient déjà dans un contexte explosif, luttant entre autres contre la pauvreté et un taux de chômage très élevé. Pour plusieurs élus de l’opposition, l’ensemble des deux îles français de l’Océan indien représentait déjà un archipel "abandonné" par l’État. Ce lundi 16 décembre sur TF1, Manuel Bompard (LFI) pointait "la responsabilité de l’État" sur ce territoire "abandonné depuis des années". Sur Franceinfo, Julien Odoul (RN) évoque des maux "extrêmement graves, des problèmes sanitaires, d’eau potable, la submersion migratoire des Comores".

De vrais disparités séparent en effet le département français de Mayotte de la métropole. Les trois quarts de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté, un taux plus de cinq fois supérieur que dans l’Hexagone. En 2018, selon l’Insee, 42 % de la population vivait avec moins de 160 euros par mois.

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Le chômage connaît un vrai pic, notamment chez les jeunes, ce qui contribue aux tensions sociales. En 2022, à peine un tiers des 15-64 ans avaient un emploi. 67 % d’entre eux de cette même catégorie était peu ou pas diplômée en 2017, "détenant au plus le brevet des collèges".

L'accès à des services de base comme l'eau potable, le logement et l'éducation est limité. En 2023, Mayotte connaissait une grande sécheresse et une terrible crise de l’eau, avant d’être frappée par le choléra. Autant de calamités qui se sont ajoutées à des chiffres déjà alarmants : 45 % des Mahorais (les habitants de Mayotte) ne se soignent pas par manque d’accès ou de moyens, à cause du manque d’infrastructures, relate la chaine La 1ère.

Mayotte dispose d’1,6 lit d’hôpital pour 1 000 habitants, contre 3,5 en métropole. Chez les enfants de 10 à 12 ans, 10 % souffrent d’insuffisance pondérale (contre 4 % dans l’Hexagone).

Mayotte est pourtant considérée comme mieux lotie que ses voisins de Madagascar et des Comores. Ces derniers, indépendants depuis 1975, revendiquent pourtant l’archipel français comme leur appartenant. Éloignés de moins d’une centaine de kilomètres, les Comores sont d’ailleurs à l’origine d’une immigration massive à Mayotte, et ont contribué à son explosion démographique.

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En 20 ans, la population de l’île française a doublé, passant de 160 000 à 320 000 habitants actuellement, pour un archipel qui comptait 12 000 habitants en 1870. Selon l’Insee, près de la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française. De surcroît, les naissances explosent, la population est donc extrêmement jeune : la moitié des habitants sont mineurs.

Tous ces facteurs ont causé une véritable crispation autour du sujet de l’immigration, et notamment des gros flux d’immigration illégale arrivant à bord des kwassa-kwassa, ces barques de pêche locales. Lancée en 2023, l’opération Wuambushu visait à lutter contre l'immigration clandestine et les bidonvilles, mais elle a engendré de vives tensions, des fermetures d’écoles et une crise économique.

Des conflits culturels et identitaires sont également nés entre les habitants, à majorité musulmans, qui souhaitent conserver leurs coutumes locales, et les normes françaises. Dans le contexte du cyclone Chido, cela rend par exemple particulièrement difficile le respect d’un rituel musulman, qui veut que l’on enterre les corps des défunts dans les 24 heures, comme l’a rappelé le préfet de Mayotte François-Xavier Bieuville.

La délinquance et le sentiment d’insécurité sont particulièrement élevés à Mayotte. Les habitants sont trois fois plus victimes de vols avec ou sans violence que ceux de l’Hexagone, selon les données de l’Insee de 2018 et 2019. Six habitants sur dix se sentent en insécurité à leur domicile ou dans leur quartier, et l’action des forces de l’ordre est jugée insuffisante.

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Jusqu'à l’opération Wuambushu en 2023, les violences ont considérablement augmenté (les vols avec armes ont bondi de 121 % entre 2019 et 2023 selon le Ministère de l’Intérieur), et ont conduit à l’arrestation de plusieurs chefs de bandes criminelles.

À cela s’ajoutent des problèmes environnementaux, comme la pollution liée aux bidonvilles ou la déforestation massive (Mayotte est le département le plus déforesté de France). Sans surprise, le PIB de Mayotte par habitant est extrêmement bas : 9 170 € contre 36 897 € en métropole. Après le passage du cyclone Chido, qui aggrave la situation d’une île déjà très impactée à tous les niveaux, Emmanuel Macron doit s’exprimer ce lundi soir, il présidera une réunion de crise depuis le ministère de l'Intérieur.