Maud Ventura n’est pas aussi célèbre que l’héroïne de son nouveau livre, et « c’est un cadeau »
LITTÉRATURE - Vous êtes fan de Taylor Swift, Billie Eilish, Dua Lipa, Selena Gomez ou encore Chappell Roan ? Vous allez adorer détester Cléo Louvent. Superstar mondiale aussi tyrannique que déterminée, elle est l’héroïne de Célèbre, le nouveau roman de la (vraie) nouvelle star des librairies Maud Ventura, qui paraît ce jeudi 22 août chez L’Iconoclaste en pleine rentrée littéraire.
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C’est au beau milieu de nulle part, sur l’île la plus déserte, qu’on fait la connaissance de Cléo Louvent. Sur place : zéro réseau ni moyen de communication. Pas un fan à l’horizon. Comment Cléo, sa guitare comme seule compagne, est-elle arrivée là ? Qu’espère-t-elle vraiment y trouver ?
Son projet d’être « belle, riche et célèbre » (autant que Céline Dion) est déjà atteint. Ses disques se vendent par millions. Ses tournées mondiales explosent les compteurs. Cléo Louvent peut s’enorgueillir d’avoir bâti un empire. Par ses propres moyens, de surcroît. Elle écrit elle-même ses textes depuis toujours et gère son image ou son corps mieux qu’aucun coach.
Une star polarisante
Mais à quel prix ? Si le public lui voue un véritable culte, Cléo Louvent, dans l’intimité, est arrogante, orgueilleuse, détestable, voire carrément problématique avec ses équipes. Convaincue d’être la plus intelligente, elle est exigeante avec les autres mais surtout avec elle-même. Et quand ça ne suffit pas, elle se mutile.
Seulement voilà, la méga star est incapable de ressentir autre chose que de l’ennui. Son premier tube l’illustre bien : il s’intitule I Feel Nothing. Et personne, pas même ses meilleures amies ou son nouveau petit ami, ne peut la comprendre. Lui a-t-il vraiment fallu attendre d’être sur une île déserte pour être seule au monde ?
Génial monologue intérieur teinté de cynisme et d’humour noir, Célèbre de Maud Ventura dresse le portrait d’une pop star polarisante, loin de l’image consensuelle et bienveillante des figures actuelles de l’industrie du disque. « Je ne crée pas des personnages bons sentiments, confesse son autrice au HuffPost. Une bonne héroïne, ce n’est pas une héroïne aimable ou un modèle. J’aime creuser les failles car on a toutes et tous des parts d’ombre. »
« Dans la tête de Taylor Swift »
Ce nouveau roman truffé de références pointues à la pop culture et au star-system balaye d’un revers de main les idées préconçues que l’on se fait en imaginant une fiction sur le sujet. Pas de banale descente aux enfers sur fond d’addiction à la drogue, par exemple. « Je me suis mis dans la tête de Taylor Swift. Qu’est-ce que je ferais si je ne pouvais plus sortir dans la rue normalement ? » s’interroge la romancière de 31 ans.
Son livre – fruit d’une enquête rigoureuse qui l’a menée à la rencontre d’une poignée d’agents, producteurs, attachés de presse et stars – est né d’une fascination qu’elle entretient depuis son plus jeune âge pour le petit monde des people.
Pourquoi Selena Gomez la touche-t-elle autant ? Comment cette dernière et ses consœurs sont-elles parvenues à une telle notoriété ? Maud Ventura s’est lancée dans ce travail pour mieux creuser les raisons de cette obsession, longtemps réprimée car parfois considérée comme superficielle par l’opinion publique.
En réalité, « s’intéresser à la célébrité, dit-elle, c’est aussi s’intéresser à l’art, à la création, à notre rapport à l’argent, aux autres, ou même à la morale. Au nom de quoi créer une grande œuvre peut m’autoriser à être odieuse ? Quelle différence y a-t-il entre intransigeance et persévérance ? »
Oprah Winfrey adore
Le succès, Maud Ventura n’y est pas étrangère. Son premier roman salué par la critique, Mon mari, a fait un véritable carton. Il s’est écoulé à près de 400 000 exemplaires depuis sa parution en 2021. Traduit dans 15 langues et vendu par milliers aux États-Unis, il est notamment tombé entre les mains de la star des talk-shows Oprah Winfrey.
Une réussite évidente ? « J’aimerais bien avoir l’assurance de Cléo sur ce sujet, mais ce n’est pas le cas », ironise l’écrivaine, qui pointe un effet boule de neige dans l’emballement autour de ce précédent roman, l’histoire d’une femme obsédée par l’idée de maintenir la flamme dans sa vie conjugale. Elle reste réaliste : « Le destin d’un livre est unique. C’est souvent un moment, une date. »
Elle n’attend pas de ses œuvres qu’elles la guident au même rang que sa nouvelle héroïne. « Les écrivains ne seront jamais vraiment célèbres. Et c’est un cadeau, relativise Maud Ventura. La plupart des auteurs les plus vendus restent dans l’anonymat, à quelques exceptions près comme Amélie Nothomb. Ce n’est pas le cas des actrices ou des stars de la chanson, incarnations même de ce qu’elles créent. »
La fan de Milan Kundera
Diplômée de l’ENS de Lyon, puis d’HEC Paris, Maud Ventura a fait ses armes loin des métiers d’image. Passée chez France Inter après ses études, avant de revenir cet été pour y tenir une émission quotidienne, l’ex-rédactrice en cheffe des podcasts de NRJ est une amoureuse de la radio mais dit avoir été prise d’un « coup de foudre » pour l’écriture plus jeune, lors d’un séjour à New York.
Loin de l’écriture universitaire « véridique, exacte et sourcée » que lui demandait son mémoire sur Blaise Pascal, elle découvre les joies de la fiction. « J’ai compris que je pouvais écrire n’importe quoi, mentir, partir d’un élément de la vraie vie et le modifier à ma guise, se remémore-t-elle. Quelle liberté totalement folle d’écrire n’importe quoi et personne ne m’en voudra ! »
Mais « dans ce grand mensonge », reconnaît-elle, il y a du vrai. La passionnée de Milan Kundera cite parmi ses sources d’inspiration L’Art du roman, essai fondateur de l’écrivain tchèque sur son approche à l’écriture. Elle qui pensait détenir les clés de la vérité grâce à ses études de philo découvre dans la fiction « un accès fragmentaire lié à un personnage ou une scène, quelque chose de resserré dans cette vérité précaire ». Son amour du romanesque est né.
Comme Milan Kundera, Maud Ventura pense que chaque écrivain offre à voir dans ses récits sa propre vision du monde. La sienne ? « Je suis moi-même en train de la découvrir. Un roman fixe un point. Un deuxième trace une ligne. Un troisième forme un triangle. Est-ce qu’on peut s’en reparler dans dix livres ? »
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