Pour Matignon, pourquoi Emmanuel Macron pense pouvoir garder la main
POLITIQUE - Le constat ne vient pas de l’un de ses adversaires. Ni même d’un commentateur qui aurait la dent dure contre le chef de l’État. Mais d’un cadre de Renaissance : l’eurodéputé Pascal Canfin. Dans des propos accordés au Nouvel Obs mercredi 21 août, l’élu macroniste lâche ce qui, en réalité, saute aux yeux de beaucoup : « Le président souhaite garder la main, c’est une évidence ».
Une évidence, certes, mais qui dissone bruyamment avec la réalité politique sortie des urnes : son camp a été balayé aux européennes, et ses troupes ont fondu à l’Assemblée nationale après les législatives qu’il a provoquées, ne devant son salut qu’à la résistance du front républicain. Résultat : sa marge de manœuvre est famélique, et la situation politique est encore plus instable qu’avant la dissolution. Numériquement, deux tiers de l’Assemblée représentent des projets hostiles à la politique menée par Emmanuel Macron depuis 2017.
« Décantation »
Pourtant, et comme si de rien n’était, Emmanuel Macron continue de dicter son tempo. Le dernier mouvement de choix qui reste au « maître des horloges », c’est de jouer la montre, au grand dam des oppositions et de ses alliés, qui le pressent de nommer un Premier ministre et d’en finir avec ce gouvernement démissionnaire parti pour battre un record de longévité vieux de la IVe République. Or, ce vendredi 23 août, le chef de l’État démarre sa série de consultations des autres formations politiques, en commençant par la réception à l’Élysée des représentants du Nouveau Front populaire (NFP), arrivés en tête le soir du 7 juillet, suivis des chefs de l’ancienne majorité, de ceux des Républicains et du groupe LIOT.
Puis ce sera, lundi, au tour du RN et de ses alliés. De quoi, enfin, mettre fin au suspense ? Minute, papillon. En amont de l’initiative, son entourage, encore, temporise. « Quand on se compare à nos voisins européens, lorsqu’il est question de créer des coalitions, on est plutôt sur des étiages bas », fait-on valoir du côté de l’Élysée, sans s’avancer sur la moindre date à laquelle la relève de Gabriel Attal sera connue, si ce n’est « à l’issue » des consultations. « Très rapidement », assure néanmoins son entourage.
Du reste, le chef de l’État juge que le temps de la trêve olympique a été « utile », ayant permis une « décantation » au sein des différentes forces politiques qui, par le biais d’un étrange ballet épistolaire, ont consenti un premier, mais timide, pas vers leurs adversaires. Comprendre : Emmanuel Macron prendra le temps qu’il voudra.
« Faire vivre le front républicain »
Ou du moins, le temps nécessaire à ce qu’une formule qui lui convienne finisse par émerger. Car, malgré ses défaites, le chef de l’État compte bien conserver, si ce n’est la maîtrise, au moins un droit de regard sur le contenu politique du futur gouvernement. En témoigne sa volonté de voir naître une « coalition » appuyée sur une « majorité large et stable » qui la protégerait d’une motion de censure. Une condition incompatible avec le projet du NFP, qui réclame l’installation d’un gouvernement de gauche capable d’obtenir des majorités parlementaires texte par texte.
Autre ligne rouge tracée par le président, « une majorité pour bâtir, et non pour démolir ». Là encore, difficile d’y voir autre chose qu’une fin de non-recevoir adressée par avance au NFP, dont la mesure prioritaire est l’abrogation de la réforme des retraites. Mais alors, pourquoi le chef de l’État, qui reconnaît pourtant sa défaite, donne l’impression de vouloir garder les rênes ? « Il ne peut pas complètement s’extraire du jeu, puisque 170 députés sont issus de son camp », décrypte auprès du HuffPost l’un de ses interlocuteurs, qui voit dans le cadre fixé par Emmanuel Macron sa volonté de « faire vivre le front républicain » au-delà de l’entre-deux tours des élections législatives.
« Tous ces gens qui crient victoire, en oubliant que de nombreux votants ont mis dans l’urne un bulletin qu’ils détestent seulement pour faire barrage au RN, c’est insupportable. On ne peut pas faire comme si tous ces désistements n’avaient pas existé et dire aux Français qu’ils ont voté pour que tous recommencent à faire comme avant », justifie encore notre source, qui juge que le chef de l’État n’a pas d’autres choix que de tracer ce périmètre et que le pays, qui doit se doter d’un budget dans un contexte de dérapage du déficit, ne peut pas se payer le luxe d’un blocage politique qui pourrait aggraver les choses.
Une posture de responsabilité qui ne sera pas facile à vendre auprès du NFP, qui aura beau jeu de rappeler que le chef de l’État, élu deux fois grâce au barrage face au RN, n’a jamais fait la démonstration d’une grande reconnaissance à l’égard des électeurs de gauche dans sa politique, que ce soit à travers la réforme des retraites ou la loi immigration. D’autant que l’analyse a ses limites, puisque la Macronie invite volontiers Les Républicains à rejoindre un collectif gouvernemental. Or, ces derniers ont refusé de participer au barrage contre l’extrême droite au second tour des législatives. Difficile, dès lors, de faire « vivre le front républicain » avec ceux qui s’en sont lavé les mains.
Quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron reste persuadé qu’une voie de passage, qui irait de LR à la « gauche républicaine » (donc sans La France insoumise) existe pour former une coalition, puisque c’est du sort immédiat du pays dont il est question. Dans cette équation, ses troupes seraient arithmétiquement les plus nombreuses, et auront donc les coudées franches pour faire des arbitrages en sa faveur. Pour l’instant, cette solution n’existe que dans sa tête.
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