En maternelle et à l’école primaire, voici à quoi ressemblent les cours d’éducation à la vie affective et sexuelle
ÉDUCATION - Jamais un enseignement n’a fait l’objet d’autant de polémiques : celui de la vie affective et sexuelle. Devenue en théorie obligatoire par la loi du 4 juillet 2001 pour les élèves de la primaire au lycée, l’éducation « à la vie affective, relationnelle et sexuelle » fait, depuis plusieurs années, l’objet d’intenses campagnes de désinformation de la part de collectifs conservateurs, vent debout contre ces enseignements qui n’auraient, selon eux, pas leur place à l’école.
En janvier dernier encore, quand Gabriel Attal, alors Premier ministre, a annoncé la mise en place d’un nouveau programme d’éducation à la vie affective et sexuelle pour les élèves de primaire, ce dernier a été ciblé par des associations proches des sphères complotistes et de l’extrême droite. Citée dans un article du Monde, l’association Parents en colère affirme ainsi qu’une séance récemment dispensée à des élèves d’un collège de Tours aurait dévié sur « les positions sexuelles et la manière de prendre du plaisir » et sur « la possibilité d’avoir des rapports sexuels dès 9 ans ».
Si ces informations se sont évidemment révélées fausses, une question persiste : qu’enseigne-t-on vraiment aux enfants, et particulièrement ceux de 3 à 10 ans, lors de ces séances d’éducation à la vie affective et à la sexualité ? Pour le savoir, nous avons posé la question à Maryse Boyer, fondatrice de l’association iKi iKi. Depuis 2019, elle intervient dans les écoles de l’académie de Nantes pour répondre aux questions des enfants sur le fonctionnement de leur corps, le respect des autres ou encore l’égalité filles-garçons à travers de petits ateliers ludiques et pédagogiques.
Un enseignement adapté à chaque âge
Pour Maryse Boyer, il est impératif que les parents aient bien en tête que les thèmes abordés durant ces séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle sont adaptés à l’âge des enfants, tout comme les réponses qu’on leur apporte. Pas question, par exemple, d’évoquer le sujet du harcèlement scolaire auprès d’enfants de petite section de maternelle, ou celui de la pornographie avec des élèves de CM1. « L’une des rumeurs les plus tenaces est que l’on apprend aux enfants à se masturber. C’est évidemment d’une fausseté absolue : à aucun moment, ce sujet n’est abordé avec les enfants, qu’ils soient en primaire ou au collège », martèle Maryse Boyer, qui rappelle par ailleurs que l’intégralité du programme d’éducation à la vie affective et sexuelle est accessible en ligne sur le portail d’Éduscol, le site d’accompagnement pédagogique du ministère de l’Éducation nationale destiné aux professionnels de l’éducation.
Ainsi, les associations intervenant en milieu scolaire prennent toujours soin d’aborder les questions relatives à la santé affective en prenant en compte l’âge des enfants. « Chez les plus petits, à la maternelle, on évoque en premier lieu les émotions et on apprend à nommer les parties du corps », détaille Maryse Boyer. Les enfants de moyenne et de grande section de maternelle sont aussi initiés à la reconnaissance des stéréotypes de genre. « On n’utilise pas ce mot, qui est trop compliqué, mais on les familiarise avec cette notion à travers des histoires, de petits ateliers. L’idée est de leur faire comprendre qu’il n’y a pas de couleurs réservées aux filles et d’autres aux garçons, que tout le monde a le droit d’aimer les paillettes, les licornes, le football… »
Aborder aussi le consentement et les violences
Chez les 3-6 ans, l’estime de soi et les relations aux autres sont aussi au cœur de l’enseignement. « On explique avec des mots adaptés ce qu’est l’amour, l’amitié, la famille, on répond à leurs petites questions d’enfants », souligne Maryse Boyer. C’est aussi à cet âge que débutent l’apprentissage du consentement et la prévention contre les violences. « On aborde la notion de secret : savoir ce que c’est, et faire comprendre aux enfants qu’il y a de chouettes secrets et qu’il y en a d’autres qui sont mauvais », poursuit l’intervenante.
Les enfants découvrent aussi les bases de l’anatomie. « On nomme les parties intimes et on parle des interdits qui les entourent. » Le but étant d’apprendre aux enfants « à respecter l’autre, à ne rien imposer ou se faire imposer ». « Cela permet d’aborder le consentement dans des mises en situation très pratiques. Par exemple, est-on obligé de faire un bisou à un membre de la famille ? Est-ce que j’ai le droit d’imposer un câlin à un copain ou à une copine ? », développe Maryse Boyer.
Toutes ces notions sont ensuite approfondies à mesure que les enfants grandissent, notamment le volet de prévention des violences, indispensable quand on sait que chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, dont 77 % au sein de la famille. « Auprès des CP, CE1, CE2, on pose les règles de sécurité relationnelle, on parle des droits des enfants, notamment le droit d’être protégé », précise Maryse Boyer. En cycle 3 (CM1-CM2), les thèmes de l’égalité filles-garçons, du harcèlement et des discriminations sont davantage creusés, et la puberté devient un sujet à part entière. « Il est souvent spontanément soulevé par les enfants, tout comme l’amour amoureux. »
Un enseignement nécessaire
Aujourd’hui, l’obligation de dispenser cet enseignement aux enfants de la maternelle au collège est loin d’être respecté. Début 2023, les associations SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial ont même annoncé attaquer l’État devant la justice administrative pour le contraindre à organiser chaque année au moins trois séances, comme le prévoit la loi.
Maryse Boyer déplore elle aussi le délaissement de cet enseignement, pourtant indispensable parce qu’il sensibilise les enfants « aux droits humains, au vivre ensemble, au respect des règles et à la prévention des violences ». « Tout cela s’expérimente à chaque âge de la vie, y compris quand on est petit. Même dans une cour d’école, on peut observer de la violence, un non-respect des limites… Il faut donc accompagner les enfants sur ces sujets très tôt. »
Quant à la critique souvent émise par les opposants à cet enseignement qui estiment qu’il est du ressort de la famille, Maryse Boyer le balaye également. « Si tous les parents accompagnaient les enfants sur ces sujets, ce serait super. Mais les chiffres, notamment ceux concernant les violences intrafamiliales, prouvent que ça n’est pas le cas. Les aborder à l’école permet à chaque enfant de disposer du même niveau d’information et de connaître ses droits, quel que soit son milieu social ou familial. »
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