Mater la Chine, l'obsession de Trump

Steve Bannon s'y est souvent référé et Donald Trump l'a mis en pratique: la relation entre les Etats-Unis et la Chine est lue à la Maison blanche comme une version moderne de l'ouvrage "La Guerre du Péloponnèse" de l'historien et général athénien Thucydide. /Photo prise le 27 octobre 2018/REUTERS/Al Drago

PARIS (Reuters) - Steve Bannon s'y est souvent référé et Donald Trump l'a mis en pratique: la relation entre les Etats-Unis et la Chine est lue à la Maison blanche comme une version moderne de l'ouvrage "La Guerre du Péloponnèse" de l'historien et général athénien Thucydide, justifiant le conflit commercial engagé par le président américain avec Pékin.

Bannon, ancien conseiller politique tombé en disgrâce en août 2017, n'est pas le seul à évoquer cet épisode de l'histoire grecque qui vit Sparte, principale puissance militaire de la Méditerranée, affronter Athènes, puissante commerciale qu'elle percevait comme une menace pour ses intérêts.

Des personnalités aussi influentes que le secrétaire à la Défense James Mattis ou l'ancien conseiller à la sécurité nationale H. R. McMaster, remercié au mois de mars, ont eux aussi exhumé l'antique récit historique pour illustrer la politique de l'administration Trump.

Si les commentateurs rappellent régulièrement les erreurs de cette comparaison qu'ils jugent hâtive, elle doit être perçue comme le symptôme d'une inquiétude de Washington face à l'émergence du rival chinois.

"Cela fait une quinzaine d'années que la frange la plus droitière du Parti républicain a été influencée par cette idée du 'piège de Thucydide' entre Sparte et Athènes transposé aux Etats-Unis et à la Chine", explique Corentin Sellin, enseignant en classe préparatoire et auteur de "Les Etats-Unis et le Monde (1823-1945)".

L'enjeu est de parvenir à tuer dans l'oeuf la menace de la puissance montante, animée par la volonté de remettre en cause les positions acquises, avant qu'elle ne soit trop implantée et que cela entraîne une guerre globale, comme celle du Péloponnèse.

"Partout où la Chine est en position de gagner, les Etats-Unis veulent la mater. Trump l'accuse de ne pas respecter les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qu'elle a rejointe en 2001 ou bien il mène une lutte d'influence en mer de Chine du sud, zone maritime stratégique que Pékin considère comme relevant de sa sphère d'influence", précise l'enseignant.

C'est par ce prisme que doit être observée l'ouverture diplomatique en direction de la Corée du Nord afin d'obtenir une démilitarisation de la péninsule coréenne.

"La Corée du Nord était l'alliée historique des Chinois mais ceux-ci ne parvenaient plus à contrôler Kim Jong-un qui n'a pas été formé en Chine contrairement à ses prédécesseurs", rappelle Corentin Sellin.

"En lançant un rapprochement des deux Corées, Trump démontre que la puissante dominante dans le jardin de la Chine, ce sont les Etats-Unis. Washington affirme: les Chinois doivent commercer selon nos règles et nous restons la puissance militaire hégémonique."

LOGIQUE CONTRARIÉE

Concernant la Russie, le rapprochement souhaité par Trump et par Bannon reposait sur une double logique.

D'abord, Moscou n'est plus perçu comme un adversaire d'un point de vue stratégique car la Russie est devenue une puissance secondaire avec laquelle il est possible de s'entendre même si elle continue d'être un influent exportateur d'armes au Moyen-Orient et en Iran.

Ensuite parce qu'il existe une proximité idéologique avec les thèmes de l'identité blanche et l'exaltation nationaliste communs aux républicains et à Vladimir Poutine.

"Cette volonté de rapprochement devient illogique à partir du moment où les agences de renseignement américaines affirment que la Russie a piraté l'élection présidentielle, a essayé de dresser les Américains les uns contre les autres et a attaqué la démocratie", note Corentin Sellin.

"C'est encore plus illogique alors que le département de la Justice vient d'inculper une Russe (ndlr, Elena Khoussainova travaillant pour un oligarque proche de Poutine) pour tentative d'ingérence dans les élections de mi-mandat", ajoute l'enseignant. [nL8N1WZ6CW]

"Jamais un pays n'a été autant sanctionné que la Russie dans l'histoire des Etats-Unis et malgré tout, Trump continue de vouloir se rapprocher de Poutine", poursuit-il.

L'EUROPE N'A RIEN À ATTENDRE

Une éventuelle majorité démocrate à la Chambre des représentants n'aura aucun effet sur la politique étrangère de Donald Trump, un arrêt de la Cour suprême ayant établi en 1936 que les pouvoirs du président, qui est également chef des armées et chef de la diplomatie, sont "pléniers".

L'Union européenne n'a donc aucune inflexion à espérer dans la position de Washington.

"L'Europe qui est une cathédrale juridique fondée sur le multilatéralisme et la dilution du nationalisme est tout ce que Trump déteste. Il l'a clairement exprimé pendant les deux premières années de son mandat", précise Corentin Sellin.

La faiblesse des Européens, liée au fait qu'ils ont remis une partie de leur défense à l'Otan et au parapluie militaire proposé par les Américains, est accentuée par l'obsession de Donald Trump que les Etats-Unis ne paient plus pour leurs alliés.

La ligne constante du président américain a été de s'affranchir du multilatéralisme, cette organisation de la communauté internationale dans laquelle il voit un affaiblissement des forts et un renforcement des faibles.

"Pendant deux ans, il a déconstruit, il a retiré les Etats-Unis de plusieurs arènes internationales, il a révisé ou quitté des accords commerciaux", note Corentin Sellin. "Mais il reste la question de savoir ce qu'il propose dans les deux prochaines années, avant la présidentielle ?"

(Pierre Sérisier pour le service français)