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Sous-marins, Covid et popularité personnelle: les enjeux de la visite de Kamala Harris à Paris

Kamala Harris, vice-présidente des Etats-Unis, a débarqué mardi sur le tarmac d'Orly afin d'y mener une visite diplomatique de cinq jours. Au cours de ce séjour d'une durée exceptionnelle, elle doit entre autres rencontrer Emmanuel Macron et évoquer avec lui la crise des sous-marins. Mais les nécessités géopolitiques ne doivent pas cacher des enjeux plus personnels.

Fermer le chapitre tourmenté de la crise des sous-marins australiens, passer en revue les coopérations franco-américaines au cours d'un entretien avec Emmanuel Macron, assister à deux sommets internationaux, évoquer la pandémie avec des scientifiques, représenter son pays lors des commémorations de l'Armistice. La vice-présidente des Etats-Unis, Kamala Harris, a débarqué mardi, à 10h, à l'aéroport d'Orly, accompagnée de son mari Doug Emhoff... et d'un cahier des charges particulièrement dense.

Mais pour la binôme de Joe Biden - dont l'état de grâce est tout aussi sûrement éteint que celui de son patron sur son sol -, cette visite diplomatique rendue à la France comporte au moins autant d'enjeux personnels que géopolitiques.

· Refermer la crise des sous-marins avec Macron

Le point le plus saillant de ce séjour inhabituellement long pour un déplacement exécutif - cinq jours, depuis ce mardi 10h donc, jusqu'à samedi - correspond bien sûr à son entretien avec le président de la République. Kamala Harris doit rencontrer Emmanuel Macron ce mercredi après-midi.

Le communiqué de presse publié dès lundi par la Maison Blanche a listé leurs sujets de conversation:

"La crise climatique, la crise de la santé mondiale, et les dossiers touchant la sécurité de la région"

Mais à moins d'enfermer les squelettes dans les placards, les discussions devraient aborder un chapitre bien plus controversé: la crise des sous-marins fournis à l'Australie. Un épisode qui a vu les Etats-Unis s'arroger la livraison de ces appareils à l'île d'Océanie en lieu et place de la France... qui s'était retrouvée humiliée et les mains vides après avoir pourtant conclu un mirifique contrat il y a cinq ans.

Elle n'est pas la première envoyée de Washington à Paris. Il y a un mois, le secrétaire d'Etat Anthony Blinken s'était déplacé au Quai-d'Orsay pour y voir le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Jake Sullivan lui-même, conseiller américain à la Sécurité nationale, a dû faire un saut par-dessus l'Atlantique. Bien sûr, les deux présidents ont même fini par se rencontrer en personne en prélude au G20 de Rome, le 29 octobre dernier. Une rencontre à l'issue de laquelle Joe Biden a reconnu une "maladresse".

Ce nouveau rendez-vous bilatéral évoquera également un sujet connexe au brûlot australien: la sécurité indo-pacifique, un dossier qui a motivé - ou servi de prétexte - à la bascule australienne. Enfin, Emmanuel Macron et Kamala Harris doivent mettre des mots sur le renforcement de la coopération franco-américaine dans le domaine de l'aérospatiale.

· Une visite symbolique à l'Institut Pasteur

Mais mardi, la vice-présidente des Etats-Unis a choisi un terrain bien moins miné pour poser le pied à Paris après avoir quitté l'aéroport du Val-de-Marne: l'Institut Pasteur. L'occasion, lors de cette première escale, de rencontrer des chercheurs, tant français qu'américains, se consacrant à la recherche autour du Covid-19. L'occasion, de surcroît, d'une première déclaration à la presse:

· Une cérémonie et deux sommets

La suite du séjour de Kamala Harris la verra encore accomplir une triple mission diplomatique en même temps qu'un triple devoir de représentation. Jeudi, elle assistera ainsi aux commémorations de l'armistice du 11-Novembre 1918, du côté de l'Arc de Triomphe couronnant les Champs-Elysées, puis à la conférence internationale sur la Libye vendredi. Surtout, elle fera entendre sa voix jeudi au Forum de la Paix. Un événement selon le diplomate et historien Justin Vaïsse, directeur général du Forum, cité ici par Le Parisien:

"Ça marque le grand retour des États-Unis dans le multilatéralisme".

Celui-ci remarque que Donald Trump avait décidé de sécher cet événement que Paris a conçu comme un rendez-vous annuel, interdisant même "aux diplomates de l’ambassade américaine à Paris de venir".

· Et gagner, enfin, une bataille personnelle

Tout cela est bel et bon mais il ne faudrait pas faire l'impasse sur la dernière dimension du voyage parisien de Kamala Harris, et peut-être son intérêt cardinal à ses yeux. Il s'agit en effet pour elle de se redessiner peu à peu une stature personnelle que les turbulences de la politique intérieure ont largement égratignée.

Sa gestion de la politique migratoire, que lui avait confiée le président des Etats-Unis, a été désavouée par ce dernier lui-même, comme le précise ici le quotidien francilien. Celle qui fut la coqueluche des médias au moment de sa promotion sur le ticket présidentiel n'a non seulement pas changé la donne mais se trouve désormais associée aux images désastreuses d'une traque aux migrants menée par une police des frontières montée.

D'autant plus nocif pour elle que l'ancienne magistrate a souvent été présentée comme une figure de l'aile gauche du Parti Démocrate. Mais pour Françoise Coste, historienne spécialiste des Etats-Unis interrogée par L'Express, c'est bien ce genre de projections qui sont aujourd'hui à l'origine de sa "dégringolade".

"Soyons claire, Harris déçoit, mais c'était prévisible. Car Joe Biden l'a choisie avant tout pour son identité, pas pour ses qualités politiques."

Pour dire les choses clairement: choisir Kamala Harris, de double ascendance jamaïcaine et indienne, plus jeune (elle avait 56 ans en 2020) et considérée comme progressiste, pour l'accompagner à la Maison Blanche et en faire son héritière putative permettait à Joe Biden d'équilibrer son profil blanc, âgé et centriste.

Mais cocher ces cases sociétales n'est visiblement d'aucun secours sur le terrain politique pour son ex-colistière. Pour l'historienne Nicole Bacharan, qui s'est exprimée auprès du Huffington Post, la vice-présidente des Etats-Unis est apparue trop empruntée sur la scène publique pour le moment:

"Elle est très effacée et ne semble pas peser dans le jeu."

Et les quelques fois où elle a montré le bout de son nez dans l'arène ne lui ont porté ni chance ni succès. Elle est ainsi allée soutenir le candidat de son camp au siège de gouverneur en Virginie, et est intervenue dans une campagne régionale au New Jersey. Deux défaites pour les Démocrates.

De multiples facteurs donc et une conséquence: sa cote s'est effondrée dans l'opinion. C'est d'ailleurs ce que montre le sondage conduit par l'Université de Suffolk et publié lundi par USA Today: la vice-présidente des Etats-Unis ne trouve plus auprès du public américain qu'un taux d'approbation abyssal de 28%. Un score pénible pour la Californienne qui se rêvait en présidentiable lors du futur scrutin. Et qui doit donc faire de cette visite diplomatique l'amorce d'une reconquête politique.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - À Paris, Kamala Harris visite l'Institut Pasteur