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Sous-marins australiens: Biden a-t-il vraiment agi "à la Trump"?

Après que Joe Biden et les États-Unis ont obtenu le nouveau contrat avec l'Australie pour construire des sous-marins nucléaires, la France a dénoncé une manœuvre digne de Donald Trump. (Photo: TOM BRENNER / Reuters)
Après que Joe Biden et les États-Unis ont obtenu le nouveau contrat avec l'Australie pour construire des sous-marins nucléaires, la France a dénoncé une manœuvre digne de Donald Trump. (Photo: TOM BRENNER / Reuters)

RELATIONS INTERNATIONALES - Une décision ”à la Trump”. Ce jeudi 16 septembre, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a utilisé des termes pour le moins explicites au moment de commenter la décision de l’Australie de rompre un contrat géant passé avec la France en 2016 et portant sur la construction de douze sous-marins. Lequel a été remplacé par un autre accord plus large, avec les États-Unis et le Royaume-Uni cette fois.

Mais la colère de Jean-Yves Le Drian ne visait pas tant les Australiens, que l’Amérique de Joe Biden, qui a annoncé triomphalement la signature d’un vaste partenariat de sécurité avec l’Australie et le Royaume-Uni dans la zone indo-pacifique. ”Ça ne se fait pas, entre alliés”, a lancé le locataire du Quai d’Orsay, échaudé par les années de négociations ainsi tombées à l’eau.

“Cette décision unilatérale, brutale, imprévisible ressemble beaucoup à ce que faisait monsieur Trump”, a finalement ajouté le ministre sur franceinfo, dans un parallèle qui risque fort de déplaire outre-Atlantique tant Joe Biden tente de se distinguer de son prédécesseur à la Maison Blanche. Mais n’en déplaise au démocrate, la partition trumpiste tricolore s’est joué en duo puisque la ministre des Armées Florence Parly est allée dans le même sens que son confrère en déclarant notamment: “Nous sommes lucides sur la manière dont les États-Unis considèrent leurs alliés et leurs partenaires.”

Un revirement venu d’Australie

Mais ce “coup dans le dos” de la part des Américains, comme l’a qualifié le ministre des Affaires étrangères, symbolise-t-il vraiment le style Joe Biden en matière internationale? Faut-il réellement s’attendre, après la crise Afghane, à ce que l’ancien vice-président de Barack Obama impose un style diplomatique proche de celui du “America First” (l’Amérique en premier) cher à Donald Trump?

Parmi les éléments qui accréditent cette thèse aux yeux de Jean-Yves Le Drian, on retrouve notamment une critique: celle de la manière dont Joe Biden a mis en scène l’annonce de l’accord. “On apprend brutalement, par une déclaration du président Biden, que le contrat qui était passé entre les Australiens et la France s’arrête, et que les États-Unis vont proposer aux Australiens une offre nucléaire dont on ne connaît pas le contenu.”

Un élément qui doit être nuancé d’emblée. Comme le rapportent nos confrères de France Télévisions, dès le mois de juin dernier, à l’occasion d’une visite à l’Élysée, le Premier ministre australien Scott Morrison avait déjà averti les autorités françaises que l’évolution de la situation depuis la signature franco-australienne de 2016 ne lui convenait pas. La facture avait pratiquement doublé pour les Australiens (d’environ 30 milliards d’euros à 56, ndlr) par rapport au contrat passé à l’origine, tant et si bien que le chef de gouvernement avait donné “jusqu’à septembre” aux entreprises françaises pour faire une nouvelle proposition. Sans attendre de réponse, Canberra avait commencé à plancher sur une alternative à une éventuelle nouvelle proposition tricolore.

Une option qui a donc été apportée par les Américains et les Britanniques, avec à la clé des sous-marins nucléaires que ne proposaient pas les Français. “Pour se préparer aux nouvelles difficultés de notre époque, et pour assurer la sécurité et la stabilité de notre région, il fallait que nous emmenions nos partenariats et nos alliances à un autre niveau”, s’est d’ailleurs justifié Scott Morrison.

En ce sens, l’Australie a pu voir l’envolée des coûts comme un bon moyen de se rapprocher d’une puissance autrement plus importante que la France tout en se dégageant d’un contrat encombrant. Dès lors, dans ce théâtre international, Joe Biden transparaît plus comme le partenaire opportuniste que celui qui œuvrerait en secret dans les coulisses de la géopolitique mondiale.

Des intérêts supérieurs pour Biden

En outre, dans sa manœuvre australienne, Joe Biden a aussi réussi à se rapprocher des Britanniques, qu’il a entraînés avec lui dans le nouvel accord indo-pacifique. Un coup important dans la lutte à distance qui oppose les Américains et les Chinois sur cette zone du globe. En ce sens, Joe Biden a peut-être entamé son capital confiance et sympathie avec l’Union européenne et la France, mais il a avancé des pions dans une zone qui demeure le point focal assumé de sa stratégie internationale depuis le début de son mandat. Un tour de force réussi sans même avoir à évoquer une situation de conflit avec les Chinois alors que le président américain souhaite -officiellement en tout cas- rester sur le domaine de l’influence et surtout pas jouer sur le terrain belliqueux.

“C’est bien la zone Indo-Pacifique, la mer de Chine, qui est la source de tous les intérêts” des Américains, confirme sur Europe 1 le chercheur Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis, qui ajoute que dans ce jeu-là, “les Européens (comprendre l’UE, ndlr) sont laissés de côté”. L’universitaire rappelle d’ailleurs qu’au moment de la chute de Kaboul, la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris n’avait pas les yeux rivés sur l’Afghanistan, mais se trouvait en mer de Chine, à multiplier les déplacements (Vietnam, Singapour...).

Avec l’AUKUS (c’est le nom de l’alliance américano-australo-britannique), les Américains disposeront désormais de fait d’une force d’influence considérable et d’un équipement de qualité en mer de Chine et au-delà. “Nous sommes tous les trois conscients de la nécessité de garantir la paix et la stabilité dans la région indo-pacifique sur le long terme”, a déclaré Joe Biden (sans faire mention de Pékin). Au point de partager, pour la première fois depuis 1958, une technologie nucléaire avec son allié australien.

La déception française, un moindre mal

Il n’en reste pas moins, d’un point de vue français, que Paris subit un lourd revers avec cette prise d’initiative américaine. “Aujourd’hui, notre position est d’une grande fermeté, d’une incompréhension totale et une demande d’explication et de clarification de la part des uns et des autres”, a déclaré Jean-Yves Le Drian. Et ce alors que la Maison Blanche assure avoir discuté avec la France avant de faire son annonce,ce que Paris dément. Sans doute le ministre français espère-t-il encore sauver quelques contrats avec l’Australie, au-delà de la seule question des sous-marins, et peut-être attend-il un geste de la part des État-Unis, qui pourraient vouloir se rattraper après avoir subtilisé le contrat?

Pour Jean-Éric Branaa, les Français devront plus probablement manger leur chapeau et se mettre en quête de nouveaux contrats, les États-Unis avançant comme bien souvent à leur rythme, dicté par leurs intérêts propres. “Une méfiance un peu plus grosse s’installe” entre la France et les États-Unis, estime le chercheur, mais rien n’assure que ces derniers chercheront particulièrement à renouer des liens avec la France, préférant laissant le temps calmer leur partenaire historique. “Les Américains ont souvent fait peu de cas de ces coups de colère et ils avancent selon leurs propres intérêts”, décrit le chercheur. En revanche, et au contraire du “America First” de Donald Trump, Joe Biden, lui, a tenu dans ce dossier à flatter ses vieux alliés anglophones. C’est simplement la realpolitik qui l’a emporté sur les intérêts français.

D’autant qu’avec la Polynésie française, Wallis-et-Futuna ou la Nouvelle-Calédonie, la France demeurera quoi qu’il arrive une puissance occidentale qui compte dans le Pacifique. Et un allié de fait des États-Unis, en dépit de la brouille du moment. “La France est un partenaire-clé et un allié majeur pour renforcer la sécurité et la prospérité de la région”, avait d’ailleurs déclaré plus tôt dans la journée de mercredi Joe Biden.

Comme un symbole, l’ambassadeur de France à New York Philippe Étienne a toutefois noté un parallèle amusant: il y a 240 ans, sur le territoire américain, c’est la marine française qui avait mis les Britanniques en déroute et permis aux États-Unis de s’émanciper jusqu’à gagner leur indépendance. Aujourd’hui, les rôles sont inversés, et les anciens protégés et adversaires de la France sont désormais alliés à ses dépens. Pour le bénéfice de l’Amérique, encore une fois.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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