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Des sous-marins au SMS: sous la crise franco-australienne, le duel à couteaux tirés de Macron et Morrison

Emmanuel Macron et Scott Morrison le 15 juin 2021.  - Thomas Samson
Emmanuel Macron et Scott Morrison le 15 juin 2021. - Thomas Samson

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Non seulement ils ne passeront pas leurs vacances ensemble mais ils s'évitent également lors des sommets internationaux. En revanche, devant la presse mondiale, le président de la République Emmanuel Macron et le chef du gouvernement australien, Scott Morrison, ont eu tendance à se chercher et à se trouver cette semaine.

On commence à connaître l'air au centre de cette tragicomédie aux lourdes retombées géopolitiques. En 2016, l'Australie commande douze sous-marins à propulsion conventionnelle de fabrication française. Le devis s'élèvera au total à 90 milliards de dollars australiens, ou 55 milliards d'euros. Mais le 15 septembre, l'Australie dénonce l'accord, s'abouche avec les Britanniques et les Américains au sein de l'alliance AUKUS et se tourne vers les sous-marins à propulsion nucléaire promis par Washington. Et cette volte-face qui a aussitôt engendré une crise entre Paris et Canberra se double désormais d'un duel.

Quand le chef d'Etat français fustige dimanche le "mensonge" originel de son interlocuteur sur le contrat, l'un de ses SMS s'affiche fort opportunément en Une de la presse anglo-saxonne le lendemain. Sans que le cabinet australien fasse beaucoup d'effort pour nier être à l'origine de la fuite et au grand dam de l'entourage d'Emmanuel Macron ce mardi. Retour sur une opposition pleine d'un fiel qui bout en coulisses depuis le printemps et se cristallise à présent autour d'un texto.

Premier avertissement en juin

La scène se déroule bien avant les noms d'oiseau, les procès en sincérité et les communications privées échouées dans la presse. Nous sommes le 15 juin dernier à l'Elysée. Personne ne le sait autour de la table présidentielle mais le "contrat du siècle" n'en a plus que pour trois mois jour pour jour. Ou plutôt l'un des convives refuse d'y croire, tandis que l'autre hésite encore à sauter le pas. Car Emmanuel Macron qui reçoit ce soir-là, Scott Morrison, Premier ministre australien, s'inquiète d'une réserve émise par ce dernier au cours du dîner officiel qui clôt la visite diplomatique.

Le chef du gouvernement du Commonwealth s'interroge à haute voix, expliquant ne plus être certain que les sous-marins français - qui doivent être fournis par la société hexagonale Naval Group - correspondent encore aux besoins de son pays. Emmanuel Macron lâche alors, d'après un indiscret paru sur le site d'informations australien News, un glacial: "Je n'aime pas perdre".

Les raisons d'une incompréhension... et d'un revirement

Cinq ans, donc, après les signatures validant l'offre française, l'Australie doute de son choix. Un flottement qui s'explique par plusieurs facteurs. Tout d'abord, les délais: l'Australie ne peut plus attendre la livraison des premiers appareils qu'à l'horizon 2030. De sucroît, ce qui, sur le papier, ne devait coûter que 50 milliards de dollars australiens, monte dorénavant - dépassements et effets de change, détaille ici Le Monde - à 90 milliards de la même devise. Surtout, la principale île d'Océanie a revu ses plans dans la région.

C'est en tout cas la manière dont Scott Morrison a justifié ce revirement face aux médias, lundi, à Glasgow, en marge de la COP26: "Il y a eu des changements significatifs dans notre environnement stratégique dans l'Indo-Pacifique, ce qui a complétement changé la donne".

Ce mardi, l'entourage d'Emmanuel Macron a commenté l'épisode auprès de BFMTV, regrettant: "Si on avait su, avant on aurait fait une offre de sous-marins nucléaires qui remplissait la nouvelle stratégie australienne, la France en est capable". Soit une autre manière de souligner une omission supplémentaire de l'Australie ayant pu biaiser les discussions.

Fin de non-recevoir en septembre

Que la galerie d'entrée ait été creusée par les retards, le gonflement de la facture ou l'Indo-Pacifique, le ver est dès lors dans le fruit. Et le coup de froid Macron-Morrison entre la poire et le fromage au dîner de l'Elysée enrhume durablement les relations entre les deux hommes. Un dialogue de sourds s'instaure. Preuve en est les difficultés d'établir une communication au moment décisif où l'on s'apprête à glisser d'un contrat à un autre.

Ainsi, le 13 septembre, Emmanuel Macron envoie son fameux message après qu'on a échoué à organiser un simple coup de fil. Du moins, si l'on en croit le récit de Scott Morrison à Glasgow. "Je vous dirais seulement qu'on a été contacté alors qu'on essayait d'arranger un appel. Le président français a dit clairement qu'il craignait que l'appel se conclue sur un renoncement de l'Australie". Dans la foulée de cette communication tombée à l'eau, Emmanuel Macron écrit donc au Premier ministre un texto, dont la traduction française serait la suivante: "Dois-je m’attendre à de bonnes ou mauvaises nouvelles pour nos ambitions communes en matière de sous-marins?"

Deux jours plus tard, après que Morrison tente de joindre Macron en plein conseil des ministres, une réponse formelle lui parvient sous la forme d'une lettre: les nouvelles sont mauvaises. Et définitives.

Reprendre contact, sans briser la glace

La rupture du contrat entraîne du même coup celle de toute relation entre Emmanuel Macron et Scott Morrison. Ils n'éprouvent pas la nécessité de se parler pendant un mois et demi. Puis, jeudi dernier, avant de s'envoler pour Rome et son G20, Emmanuel Macron et Scott Morrison décident de s'entretenir par téléphone.

Mais à en juger par le texte publié par l'Elysée à l'issue de la conversation, celle-ci n'a pas permis de faire beaucoup de chemin.

"Le Président de la République a rappelé que la décision unilatérale de l'Australie de réduire le partenariat stratégique franco-australien en mettant un terme au programme de sous-marins de classe océanique au profit d'un autre projet qui reste à préciser avait rompu la relation de confiance entre nos deux pays", a-t-on pu lire, le communiqué poursuivant: "Il appartient désormais au gouvernement australien de proposer des actions concrètes qui incarneraient la volonté des plus hautes autorités australiennes de redéfinir les bases de notre relation bilatérale et de poursuivre une action commune dans l’Indopacifique."

Macron durcit le ton

Dimanche, alors qu'il séjourne à Rome pour échanger avec les dirigeants des vingt nations les plus riches du monde, Emmanuel Macron durcit encore le ton. Sollicité par un journaliste australien qui lui demande s'il peut encore "faire confiance" à Scott Morrison, il s'échauffe, en anglais: "On discute. On verra ce qu'il mettra sur la table. J'ai beaucoup de respect pour votre pays et pour votre peuple..."

Oui, mais, pense-t-il que Scott Morrison lui a menti alors ? "I don't think, I know", rétorque-t-il, soit: "Ce n'est pas que je le pense, c'est que je le sais !"

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Capture d'écran et casus belli

On ne se cache plus du tout. Le conflit franco-australien s'incarne bien en un duel très personnalisé entre l'hôte de l'Elysée et le pensionnaire de la Lodge d'Adelaide Avenue. Dont la connexion internet semble avoir marché avec fluidité dans les heures qui ont immédiatement suivi la réplique d'Emmanuel Macron. Car dès lundi soir, son SMS du 13 septembre est publié par le Daily Telegraph, et la presse australienne, capture d'écran à l'appui.

Scott Morrison ne dissimule pas davantage que sa Némésis. Car à Glasgow, il n'a pas perdu son temps en dénégations quand la rumeur s'est propagée parmi les reporters que la fuite avait été orchestrée par ses services. "Je ne suis pas là pour confirmer vos éditos", a-t-il seulement balayé.

Fureur autour de Macron

Depuis, on ne décolère pas autour du chef de l'Etat. Ce mardi, son entourage a tempêté auprès de notre antenne contre les "méthodes très inélégantes de Scott Morrison", inélégances ayant "un impact sur la confiance entre les deux pays." Problème: "Morrison n'a pas présenté ses excuses, ni fourni d'explication, ni présenté un axe de travail pour la suite", déplore la même source.

Un destin commun qu'on aura d'autant plus de mal à renouer que ses fils ne se croisent plus. Tous deux présents à Rome pour le G20, puis à Glasgow, pour la COP26, Emmanuel Macron et Scott Morrison ne se sont pas rencontré. Et cet incendiaire et spectaculaire jet de SMS sur la place publique n'est pas de nature à favoriser l'apaisement. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui avait déjà pointé "duplicité, mépris et rupture majeure de confiance" sitôt connu l'abandon du contrat par les Australiens, en est quant à lui passé par un parallèle pour condamner leur attitude.

"Les entretiens que le président de la République a eus avec le président américain ont permis de reprendre le cours d'une relation(...) mais avec l'Australie cela va prendre plus de temps", a-t-il déclaré ce mardi à l'Assemblée nationale. Il a insisté: "Oui, il y a eu duplicité...".

Décidément, la page sera pénible à tourner.

Article original publié sur BFMTV.com