Marco Berrettini, extases tantriques

Le chorégraphe signe un sublime et aberrant manifeste hédoniste où les danseurs vibrent tel un seul corps extra sensible.

Soma, du grec ancien : le corps. Soma, du nom aussi de cette drogue de synthèse présentée comme un simple médicament aux citoyens du Meilleur des mondes, la dystopie d’Aldous Huxley, mais qui les plonge en fait dans un sommeil paradisiaque, du genre à désamorcer toute forme d’insubordination politique. Penser à cette substance flippante et merveilleuse peut aider à se figurer l’atmosphère qui se dégage du plateau de Marco Berrettini, une des plus complexes, baroques, qu’il nous aura été donné de voir chorégraphiée : celle d’une secte de danseurs extatiques, sorte de corps vibratiles inexorablement émus de l’aberrante communauté qu’ils forment, laquelle semble tout droit jaillie des décombres rétrofuturistes d’un film de SF des années 70 (moquette crème, combis argentées, piano noir). Dans la salle fusent des exclamations mi-rire mi-effroi à mesure que les danseurs pénètrent nos regards de leurs yeux énamourés, puisque l’hédonisme se teinte ici de monstrueux, la joie de mélancolie - ne semblent-ils pas donner toute leur énergie pour une dernière danse ? - sans que jamais la pièce ne délaisse sa valeur cardinale : celle du pur plaisir à communier comme un seul corps, de la même manière sur du funk ou sur Meredith Monk.

La comparaison avec la drogue de Huxley ne tient pas longtemps cependant. Sauf à les considérer tragiquement abrutis, et ainsi à lire cette pièce comme la satire d’une génération dépolitisée, par exemple. On préférera la voir comme une farce tantrique très politique, dans ce qu’elle dit de la liberté des corps à pouvoir s’harmoniser, de leur aptitude à se rendre extra sensible aux autres, autant qu’aux plus infimes vibrations de l’air, des plantes et des sons. Sa façon de revendiquer le droit de s’en extasier, avec cette irréductible étrangeté, fait d’elle une pièce magistrale que l’on aimerait voir tourner après sa création aux (...)

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