Manuel Valls : "Je ne suis pas là pour faire pleurer dans les chaumières, mais quelque chose se brisait en moi"

Manuel Valls démonte les thèses d'Éric Zemmour dans son dernier livre, publié à trois mois de l'élection présidentielle. L'ancien Premier ministre explique à Yahoo comment il conçoit son engament politique maintenant qu'il est revenu de sa parenthèse catalane, et se confie sur une période difficile de sa vie.

Contrairement à François Hollande, Manuel Valls ne laisse planer aucun doute sur ses intentions présidentielles. "Je ne suis pas candidat, parce que je ne suis pas en situation", tranche-t-il posément. Mais l’ancien Premier ministre ne reste pas silencieux pour autant. Il multiplie les interventions médiatiques et il a publié, le 12 janvier, Zemmour l’antirépublicain (L’Observatoire). L’ex chef du gouvernement raconte à Yahoo pourquoi il consacre un ouvrage au polémiste et candidat, et se confie son passage à vide après son échec à la primaire de la gauche en 2017.

"Si je continuais de la même manière, je pouvais me briser"

C'est ému que Manuel Valls revient, pour Yahoo, sur une période difficile de sa vie politique et privée, à partir de la primaire de la gauche en 2017. Durant la campagne, il est la cible de deux agressions en décembre 2016 et janvier 2017. Puis il est battu par Benoît Hamon au second tour de la primaire de la gauche. "Ma défaite, qui est aussi celle de la gauche de gouvernement et du PS, l’effondrement de tout un système politique auquel j'appartiens, mon divorce" s’enchaînent, retrace-t-il. Il ressent également "le rejet des Français" et de la "violence" au cours de sa campagne législative, qu’il remporte toutefois en juin 2017.

"Vous avez le sentiment d’une forme de mort, aucun goût du suicide… Je ne suis pas là pour faire pleurer dans les chaumières, mais quelque chose se brisait", se souvient-il. "Si je continuais de la même manière, je pouvais me briser. J’ai saisi cette occasion qui m’était offerte d’aller à Barcelone pour me reconstruire, et j’ai bien fait", mesure-t-il aujourd'hui, plus de trois ans après sa décision de quitter l’Assemblée nationale pour retourner dans sa ville natale.

"Les idées d'Eric Zemmour sont un poison lent"

Si Manuel Valls a écrit un livre sur Eric Zemmour, c’est pour "démonter point par point" les "mensonges et thèses historiques" du polémiste et candidat à la présidentielle, car "Zemmour président, c’est un cauchemar parce que son projet, sa vision de l’Histoire, de la France, ne provoqueront que division et fracture", estime-t-il.

"Le pire de Zemmour, c’est la manipulation de l’Histoire sur tous les sujets", analyse Manuel Valls avant d’énumérer notamment "Dreyfus, la déportation des juifs, l’attaque contre les historiens qui ont révélé les crimes de Vichy, son idée que la France est un pays de race blanche, et la confusion entre les musulmans et les islamistes et terroristes". "Ces idées-là trouvent écho dans la société française, c’est un poison lent", s’inquiète l’ancien Premier ministre de l'Intérieur et Premier ministre de François Hollande.

L’ex chroniqueur télé est crédité de 12 à 14% des intentions de vote au premier tour selon les sondages du mois de janvier, en quatrième position derrière le président sortant, Valérie Pécresse (Les Républicains) et Marine Le Pen (Rassemblement national).

"Quand je vois autant de candidats, je me dis qu’il y a parfois un manque de lucidité !"

S'il n'est pas candidat, Manuel Valls ne veut pas rester silencieux pendant la campagne. "Il faut toujours être lucide sur soi même", justifie-t-il au sujet de son choix de ne pas se présenter à l'élection présidentielle. Et de railler : "quand je vois autant de candidats, je me dis qu’il y a parfois un manque de lucidité !"

"Je m’engage parce que je suis inquiet du niveau que l’extrême droite a atteint, de la force de ses idées, de la crise démocratique, et d’un deuxième tour qui opposerait Emmanuel Macron à Eric Zemmour ou Marine Le Pen", explique-t-il, six mois après être revenu d'Espagne, à la fin de l'été 2021.

"Je suis forcément disponible"

Espère-t-il jouer à nouveau un rôle politique en France, lui qui a quitté son siège de conseiller municipal de Barcelone pour revenir en France ? "Je ne dis pas à Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron "vous aurez besoin de moi". C’est à eux de voir s’ils ont besoin d’ouvrir, de mélanger des expériences et générations différentes. Dans ce cas-là, je suis forcément disponible, mais il y en a d’autres", avance celui qui a été maire, conseiller régional, député, ministre et chef de gouvernement.

"Qui que soit le futur président ou la future présidente de la République", Manuel Valls estime qu’il ou elle devra "changer la manière de gouverner", sinon "le pays va se bloquer de nouveau. Et le mouvement populiste, qui est là et que je dénonce, finira par l’emporter". Car le candidat qui sera élu au second tour en avril aura probablement récolté "entre 17 et 23% au premier tour", avec probablement une part d'abstention.

"La gauche ne concourt ni pour gagner, ni pour être au second tour, ni pour être influencée"

L’ancien cadre du Parti socialiste veut également "envoyer un message à la gauche", sa famille politique, même s’il assène que "le mot socialisme est mort et ne veut plus rien dire depuis longtemps". Il n'a qu'"un seul conseil" pour Anne Hidalgo, candidate officiellement investie par le PS, et Christiane Taubira, ex ministre sous Hollande ayant déclaré sa candidature le 15 janvier dernier. "Il faut donner un sens au vote de gauche, et pour le moment elles ne le donnent pas".

"Je mentirais si je disais que je ne suis pas étonné par le niveau de l’une ou l’autre dans les enquêtes d’opinion", poursuit Manuel Valls. a maire de Paris est créditée de 2 à 4% des intentions de vote, quand l’ancienne Garde des Sceaux oscille entre 3 et 6%. Il voit dans ces très faibles scores une confirmation de ses "thèses sur les gauches irréconciliables, la paresse intellectuelle de la gauche, le fait qu’elle ne se soit pas renouvelée". "Ça me semble difficile, impossible, que la gauche soit au second tour", lâche-t-il. Toutefois, "la gauche ne concourt ni pour gagner, ni pour être au second tour, ni pour être influencée".

Interview : Alexandre Delpérier