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Manque de neige : l'or blanc fait aussi défaut aux écosystèmes locaux

Elle est la reine de l'hiver, celle que l'on attend chaque année avec la même impatience. La neige et les activités qui en dépendent font vivre des dizaines de milliers de personnes. Mais le problème depuis quelques années, c'est qu'elle se fait de plus en plus rare. L'économie de la montagne est affectée mais pas seulement, la faune et la flore locales se heurtent à de profonds bouleversements. Reportage à 1300 mètres d'altitude, dans le massif français de la Chartreuse.

À Sarcenas, commune français située à quelques kilomètres de Grenoble, tout est blanc ce lundi 16 janvier. Mais pas de quoi se réjouir, tempère Simon Lebret, garde nature dans le parc naturel régional de Chartreuse.

"On est mi-janvier, c’est l'un des premiers épisodes de neige alors que cela devrait déjà faire plusieurs semaines voire mois qu'elle devrait être ici, en quantité" regrette t-il. "Autour de nous on voit des plantes qui ont besoin pour leurs cycles de neige et de froid, et des graines qui ont besoin de gel pour germer".

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Simon Lebret, garde nature en Chartreuse - Euronews

Des conséquences en cascade

La neige, ce mélange de glace et d’air, est bien plus importante que ce que l’on pourrait penser. Elle est même capitale pour tout un écosystème. La réduction de la durée d'enneigement n'est en effet pas sans conséquence, explique Gregory Loucougaray, chercheur en écologie végétale au Laboratoire des Ecosystèmes et Sociétés en Montagne à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement (Inrae, Grenoble).

"Il existe à la fois des effets positifs et négatifs sur la végétation. Par exemple, une diminution du taux d'enneigement ou un déneigement plus précoce au printemps permet à la végétation de se développer pendant plus longtemps lors de la saison". Il poursuit : "On considère que depuis les années 1980, aux alentours de 1500 mètres d'altitude, le démarrage de la végétation est plus précoce de deux à trois semaines". Ce qui entraîne un allongement de la durée de végétation.

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Gregory Loucougaray, chercheur en écologie végétale au Laboratoire des Ecosystèmes et Sociétés en Montagne à l’Inrae - Euronews

Mais Grégory Loucougaray nuance son propos. "Cet effet positif peut être contrebalancé. La neige a un rôle d'isolant pour la végétation : elle la protège en la recouvrant pendant l'hiver et permet de tamponner les variations de température. (...) Au début du printemps, en cas de déneigement trop précoce, la végétation démarre plus tôt et peut être plus exposée à ce qu'on appelle des regels tardifs".

Pour le chercheur, ces effets peuvent aussi avoir des conséquences en cascade, notamment sur les réseaux trophiques, c'est-à-dire les chaînes alimentaires : "La variabilité du climat, d'une année sur l'autre, peut altérer la qualité de la végétation et sa pousse". Et les herbivores qui la consomment en sont impactés.

Aux côtés de l'Office français de la biodiversité (OFB), Grégory Loucougaray a observé ces paramètres de modification de la végétation sur les populations de bouquetins. L'équipe a remarqué qu'un printemps plus précoce entraîne la pousse d'une plus grande quantité d'herbe, qui a des effets positifs sur les bouquetins mâles et les femelles en fin de gestation. Mais dans ces conditions, la qualité du fourrage s'amoindrit, ce qui n'est pas bon pour ces jeunes mammifères.

S'adapter ou mourir

Mais alors, la question se pose : comment les animaux et les végétaux peuvent-ils s’adapter à ces changements ? Simon Lebret, habitué à parcourir les forêts des versants montagneux, évoque un "point de rupture". "Pour l'instant il y a ce que l’on appelle une plasticité phénotypique, c'est-à-dire que les arbres et la faune peuvent s’adapter mais on ne sait pas jusqu’à quel point (...). Récemment, j'ai vu des gentianes en fleurs. Normalement, la floraison a lieu en mai. C’est dramatique car si un gel arrive, cela va tuer la plante."

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Gentianes en fleurs en Allemagne - Canva

Pour lui, il est nécessaire d'insister auprès de la population : "C’est à nous, en tant que citoyen, de faire en sorte de limiter l’impact du changement climatique pour que cela coïncide avec l’adaptation des animaux et des plantes.”

-40 % d'enneigement moyen par rapport à 1990

Cela étant dit, un autre questionnement s'impose. Y a-t-il véritablement moins de neige qu’auparavant ? Marie Dumont est chercheuse et directrice au Centre d'étude de la neige. Elle confirme sans ambiguïté une "baisse de l'enneigement". "Si l'on fait la moyenne sur tous les hivers entre 1960 et 1990, nous sommes à peu près à un mètre en moyenne de manteau neigeux sur la période de décembre à avril. Aujourd'hui, sur les 30 dernières années, si on fait la moyenne (entre 1990 à 2020), nous sommes plutôt à une moyenne de 60 cm d’enneigement."

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Marie Dumont, chercheuse et directrice du Centre d'étude de la neige - Euronews

"Autrement dit, en 30 ans, on a perdu 40 % de l'enneigement moyen au Col de Porte. C'est quasiment la moitié. C'est un chiffre énorme" pour Marie Dumont, qui précise que "malgré cela, aujourd'hui, nous sommes aussi dans un hiver peu enneigé par rapport à cette moyenne”.

Marie Dumont poursuit : "si cette surface disparait, nous allons absorber encore plus d'énergie solaire et réchauffer encore plus vite la planète. Sans la présence de la neige, on craint une sorte d'emballement. C'est l'une des raisons pour lesquelles il faut s'inquiéter. Ce n'est pas la seule, mais sans doute la plus importante.”

Quand manque de neige est synonyme de manque d'eau

Une diminution de la quantité et de la durée d'enneigement implique également des conséquences sur les ressources en eaux. "Il y a des endroits où l’eau est stockée pendant les mois de juin, juillet, août, septembre dans les nappes phréatiques (...)", rappelle le garde nature Simon Lebret.

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Remontée mécanique fermée Col de Porte et le Centre d'étude la neige en arrière plan - 17.01.2023 - Ophélie Barbier/Euronews

"Mais en Chartreuse, en Europe et ailleurs dans le monde, il y a des lieux que l’on appelle karstiques, c’est-à-dire sans nappe phréatique. Autrement dit, ici nous n'avons pas de stock d'eau. Quand il pleut, l’eau s’en va directement. La neige est importante pour nous car elle nous donne de l’eau toute l’année.”

Pistes pour limiter les dégâts

Finalement, que pouvons nous faire à notre échelle, pour ne pas abîmer davantage les écosystèmes ? Simon Lebret propose quelques solutions.

D'abord, penser à rester sur les pistes de ski. Lorsque l'on fait du hors sentiers ou du hors pistes, on ne remarque pas qu’il y a des animaux sauvages qui vivent à côté. Il y a des espaces pour les humains et d’autres pour les animaux sauvages". Le garde donne l'exemple du tétras-lyre, une espèce d'oiseau qui niche au sol en faisant son trou dans la neige. "On peut passer à côté de lui sans le voir", ajoute Simon Lebret, qui incite les promeneurs à être attentifs aux êtres vivants qui nous entourent.

Ophélie Barbier - Euronews
Skieurs au Col de Porte - 17.01.2023 - Ophélie Barbier - Euronews

L'animateur nature complète : "et au delà de ça, quand nous sommes dans la nature, soyons tranquilles, calmes et savourons ces endroits car autour de nous on ne le voit pas mais beaucoup d’animaux nous regardent. Faisons aussi attention à notre volume sonore.”

Pour que nos hivers continuent d’être blancs, ralentir le réchauffement climatique et anticiper dès maintenant ses conséquences sont nécessaires. Pour nous, comme pour le reste du monde vivant.