Manifestation : les grandes mobilisations qui ont marqué l'Histoire

Une usine occupée par des grévistes, en juin 1936 (Photo by ARCHIVE / AFP)
Une usine occupée par des grévistes, en juin 1936 (Photo by ARCHIVE / AFP)

Du Front populaire à Mai 68 en passant par la mobilisation contre le plan Juppé en 1995, des mobilisations d'ampleur ont marqué l'Histoire, faisant parfois vaciller les gouvernements en place. Tour d'horizon.

La mobilisation du 31 janvier 2022 contre la réforme des retraites a été l'une des plus importantes de ces dernières années. Un appel à la grève qui s'est concrétisé avec 1,272 million de manifestants dans les rues selon la police.

Pour retrouver une manifestation revendicative de la même ampleur, il faut remonter treize ans en arrière, lors d'une mobilisation contre la réforme des retraites menée par Éric Woerth, en 2010, repoussant l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Deux mouvements d'ampleur donc, qui s'inscrivent dans la longue tradition de luttes sociales en France.

  • Le Front populaire, 1936

Ce qui marque les esprits à l'époque, c'est la dureté du mouvement de grève dans les entreprises. Au mois de mai, une coalition composée de socialistes, de radicaux et de communiste, appelée Front populaire, remporte les élections législatives. Dès le lendemain, les ouvriers se mettent en grève, occupent leurs usines. Objectif : faire pression sur le nouveau gouvernement né des législatives et obtenir des avancées sociales. Au bout de quelques jours, on recense trois millions de grévistes, puis six millions au début du mois de juin.

Face à la mobilisation exceptionnelle, patronat et syndicats sont conviés à des négociations avec le gouvernement. Les 7 et 8 juin sont signés les accords de Matignon que le patronat accepte d'appliquer une fois les mesures votées au Parlement. Les 11 et 12 juin, les lois sont votées avec entre autre la réduction de la durée du travail, le droit d'être représenté par un syndicat ou encore les premiers congés payés. Le travail reprendra le 13 juin.

  • 1947

Dans la France d'après-guerre, l'entreprise Renault, tout juste nationalisée, allume la premier mèche alors que le gouvernement vient de réduire la part de la ration de pain. Un tiers des 30 000 salariés est rapidement en grève, ce qui permet au mouvement d'obtenir une augmentation de salaire. Si deux tiers des grévistes votent la reprise, une minorité tient bon, et permet d'obtenir une prime et une avance de salaire. Mais dans un contexte hyper inflationniste, où les prix connaissent une hausse de 60%, et un rationnement en vigueur, la colère couve.

Les communistes, au gouvernement jusqu'au 5 mai, ne soutenaient pas le mouvement, ni la CGT. Mais une fois sortis du gouvernement, les communistes et la CGT entrent dans la danse : la grève se propage comme une trainée de poudre au début de l'été : la SNCF, les banques, les grands magasins, les constructeurs automobiles rejoignent le mouvement... De nombreux secteurs sont touchés, avec une revendication commune : la hausse des salaires.

En novembre la grève s'étend aux mineurs, 80 000 d'entre eux se mettent en grève, puis elle s’étend à l’Éducation nationale, au BTP, aux métallos, aux dockers, et à l’ensemble de la fonction publique. Des émeutes de la faim se propagent à plusieurs villes. En six mois, la hausse des produits alimentaires dépasse déjà 43 % contre 11 % pour les salaires.

En fin d'année, le conflit dégénère. Des affrontements entre grévistes munis de barre de fer et CRS éclatent à Saint-Étienne. À Marseille, une manifestation contre la hausse du prix du ticket de tramway fait un mort et plusieurs blessés. Trois morts à Valence, lorsque des soldats tentent de se dégager de la foule des manifestants. Des opérations se sabotage contre les trains, routes ou EDF sont menées par les grévistes.

Le mouvement s'essouffle peu-à-peu, et s'éteint quand le gouvernement crée un nouveau salaire minimum garanti revalorisé, et augmente les allocations familiales. On estime qu'entre 23,3 millions et 26 millions de jours de travail sont perdus en France lors de ces grèves, avec entre 3 et 5 millions de grévistes.

  • Août 1953

En plein coeur du mois d'août, le gouvernement, à la recherche d'économies, projette de supprimer un certain nombre de fonctionnaires, mais également de repousser leur âge de départ à la retraite de deux ans, alors fixé à 65 ans pour les services sédentaires et 58 ans pour les services "actifs". Surtout, le gouvernement veut faire basculer des actifs, en sédentaires, les contraignant à travailler sept années supplémentaires.

Le projet suscite la colère des fonctionnaires, qui se mobilisent massivement. Partie des postiers, la grève touche EDF-GDF, la SNCF, la RATP, Air France, la fonction publique territoriale et plusieurs entreprises qui avaient été nationalisées. De deux millions de grévistes le 7 août, le mouvement double sa mobilisation et atteint 4 millions une semaine plus tard. En plein coeur des vacances, des milliers de Français se retrouvent bloqués sur leur lieu de repos. Le gouvernement recule, aucune sanction n'est prise et des augmentations de salaires sont même obtenues par les fonctionnaires, dont la rémunération reste inférieure à l'avant guerre.

  • Mai 1968

C'est le mouvement de grève le plus fructueux de l'histoire en France. Contrairement à l'après-guerre, la prospérité économique est au rendez-vous. Mais la société aspire à davantage de libertés. Le mouvement, lancé dans les universités, gagne rapidement toutes les strates de la société. Mi-mai, deux millions de personnes manifestent parout en France. Puis c'est le début de l'occupation des entreprises. Une semaine plus tard, on recense huit millions de grévistes, dix à la fin du mois. Le pays est à l'arrêt : pas de transports publics, courrier bloqué, gares, écoles et banques fermées.

La situation se crispe et vire à l'affrontement à Paris, où des étudiants affrontent les forces de l'ordre dans le quartier Latin.

Forcé et contraint, le gouvernement réunit les partenaires sociaux et négocie. Le mouvement aboutit à une hausse du salaire minimum de 35%, les salaires augmentent de 10% en moyenne. La section syndicale d’entreprise et l’exercice du droit syndical dans l’entreprise sont reconnus par la loi. Le passage par étapes de 48 heures aux 40 heures de travail hebdomadaire est acté. Les conventions collectives sont révisées. La part des primes dans la rémunération diminue au profit de celle du salaire.

  • Novembre 1995

En novembre 1995, le tout nouveau Premier ministre, Alain Juppé, présente son plan sur les retraites et la sécurité sociale. Au coeur du projet, un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique, ceux du privés étant passés à 40 années depuis 1993.

Une proposition qui pousse des milliers de personnes dans la rue. Le taux de grévistes dans les transports publics atteint 85%, aucun métro, train, ou bus ne fonctionne durant plus de trois semaines entre novembre et décembre.

VIDÉO - Comment les Français découvraient le télétravail pendant les grèves de 1995

Malgré les perturbations dans leur quotidien, la majorité des Français soutien le mouvement. Le 12 décembre, deux millions de manifestants sont recensés dans la rue, du jamais vu depuis 1968. Face à une telle mobilisation, le 15 décembre le gouvernement retire sa réforme sur les retraites, la fonction publique et les régimes spéciaux de la SNCF, de la RATP et d’EDF, mais sans abandonner le reste de sa réforme.

  • 2003

En 2003, c'est une nouvelle fois un projet de réforme des retraites qui met des milliers de Français dans la rue. Derrière le projet, François Fillon, ministre du Travail et des affaires sociales sous la présidence de Jacques Chirac, qui veut aligner "notamment la situation des fonctionnaires sur celles des salariés du secteur privé".

Rapidement, la mobilisation est massive, notamment dans l'Éducation nationale et les transports. Le 13 mai, 2 millions de personnes manifestent dans plusieurs villes de France, 1,13 million selon la police. Les manifestations se multiplient mais la loi réformant les retraites est promulguée le 21 août.

  • 2010

Après 2003, nouvelle réforme des retraites en vue. À la baguette en 2003, François FIllon est désormais Premier ministre et laisse Éric Woerth mener la réforme, visant à passer de 60 à 62 ans l'âge légal de départ à la retraite et décaler de 65 à 67 ans l'âge à partir duquel ne s'applique plus le mécanisme de décote

Rapidement, les syndicats appellent à une mobilisation et déplorent à l'unanimité que "les entreprises, les hauts revenus, les revenus du capital qui sont cinq fois moins mis à contribution que les salariés". Les grèves ont lieu dans les transports, à EDF ou à La Poste, des manifestations réunissent à chaque fois plus de 2 millions de personnes selon les organisateurs, ou autour d'un million selon la police.

Point d'orgue de la mobilisation, le 12 octobre, avec 3,5 millions de manifestants selon les organisations syndicales, 1,23 million selon la police. La réforme est finalement adoptée par le Sénat et l'Assemblée nationale fin octobre.

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