Manger son placenta ? Attention à cette pratique dont les vertus ne sont pas prouvées
Le placenta est un organe éphémère expulsé du corps maternel après l'accouchement. Considéré comme un déchet par la loi française, il doit être jeté par les professionnels de santé avant d'être incinéré. Mais de nombreuses internautes prônent la "placentophagie", c'est-à-dire le fait de manger son placenta, cru, cuisiné ou sous forme de gélules. Une pratique dont les effets prétendument bénéfiques ne sont pas prouvés scientifiquement, et qui comporte des risques.
La placentophagie consiste à manger son placenta après l'accouchement. Bien que marginale, elle est aujourd'hui vantée par certaines doulas (femmes qui accompagnent les futures mères dans leur grossesse et leur accouchement, sans reconnaissance légale), ainsi que des sites spécialisés.
Le placenta est un organe éphémère qui se forme pendant la grossesse, à partir de cellules de l'embryon. Il assure de nombreuses fonctions indispensables au développement du foetus, comme l'approvisionnement en oxygène et nutriments, l'évacuation des déchets, ou encore le développement du système immunitaire maternel, explique l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'Inserm (lien archivé).
L'organe se développe, s'implante dans la paroi de l'utérus, créant "un gigantesque réseau d'échanges avec la circulation maternelle, long de plusieurs dizaines de kilomètres", détaille l'institut. Après l'accouchement, le placenta doit être expulsé du corps maternel, c'est ce qu'on appelle "la délivrance".
Plutôt que de le jeter, certains préconisent de le récupérer pour le consommer, cru, cuisiné ou réduit en poudre dans des gélules. Selon ses adeptes, la pratique aurait de nombreuses vertus, comme celles de favoriser la montée de lait, de pallier les carences en vitamines et en minéraux, notamment en fer, ou encore de diminuer les douleurs et les risques de dépression post-partum.
Lasagnes, soupe ou smoothie
Cette doula recense ainsi les prétendus "bienfaits connus" de la placentophagie. Et des sociétés proposent d'encapsuler le placenta, transformé en gélules à ingérer quotidiennement. Sur les réseaux sociaux, on trouve aussi des recettes pour cuisiner son placenta, en smoothie, en lasagnes ou en soupe.
Une association française propose même un "stage autour de la transformation placentaire", une formation pratique pour apprendre à confectionner des "remèdes placentaires". "Si vous avez encore votre placenta congelé ou séché, c’est l’occasion de l’honorer lors du stage", peut-on lire sur le site de l'association.
Une autre doula basée en Suisse propose une formation en ligne "principalement" destinée aux sages-femmes et doulas, pour devenir "spécialiste de la transformation du placenta".
Sur le site internet d'un média se présentant comme un "magazine pour les mamans", un article vante les bienfaits de la placentophagie, assurant qu'"à l'heure actuelle, de nombreuses études ont été menées soulignant que les femmes après l'accouchement peuvent manger leur placenta".
L'article assure que les mères "pourront en tirer beaucoup de bénéfices", puisque le placenta permettrait "une récupération plus rapide après l'accouchement, une guérison plus rapide des plaies".
Cependant, ces affirmations ne sont pas étayées scientifiquement. L'idée de consommer son placenta est vantée aux Etats-Unis par des personnalités comme Kim Kardashian ou Katie Holmes, mais interdite en France en raison de risques infectieux.
"Bouillon de cultures"
La placentophagie est très courante chez les mammifères (lien archivé), mais "scientifiquement, rien ne prouve ses bénéfices" chez les humains, affirme à l'AFP le gynécologue-obstétricien Cyril Huissoud, soulignant qu'elle comportait en revanche des risques infectieux.
En effet, de nombreux agents pathogènes peuvent être transmis par voie biologique. Le placenta, "c'est un bouillon de cultures", explique le médecin, car "les bactéries y prolifèrent rapidement, et peuvent être hautement pathogènes" pour la mère comme pour le bébé. Le placenta peut être contaminé dès l'accouchement, ajoute M. Huissoud, secrétaire général du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF).
Si plusieurs études se sont penchées sur les effets de la placentophagie sur la femme après l'accouchement, les connaissances scientifiques sur ce sujet restent limitées. L'AFP n'a pas trouvé d'étude solide et de grande ampleur qui soutienne un bénéfice avéré.
Scientifiques et autorités sanitaires mettent en revanche en garde contre les risques.
Les résultats de cette étude canadienne, menée sur 138 femmes (lien archivé) "n'apportent aucun soutien à l'idée selon laquelle la placentophagie post-partum améliore l'humeur, l'énergie, la lactation ou les taux plasmatiques de vitamine B chez les femmes ayant des antécédents de troubles de l'humeur".
Une autre étude américaine publiée en 2016 (lien archivé) indique que "les résultats n'ont révélé aucune différence statistiquement significative" entre les femmes ayant consommé leur placenta et d'autres ayant ingéré un placebo. Dans cette étude américaine, réalisée en 2017 (lien archivé), on peut lire que "malgré l’intérêt apparent aux États-Unis, il n’y a aucun avantage scientifiquement prouvé connu de la placentophagie humaine".
En revanche, "il existe des preuves d’un risque réel de préjudice", conclut le document, contrairement à ce qu'affirme dans une vidéo YouTube datant de 2021 cette internaute se présentant comme "diplômée en aromathérapie et réflexologie".
En 2017, aux Etats-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) alertaient en effet dans une note (lien archivé) sur l'infection d'un nourrisson à un streptocoque B associée à la consommation par la mère de capsules contenant du placenta déshydraté.
"Le placenta a récemment été vanté pour ses bénéfices physiques et psychologiques en post-partum, malgré le manque de preuves scientifiques", peut-on lire dans le rapport, qui déconseille l'ingestion de placenta en gélules, dont le processus de préparation n'éradique pas les infections pathogènes.
En France, le placenta est considéré comme un déchet
En France, le placenta n'appartient pas à la femme qui l'expulse. La loi interdit aux parents de se voir remettre le placenta après l'accouchement à l'hôpital, pour éviter les risques infectieux, mais également pour des considérations éthiques.
"Les produits du corps humains ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial", explique Aline Cheynet de Beaupré, professeur de droit spécialisée en bioéthique. "Le droit français a peur du business", résume-t-elle.
Le placenta est donc considéré comme un déchet opératoire qui doit être incinéré en application de la réglementation relative aux déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI) (lien archivé), en vertu des articles R. 1335-1 et suivants du code de santé publique (lien archivé).
Quand certains parents demandent de récupérer le placenta après un accouchement, "on leur explique que ce n'est pas possible, qu'on n'a pas le droit", indique le professeur Huissoud.
Des entreprises proposent pourtant d'encapsuler les placentas, pour permettre aux femmes de les consommer en poudre après leur grossesse. En France, une doula propose par exemple sur Facebook d'encapsuler le placenta de leur patientes, mais aussi d'autres services, comme la fabrication de crèmes ou de bijoux à base de placenta humain.
Cette doula suisse propose elle de réaliser des smoothies, des gélules, du baume ou encore en teinture mère, sous forme de solution hydroalcoolique, à partir du placenta de ses clientes.
Des activités illégales
Ces activités sont totalement illégales en France. L'article L1241-1 du code de santé publique (lien archivé) prévoit que le prélèvement de cellules du placenta ne peut être effectué qu'à des fins scientifiques ou thérapeutiques, en vue d'un don anonyme et gratuit, et à la condition que la femme, durant sa grossesse, ait donné son consentement par écrit, après avoir reçu une information sur les finalités de cette utilisation.
L'article L1245-3 (lien archivé) dispose que seuls les organismes qui en ont fait la déclaration préalable auprès du ministère chargé de la Recherche peuvent, pour les besoins de ses programmes de recherches, assurer la conservation et la préparation de tissus et de cellules issues du corps humain.
Selon l'ANSM, l'Agence française du médicament, il s'agit "d'éviter les dérives purement commerciales". L'agence est en charge de la surveillance des activités relatives à la préparation, la conservation, la distribution et la cession des tissus et des cellules du corps humain à des fins thérapeutiques. Ces activités très encadrées ne peuvent se faire qu'avec l'autorisation du ministère de la Recherche et de l'ANSM.
En 2012, le ministère de la Santé alertait dans une circulaire (lien archivé) sur des dérives liées à l'utilisation du placenta. Des sociétés à but commercial démarchaient des femmes enceintes pour obtenir leur placenta ou le sang de leur cordon ombilical, présentant "comme acquises les vertus thérapeutiques ou curatives de ces produits".
Le ministère de la Santé alertait sur "les dangers" liés à "l'utilisation de produits d’origine humaine dont l’efficacité thérapeutique n’aurait pas été reconnue par les autorités sanitaires et qui n’auraient pas été préparés et conservés selon des normes susceptibles d’en garantir la qualité et la sécurité".
Le cas des accouchements à domicile
En cas d’accouchement à domicile, il peut arriver que des femmes demandent de conserver leur placenta, explique Floriane Stauffer, sage-femme et co-dirigeante de l'Association Professionnelle de l'Accouchement Accompagné à Domicile (APAAD). Mais il s’agit d'une requête "très marginale" et dans la très grande majorité des cas, les placentas sont bien éliminés via la procédure DASRI après un accouchement de ce type (0,2% des naissances, selon l’association), souligne-t-elle.
Quand certaines patientes demandent à récupérer leur placenta pour le manger, "le rôle des sages-femmes est de leur faire part des connaissances dont on dispose sur le sujet et de les mettre en garde sur les risques : il ne faut pas faire n'importe quoi avec le placenta", estime-t-elle.
L'interdiction de conserver du placenta s'applique aux accouchements à domicile comme à ceux en milieu hospitalier, souligne le Conseil national de l'ordre des sages-femmes. Après l'expulsion, il s'agit d'un "produit du corps humain dont l'utilisation et la conservation sont définies par le code de la santé publique" et ne peuvent s'envisager qu'à des "fins thérapeutiques ou scientifiques", indique-t-il à l'AFP.
L'institution ordinale précise que "le placenta et le cordon sont des déchets opératoires qui doivent être incinérés en application de la réglementation relative aux déchets de soins à risques infectieux".
"Il est donc interdit aux parturientes de récupérer leur placenta après leur accouchement ou de confier le placenta et/ou le cordon à des organismes qui ne sont pas autorisés à les préparer, les conserver et les distribuer sous quelque forme que ce soit (médicament ou produit cellulaire)", ajoute l'Ordre, insistant sur le fait que "l'immense majorité des sages-femmes ne vante pas la placentophagie, bien au contraire".
Ailleurs dans le monde, des parents qui en font la demande peuvent récupérer leur placenta à l'hôpital. C'est le cas au Québec, où le gouvernement a autorisé cette pratique en 2017. Les parents sont alors informés que l'ingestion du placenta est "fortement déconseillée" en raison des risques de contamination (lien archivé).
En 2019, la SOGC, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, ne recommandait pas la placentophagie, estimant en 2019 qu'"aucune donnée probante ne fait état des bienfaits liés à cette pratique" qui "peut nuire à la santé" (lien archivé).
Le placenta, au coeur de nombreuses croyances
Le placenta est au coeur de nombreuses croyances, qui varient en fonction des époques, des cultures et des traditions. En Polynésie française, la coutume veut par exemple que l'on enterre ou que l'on immerge dans l'océan le placenta, considéré comme "un double du foetus" (lien archivé).
C'est pourquoi il suscite de nombreuses théories, comme de la part d'internautes qui affirment que les placentas font l'objet d'un trafic très lucratif, puisqu'ils seraient revendus à prix d'or à l'industrie pharmaceutique, à l'insu des femmes qui accouchent dans les hôpitaux.
"Un placenta ça coûte 50.000 dollars, tu crois vraiment qu'ils le jettent à la poubelle ? Qu'ils te demandent une autorisation pour le vendre ?", interroge un TikTokeur, suivi par 230.000 personnes. Dans cette vidéo visionnée plus 2 millions de fois, l'internaute explique que les placentas des femmes qui accouchent à l'hôpital sont vendus à l'industrie pharmaceutique.
Dans une autre vidéo publiée sur TikTok, visionnée 88.000 fois, on entend que le placenta coûte 50.000 euros, et fait l'objet "d'un réel trafic à votre insu". "Le placenta est devenu une marchandise précieuse", "des enquêtes récentes révèlent que le placenta humain peut être vendu jusqu'à 50.000 euros, utilisé dans des industries allant de la cosmétique à la recherche médicale", peut-on aussi lire.
L'AFP n'a pas trouvé trace d'une "enquête" révélant qu'un placenta pouvait être revendu 50.000 euros. Comme on l'a vu plus haut, le prélèvement de placenta est très encadré par la loi et ne peut être fait qu'avec le consentement de la mère, et à des fins scientifiques ou thérapeutiques. Les cellules souches du placenta peuvent en effet être un outil précieux pour la recherche médicale, ainsi que pour les greffes de moelle osseuse.
12 février 2025 Ajoute précisions du Conseil national de l'ordre des sages-femmes aux 33e, 34e et 35e paragraphes) 12 février 2025 Modifie les citations de la co-dirigeante de l'APAAD, à sa demande, afin de clarifier ses propos (31e et 32e paragraphes) 28 janvier 2025 Change "présidente de l'APAAD" par "codirigeante de l'APAAD" (paragraphe 32) 28 janvier 2025 Ajoute "la" dans le chapô avant "placentophagie"