Mandat d'arrêt de la CPI : pourquoi Benjamin Netanyahou bénéficie-t-il d'une immunité en France ?
Alors que le Premier ministre israélien est visé par un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité et crimes de guerres, la France a annoncé qu'elle ne collaborerait pas avec la Cour pénale internationale.
Un nouveau couac pour la diplomatie française ? Quelques jours après l'annonce par la Cour pénale internationale (CPI) de l'émission de mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, le Quai d'Orsay a laissé entendre que ces derniers pourraient être protégés par une immunité sur le sol français.
Faisant suite aux déclarations du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, qui avait expliqué plus tôt dans la semaine que la France pourrait ne pas appliquer les mandats d'arrêt de la CPI en raison de "questions d’immunité de certains dirigeants", le Quai d'Orsay s'est fendu ce mercredi 27 novembre d'un communiqué pour le moins surprenant.
Le Quai d'Orsay laisse entendre qu'il n'arrêtera pas Netanyahou
Le ministère commence ainsi par affirmer que "la France respectera ses obligations internationales" liées au Statut de Rome (qui a créé la CPI en 1998 et dont la France est signataire), mais elle rappelle aussi dans un spectaculaire renversement que ce texte fondateur "prévoit (...) qu’un État ne peut être tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des États non parties à la CPI".
"De telles immunités s’appliquent au Premier ministre Netanyahou et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation et remise", ajoute le communiqué du Quai d'Orsay. Tout en restant évasif dans la formulation, la France informe donc le reste de la communauté internationale qu'elle pourrait ne pas arrêter Benjamin Natanyahou s'il se rend sur son territoire, en vertu de plusieurs "immunités" dont bénéficierait le Premier ministre israélien.
Un statut particulier pour les pays ne reconnaissant pas la CPI ?
Mais de quelles immunités est-il réellement question ici ? Le communiqué du ministère mentionne celles qui s'appliquent aux "États non parties à la CPI", c'est-à-dire n'ayant pas ratifié le Statut de Rome. Israël figurant parmi ces États non parties, tout l'argumentaire du Quai d'Orsay repose donc sur les règles s'appliquant aux pays ne reconnaissant pas la CPI.
Or, par définition, ces règles sont loin d'être aussi claires pour les États non parties qu'elles le sont pour les États parties au Statut de Rome. Dans un document de plus de 200 pages intitulé "accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale" et publié en 2002, quelques lignes seulement sont consacrées à cette question.
Une "exception" pour les crimes internationaux
L'article 25 de l'accord stipule ainsi que certains "privilèges et immunités", notamment l'immunité d'arrestation des représentants officiels, "sont accordés aux États qui n’y sont pas parties", mais précise également que ces derniers doivent être "assujettis" à une "obligation de levée" de ces immunités, dans les cas où elles "entraveraient la marche de la justice".
En pratique, cela signifie donc qu'aucune immunité ne doit pouvoir s'appliquer aux représentants d'Etats non parties lorsqu'ils sont visés par un mandat d'arrêt de la CPI. Dans un post publié sur X, le juriste Nicolas Hervieu rappelle d'ailleurs qu'"en 2011, la CPI a jugé que le droit international faisait exception à cette immunité pour les crimes internationaux", dans le cadre d'une procédure menée à l'époque contre l'ancien président du Soudan Omar el-Bechir.
« Les immunités s’appliquent au Premier ministre Netanyahou » car est chef de gouvernement d'un Etat « non partie » ?
Discutable...
En 2011, la CPI a jugé que le droit international faisait exception à cette immunité pour les crimes internationaux.
=> https://t.co/CxGVYhEN0Z https://t.co/Dqv39GdyW9 pic.twitter.com/I6eRwBQLyl— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) November 27, 2024
Le résultat d'un "deal" diplomatique entre Macron et Netanyahou ?
L'annonce faite par le ministère français des Affaires étrangères ce mercredi 27 novembre semble donc aller à l'encontre du fonctionnement ordinaire de la CPI et de ses États parties. Certains autres signataires du Statut de Rome, comme le Royaume-Uni et l'Italie, ont d'ailleurs d'ores et déjà "déclaré qu’ils seraient contraints d’arrêter le chef de gouvernement israélien s’il venait sur leur sol", comme l'indique Le Monde.
Le positionnement beaucoup plus flou de la diplomatie française sur le sujet a en tout cas provoqué l'indignation de nombreux responsables politiques hexagonaux, notamment à gauche. La secrétaire nationale des Ecologistes-EELV Marine Tondelier a par exemple déploré sur X que "la France se plie une fois de plus aux exigences de Benjamin Netanyahu en le choisissant lui plutôt que la justice internationale".
Ce communiqué de la diplomatie française est une honte.
C’est ce que l’on appelle un beau rétropédalage.
Et je crains bien de comprendre pourquoi.
La France se plie une fois de plus aux exigences de Benjamin Netanyahu en le choisissant lui plutôt que la justice internationale.… https://t.co/JG91OYpZQ4— Marine Tondelier (@marinetondelier) November 27, 2024
"Sûrement était-ce le 'deal' pour que la France soit citée dans le communiqué d’annonce officiel du cessez-le-feu au Liban publié conjointement par la France et les Etats-Unis hier", poursuit la députée écologiste, en référence à l'accord qui vient d'être conclu entre Israël et le Liban. D'après le journaliste indépendant Nils Wicke, cette hypothèse est également avancée par une source israélienne dans un article de Haaretz. Le communiqué publié ce mercredi par le Quai d'Orsay serait-il le résultat d'un "deal" diplomatique entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahou ?
L'immunité offerte par Macron à Netanyahou malgré les accords avec la CPI ferait partie d'un deal pour le cesser-le-feu entre Israël et le Hezbollah au Liban, selon une source israélienne citée par Haaretz. Ceci expliquerait cela... https://t.co/CHWa1gGgnE
— Nils Wilcke (@paul_denton) November 27, 2024