« La maman et la putain » est-il l’exemple à suivre pour faire revenir les gens au cinéma ?

« La maman et la putain », Jean Eustache.
Les Films du Losange « La maman et la putain », Jean Eustache.

Les Films du Losange

La restauration de « La maman et la putain » a dépassé les 30.000 entrées.

CINÉMA - C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures. Cet adage vieux comme le monde semble pourtant très pertinent en ce moment au vu du regain d’intérêt pour un classique du cinéma français ressorti en salles au mois de juin dernier : La maman et la putain de Jean Eustache.

Après un mois d’exploitation, le long-métrage du réalisateur disparu en 1981 a dépassé les 30 000 entrées. La société des Films du Losange, à qui l’on doit la restauration de cette œuvre apparue pour la première fois sur les écrans en 1973, s’en félicite. « C’est vraiment l’une des ressorties les plus importantes des dix dernières années », nous assure l’un de ses producteurs, Charles Gillibert (Annette, Garçon chiffon).

Pourtant, ce n’était pas gagné. Le film est long, très long. Il ne dure pas moins de trois heures et quarante minutes, ne permettant ainsi que deux séances par jour et par salle. « Fait intéressant, pour son démarrage à Paris intra-muros, le film s’offrait [le jour de son retour] une moyenne d’entrées par copie légèrement supérieure à celle du blockbuster de la semaine, Jurassic World : Le Monde d’après », notent Les Inrockuptibles.

Ce succès encourageant n’en est pas moins surprenant, selon l’enseignante-chercheuse en socioéconomie du cinéma et de l’audiovisuel Chloé Delaporte. « C’est énorme. Certains films en première exclusivité ne font pas ça », commente-t-elle. Qui plus est avec un film de Jean Eustache, un cinéaste somme tout « restreint à un cadre cinéphilique ».

Un phénomène pas si nouveau

L’histoire de La maman et la putain est très contemporaine. Elle dresse le tableau d’un homme oisif du nom d’Alexandre, qui va entreprendre un ménage à trois avec deux femmes. La première s’appelle Marie (Bernadette Laffont). Elle est plus âgée que lui et bien installée dans la vie. Elle tient une boutique de vêtements et dispose de suffisamment d’argent pour entretenir gracieusement son amant. La seconde, Veronika (Françoise Lebrun) est une jeune soignante. Elle aime sortir tard le soir et rencontrer des hommes. Chacune le veut pour elle seule, mais Alexandre, lui, est indécis, rendant la situation de plus en plus compliquée au fil du temps.

Découvrez ci-dessous la bande-annonce de La maman et la putain :

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Cet été, d’autres films dits de « patrimoine » sont réapparus sur les écrans. C’est le cas du deuxième long-métrage du réalisateur italien Pier Paolo Pasolini, Mamma Roma, mais aussi d’un monument de l’animation japonaise, Memories, un film tiré du manga de Katsuhiro Ōtomo.

Le principe n’est pas nouveau. En 2021, la ressortie en salles d’In the Mood for Love de Wong Kar-wai avait attiré près de 40 000 curieux. L’initiative n’est pas cantonnée à des productions « confidentielles ». En France, les salles sont nombreuses à proposer des projections « événement » pour les anniversaires symboliques de gros blockbusters, comme Titanic, E.T. ou Harry Potter.

Un marketing différent

Le succès du film de Jean Eustache en salles résonne différemment. Cela tient à plusieurs facteurs, selon Chloé Delaporte. Il aurait, d’après l’observatrice, bénéficié d’un marketing offensif. « On a été bombardé dans les rues [d’affichages publics]», souligne la chercheuse. Contrairement à ce qui est fait généralement, le caractère « ancien » du film n’a pas été mis en avant. « On a insisté sur la modernité du ton, le titre ayant probablement aidé à véhiculer cette idée de nouveauté », continue l’enseignante.

La presse n’est pas étrangère à l’engouement. « Même pour des premières sorties, on n’a pas cette présence massive dans les médias, relève la spécialiste. À droite comme à gauche, on en a parlé. Du Figaro à Libération, on a loué l’initiative de restauration. C’est rare de voir une telle critique à l’unisson. Or, La maman et la putain, ce n’est pas rien en termes de ce que ça dit de la société, des rapports entre les hommes et les femmes, des rapports dans le couple ou de la féminité. » Lors de sa première projection à Cannes en 1963 (où il a décroché le Grand prix du jury), le film avait, pour ces mêmes raisons, fait polémique. Cela lui avait aussi valu d’être interdit en salles aux moins de 18 ans jusqu’en 1981.

Charles Gillibert des Films du Losange est, lui, moins surpris. « Quand on a commencé à parler autour de nous de notre projet de restauration de l’ensemble de l’œuvre Jean Eustache [Mes petites amoureuses est le prochain sur la liste, ndlr], on a senti beaucoup d’intérêt. Ça a provoqué beaucoup d’enthousiasme », nous indique-t-il.

Et pour cause, depuis sa première sortie, il était presque introuvable. Les diffusions à la télé se comptent sur les doigts d’une main. Le film n’existe pas en DVD et les rares copies pirates sont de très mauvaise qualité, aussi bien en termes d’images que de son. De quoi alimenter une certaine mythologie.

Attirer les cinéphiles

L’argument de la restauration pour les cinéphiles a certainement aidé, mais pas seulement. « On le voit sur les plateformes de films à la demande : il y a une vraie appétence pour les films de patrimoine ou les corpus classiques », continue Chloé Delaporte.

Au mois d’avril 2020, Netflix a mis en ligne une partie du catalogue MK2, parmi lesquels des œuvres de François Truffaut, Charlie Chaplin, Jacques Demy et Agnès Varda. « On ne dispose pas des chiffres de visionnage, mais si Netflix le fait, c’est qu’il y a un intérêt », suppose la chercheuse, pour qui les ressorties s’intègrent dans un processus plus global de réflexion autour du modèle économique des salles.

Les cinémas hexagonaux sont en crise. D’après un sondage Yougov pour Le HuffPost au début du mois de juillet, 43 % des Français interrogés ont dit ne pas être y retournés depuis le début du mois de mai 2021, qui marquait la réouverture des lieux culturels. Et selon les chiffres du CNC, les salles obscures ont attiré, de janvier à juin 2022, 72,95 millions de personnes, soit 30,6 % de moins que sur la même période de 2019.

Les entrées de La maman et la putain sont significatives. « Si les ressorties de films de patrimoine génèrent autant d’entrées, ça va donner quelque chose, anticipe Chloé Delaporte. Ça peut faire revenir les cinéphiles, conforter celles et ceux qui continuent d’y aller et, peut-être, grâce à ce marketing différent, attirer des gens dans les salles qui ne s’y rendent pas habituellement pour voir des classiques. »

La prochaine restauration ? Déjà en discussion

Elle précise qu’ici, ce n’est pas tant la question d’un renouvellement du public qui se pose, mais plutôt de redonner goût aux assidus de pousser les portes des cinémas à nouveau. Un point de vue partagé par Charles Gillibert, certain qu’une partie du public français ne se retrouve pas dans l’offre qui lui est proposée. Outre les places trop chères et l’utilisation des plateformes de streaming, la programmation est la troisième raison de désertion des salles, selon notre sondage.

Certains estiment qu’il faut plus de légèreté. Charles Gillibert, lui, pense que « plus on fabrique une forme d’images superficielles, plus il va y avoir de l’intérêt pour des images plus signifiantes ». « En ça, il y a de l’espace pour ressortir de grands films », confirme le producteur, convaincu.

La restauration de l’intégralité de l’œuvre de Jean Eustache n’en est qu’à ses débuts. Elle doit s’étaler jusqu’au second semestre de 2023. Alors même que La maman et la putain va bientôt débarquer aux États-Unis, au Royaume-Uni, mais aussi au Japon, le prochain film du réalisateur français à revoir le jour, Mes petites amoureuses, sera présenté à la 79e Mostra de Venise, en septembre. « Il y a une très grosse demande de la part des festivals étrangers », précise Charles Gillibert. Forts de ce premier succès, les Film du Losange comptent bien récidiver l’initiative avec un autre metteur en scène. Leur choix est déjà fait et les discussions sont en cours.

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