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Mali: La France a tué des transfuges islamistes, non des otages

par Sophie Louet

PARIS-BAMAKO (Reuters) - Les militaires maliens tués dans la nuit du 23 au 24 octobre lors d'un raid des forces françaises contre un campement djihadiste dans le nord du Mali n'étaient pas des otages mais des soldats qui avaient fait défection pour les rangs islamistes, a-t-on déclaré mardi de source proche du dossier.

L'armée française a pour sa part réaffirmé mardi soir dans un communiqué que cette opération était le fruit "d’un travail précis de renseignement militaire" et que le camp visé, lié à Ansar Dine, avait été identifié "sans erreur possible".

La France est au centre d'un imbroglio politico-militaire au Mali depuis ce raid d'envergure de Barkhane et des forces spéciales qui, selon une déclaration de l'état-major français du 26 octobre, a "mis hors de combat" quinze combattants islamistes dans le secteur d'Abeïbara, près de la frontière avec l'Algérie.

C'est la coalition djihadiste du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), dirigée par le chef touareg Iyad Ag Ghali, qui était visée. Ansar Dine, groupe armé salafiste fondé en 2012 par Iyad Ag Ghali, a fusionné avec d'autres groupes djihadistes en mars dernier pour former le GSIM, lié à Al Qaïda.

Le 27 octobre, ce dernier accuse l'armée française d'avoir tué "onze soldats maliens qui étaient captifs (...) ainsi que trois moudjahidine" lors du raid d'Abeïbara, qui a impliqué des frappes de Mirage 2000, d'hélicoptères Tigre et une intervention au sol.

Après plusieurs jours de silence des autorités de Bamako, la thèse de la "bavure" présumée est confortée par un communiqué du ministre malien de la Défense, Tiéna Coulibaly, que Reuters a obtenu lundi. Un document daté du 31 octobre.

"SANS ERREUR POSSIBLE"

Il y est écrit que des "militaires maliens, détenus par des terroristes, ont trouvé la mort" dans l'opération du mois dernier. Des médias font état de photos à l'appui de ces dires.

Tiéna Coulibaly affirme s'être entretenu à ce sujet le 31 octobre avec l’ambassadrice de France au Mali, Evelyne Decorps, et un officier représentant Barkhane.

Ses interlocuteurs lui auraient dit, précise-t-il, que "les reconnaissances menées durant la phase de préparation n'auraient pas permis de déceler la présence de militaires maliens".

"Tirant les leçons de cette tragédie, les deux parties ont convenu d'améliorer leur communication afin d'éviter la survenue d'un tel événement déplorable dans le futur", peut-on lire.

L'armée française précise que le commandant de Barkhane, le général Bruno Guibert, s’est entretenu mardi à ce sujet avec le chef d’état-major des armées maliennes après "une première réunion de travail le 31 octobre".

L'entrevue, est-il précisé dans un communiqué, "a permis aux forces françaises de faire un point sur les éléments confirmant la caractérisation formelle de ce campement et son identification sans erreur possible comme un camp d’entraînement terroriste, du fait d’un travail précis de renseignement militaire."

"Ce travail n’a à aucun moment permis de détecter la présence sur ce site de militaires maliens, capturés ou enrôlés par le groupe terroriste", souligne l'état-major, qui précise qu'au nombre des "terroristes" mis hors de combat figure "un lieutenant d’Iyad Ag Ghali, spécialisé dans le recrutement et la formation des terroristes d’Ansar Dine".

Barkhane a proposé son appui aux forces maliennes "dans le cas où ces dernières souhaiteraient réaliser une mission de recueil d’information sur le site".

"PAS DES PRISONNIERS"

Plus tôt dans la journée, une source proche du dossier avait dit à Reuters que l'opération avait été menée "sur la base de renseignements étayés contre un camp dans lequel se trouvaient des soldats maliens passés dans les rangs djihadistes".

"Ce sont eux qui ont été frappés, entre autres", a-t-on dit de même source, en refusant de préciser le nombre d'"ex"-soldats "mis hors de combat" (tués ou capturés).

"Ce n'étaient pas des prisonniers", souligne-t-on, en déplorant un accès de "propagande" dans un contexte préélectoral tendu au Mali.

Des discussions politiques et militaires sont en cours avec le Mali pour dénouer cette crise, précise-t-on de même source. Les autorités maliennes n'étaient pas disponibles dans l'immédiat pour un commentaire.

On regrette de source militaire française "un vrai problème de confiance" avec le Mali. "Abeïbara, ce n'est pas un accident de la route, le camp a été identifié avec des informations recoupées", souligne une autre source militaire.

Barkhane, qui a pris la suite des opérations Serval et Epervier dans la région du Sahel le 1er août 2014, mobilise actuellement 4.000 hommes, régulièrement présentés comme des "occupants" au plan intérieur.

La France compte sur la "montée en puissance" de la force du G5 Sahel, qui a lancé une première opération la semaine dernière, pour délester son armée d'une partie du fardeau de la lutte antiterroriste et préparer, à long terme, un possible désengagement.

Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2019-2025, qui redéfinira les formats et moyens des opérations extérieures françaises, Paris réfléchit à revoir le mode opératoire de Barkhane pour rendre la mission "plus agile, plus efficace (...) dans une logique d'accompagnement", indique-t-on de source diplomatique française.

(Avec Tiemoko Diallo et Adama Diarra à Bamako et Edward MacAllister à Dakar, édité par Jean-Stéphane Brosse)